2026 : un scrutin crucial pour les quartiers populaires

Assurés d’être centraux dans le logiciel insoumis, tout en assumant leur autonomie, de nombreux militant·es estiment que 2026 sera leur élection.

Hugo Boursier  • 20 novembre 2024 abonnés
2026 : un scrutin crucial pour les quartiers populaires
Fresque du street-artist Vinci Vince réalisée pour l’Université d’automne de l’Assemblée des quartiers.
© DR

Le scrutin est dans toutes les têtes. Certes, l’échéance semble lointaine. Mars 2026, encore seize mois. D’ici là, Emmanuel Macron aura peut-être sorti une nouvelle dissolution de son chapeau élyséen. La dernière, brandie en juin 2024 après la défaite de son parti aux européennes, a failli placer Jordan Bardella à Matignon. Le président du Rassemblement national a loupé la dernière marche.

Un échec permis grâce à la mobilisation inédite des habitants des quartiers populaires. La résistance des premiers concernés. Mais cette puissante opposition sous la bannière du Nouveau Front populaire n’était pas un chèque en blanc. C’était, en quelque sorte, un dernier avertissement. Une ultime alerte en vue de la prochaine échéance électorale : les municipales.

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« Le barrage existe grâce à nous, les habitants des quartiers. Aujourd’hui, le pouvoir est entre nos mains. La gauche en a conscience. Quand on est mobilisés, on peut renverser les choses », estime la militante antiraciste Assa Traoré. Liste citoyenne, alliance avec La France insoumise, union de la gauche : les scénarios sont nombreux et se dessinent patiemment. Mais, dans cette prochaine aventure électorale, les quartiers comptent bien jouer le rôle principal.

Ambition

Cette ambition se mesurait dès le 13 juillet dans une tribune signée par 130 militant·es et artistes, publiée dans Politis : « L’enjeu des élections municipales se dessine bientôt au cœur des échanges, il ne faudrait pas, une fois de plus, manquer ce rendez-vous. Continuer à encore considérer les quartiers comme de simples réservoirs de voix et leurs habitant·es comme des colleurs d’affiches ne mènera qu’à des déconvenues. »

Un euphémisme pour éviter d’employer le mot «trahison». Agiter le chiffon rouge de l’extrême droite, compter sur des militants locaux pour mobiliser les habitants, promettre une place dans le logiciel de gauche et, une fois le barrage réalisé, tout oublier. La recette a souvent été appliquée par les partis. Pour la conjurer, des centaines de militants s’organisent. C’est le cas notamment avec l’Assemblée des quartiers, à l’initiative de la tribune de cet été.

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Avec plus de 300 membres, elle réunit des militant·es de toute la France. Des actifs pendant les révoltes de 2005, d’autres qui ont rejoint le mouvement après celle de 2023 et la mort de Nahel Merzouk. Réunie en octobre, l’Assemblée des quartiers avait organisé deux discussions aux titres limpides : « L’engagement dans les quartiers, avec ou sans la gauche ? » et « Le quartier, la ville, la mairie : en route vers 2026 ».

LFI doit faire la démonstration concrète que les quartiers restent le poumon de la dynamique enclenchée depuis 2017.

B. Bagayoko

Cette route, certains l’ont déjà empruntée. C’est le cas de Bally Bagayoko, déjà candidat soutenu par La France insoumise (LFI) en 2020 à Saint-Denis. « Je serai au cœur de cette mobilisation, pas seul mais avec d’autres », déclare-t-il à Politis. Figure locale, actif dans la vie politique municipale depuis 2001 comme adjoint à la jeunesse, il assure que LFI « incarnera une liste de rassemblement ». 2026 sera une « épreuve test pour LFI, qui doit faire la démonstration concrète que les quartiers restent le poumon de la dynamique enclenchée depuis 2017 ».

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Caravane dans les quartiers, centralité des thématiques liées aux violences policières, aux inégalités raciales, et à la Palestine: La France insoumise a sillonné la fameuse France des tours. « Dans les quartiers, Mélenchon a l’image d’un gars courageux qui porte des sujets casse-gueule. Et, en même temps, les habitants restent méfiants », décrit Bally Bagayoko. « Ils sont dans une logique empirique où ils questionnent en permanence le politique et ses promesses. » Et quand celles-ci paraissent trop belles, la tentation d’une liste citoyenne se dessine.

Peser sur les les configurations locales

Cette stratégie autonome a toujours été une composante importante du militantisme des quartiers populaires. Qui est plus légitime pour parler des inégalités sociales et raciales que celles et ceux qui sont directement concerné·es ? Cette question, Almamy Kanouté, militant à Fresnes, la pose depuis des années. « La mission d’un député ou d’un élu municipal, c’est d’être un haut-parleur, un porte-voix de la population qui souffre mais aussi qui résiste face à ces injustices », analyse-t-il.

Ce qui incarne réellement la gauche, ce sont les individus dans l’action.

A. Kanouté

Une « légitimité » qu’il construit en menant des actions sur le terrain. « La gauche telle qu’elle est représentée ne me parle pas. Ce qui l’incarne réellement, ce sont les individus dans l’action. » D’où le refus catégorique de parachutage pour 2026. Et sa place en tête d’une liste citoyenne pour la ville du Val-de-Marne ? « C’est en pleine discussion. Je n’ai pas dit oui, je n’ai pas dit non », tempère l’éducateur et acteur (il jouait le rôle de Salah, dans Les Misérables, de Ladj Ly).

Le cofondateur du mouvement Émergence « reste sur ses gardes » avec La France insoumise, sans pour autant refuser d’emblée la discussion. Sa ligne reste toutefois plus critique des partis que celle d’Assa Traoré. Pour la sœur d’Adama Traoré, mort lors d’une interpellation par des gendarmes en 2016 à Persan (Val-d’Oise), « l’indépendance des quartiers peut être préservée dans les partis politiques ».

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« Si des personnes rassemblent et nous ressemblent, on ira. Moi, je ne suis pas contre », assure la proche de Sabrina Ali Benali, candidate insoumise opposée à Alexis Corbière en Seine-Saint-Denis. Pour la mairie de Beaumont-sur-Oise, où elle habite, Assa Traoré précise qu’au moment où elle parle à Politis (le jeudi 14 novembre), elle « n’est pas encore dans cette voie-là ». Mais elle reste persuadée que 2026 peut incarner « un tournant démocratique pour la France. »

Almamy Kanouté partage l’argument avancé par Assa Traoré : face à la crise de représentation et une Ve République à bout de course, « les listes citoyennes peuvent permettre un réel renouveau et remettre la politique à sa juste place ». Le sociologue Éric Marlière regrette que ces initiatives soient vite « taxées de communautaristes » par des élus locaux ou une partie des médias. « Aujourd’hui, la politique devient accessible pour des jeunes des quartiers qui échappent au dogme des partis », décrit l’auteur d’un article récent sur le sentiment de « désillusion » que ressentent des militant·es des quartiers (1).

Le chercheur met aussi en garde les partis contre une forme de calque national qui serait posé sur des contextes locaux très divers. Visibilité des militant·es, place des quartiers dans une ville, antécédents des partis de gauche : ces ingrédients diffèrent d’une ville à l’autre. D’où une vraie prudence parmi les personnes que Politis a contactées. « C’est trop tôt », « c’est touchy », « on marche sur des œufs » : pour les municipales, la partie d’échecs se joue dorénavant à plus de deux joueurs et chacun compose sa stratégie au fil de l’eau.

Label

C’est le cas à Toulouse, par exemple, où les discussions démarrent seulement. « Toutes les composantes de gauche commencent à sortir du bois », observe Salah Amokrane, militant des quartiers de longue date. « Je m’y intéresse, je discute avec les uns et les autres », élude-t-il, voyant que La France insoumise souhaiterait « conduire la dynamique ». Du côté de l’Assemblée des quartiers, on réfléchit à « identifier une liste de sujets communs, quel que soit l’endroit où l’on habite ». Comme un label qui pourrait certifier telle ou telle initiative.

2026, c’est demain.

« Force est de constater que c’est la première fois qu’une ligne nationale des mobilisations des quartiers, structurée par un réseau qui dispose d’une légitimité réelle, va peser sur des configurations locales, s’articuler – voire se confronter – aux stratégies des organisations de gauche », note Ulysse Rabaté, chercheur en science politique rattaché à l’université Paris-8 Vincennes-Saint-Denis et aussi très actif à Rennes. Après avoir été « pressenti » pour les législatives avec le NFP, il se positionne pour l’aventure 2026.

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Ce label potentiel pourrait prendre en compte la question du logement, moteur d’une politisation à vitesse grand V dans certaines villes. « Au Mirail, la rénovation urbaine ne fait que densifier l’espace et les politiques sociales et jeunesse ne suivent pas », dénonce Salah Amokrane. Même écho à Roubaix, où le quartier historique de l’Alma est menacé de démolition.

Dans la ville du Nord, c’est le député insoumis, David Guiraud, qui a très vite fait connaître ses prétentions pour 2026. Son parachutage au gré des législatives de 2022 reste sensible : pour les uns, son travail sur le terrain « l’a rendu légitime », pour les autres, l’accepter, c’est encore empêcher la candidature d’un militant des quartiers. Éternel débat qu’il faudra trancher rapidement car, comme le confie un militant, « 2026, c’est demain ».

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