« Les femmes s’en mêlent », montée en puissance
Déployant une riche édition 2024 à travers la France, le festival « Les femmes s’en mêlent » – récemment amplifié par le dispositif « Les femmes s’engagent » – agit de longue date pour la valorisation des artistes féminines.
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Les femmes s’en mêlent / du 9 novembre au 1er décembre / Paris et autres villes.
C’est le 8 mars 1997, en résonance directe avec la journée internationale des droits des femmes, que l’aventure « Les femmes s’en mêlent » (LFSM) a officiellement démarré – vingt ans pile avant le choc salutaire du mouvement #MeToo, qui a engendré une résurgence massive du féminisme à l’échelle internationale. De taille modeste, cette édition inaugurale du festival s’est déroulée sur une seule soirée, à Paris.
« Quelque chose devait déjà planer dans l’air, se souvient Stéphane Amiel, cofondateur de LFSM et seul membre de l’équipe originelle encore présent aujourd’hui. Un festival dédié exclusivement aux artistes féminines, le Lilith Fair, a été créé au même moment aux États-Unis, à l’initiative de la musicienne canadienne Sarah McLachlan. C’est aussi une période très riche au niveau artistique pour les femmes dans la sphère des musiques actuelles. Par exemple, l’album Homogenic de Björk est sorti en 1997. »
Marquée par la révélation de figures majeures telles que Björk, PJ Harvey et Beth Gibbons (chanteuse de Portishead), la décennie 1990 a été en outre intensément secouée par la mouvance riot grrrl, constellation tonitruante de groupes états-uniens (Bikini Kill, Sleater-Kinney, L7…) propulsant un féminisme déterminé sur fond de rock strident, dans la lignée du punk.
À ses débuts, le festival est porté par une petite équipe de bénévoles, garçons et filles, au sein de l’association Bandido. Les deux principaux instigateurs en sont Stéphane Amiel et Jean-Luc Balma, alors collègues de travail (à Canal +), tous deux partageant une passion pour les voix féminines dans la pop et le rock indé, ainsi qu’une inclination particulière pour les groupes mixtes.
Défricheurs
Face au constat de la sous-représentation des artistes féminines dans les programmes des salles de concert et des festivals, l’envie leur est venue de monter leur propre événement, « l’idée étant d’inviter les artistes que l’on ne voit pas ou pas assez, qui n’ont pas de tourneur, qui ne sont pas représentées en France, etc. », précise Stéphane Amiel.
D’abord orienté rock indépendant et pop, LFSM va s’ouvrir ensuite à d’autres esthétiques musicales, en particulier l’électro. Défricheur, cultivant une vraie exigence au niveau artistique, le festival se distingue aussi bien sûr par sa mobilisation précoce en faveur de la cause des femmes sans adopter pour autant une posture militante ostentatoire.
Des publics différents peuvent se rencontrer via le festival, dans un contexte très bienveillant.
S. Amiel
« Nous nous adressons a priori à tout le monde, pas seulement aux femmes, souligne Stéphane Amiel. Je pense que nous ne devons pas nous enfermer dans un cadre communautariste, d’autant que ça aurait été une prise de position très bizarre à la base, avec deux garçons dans l’équipe (sourire). En tant qu’homme, j’ai justement à cœur d’amener aussi des hommes vers le festival. Des publics différents peuvent se rencontrer via le festival, dans un contexte très bienveillant. »
À la suite de l’accueil favorable reçu par la première édition, la deuxième – en mars 1998 – voit les choses en double : deux soirées parisiennes au lieu d’une seule. En 1999, poursuivant sa croissance, le festival se déploie dans d’autres villes, notamment Nantes, Lille et Nancy. Malheureusement, l’une des deux soirées organisées à Paris lors de cette troisième édition atteint un très faible niveau de fréquentation.
Effet paradoxal
Réalisé à l’époque de manière totalement artisanale, sans aucune subvention, LFSM se retrouve au bord d’un gouffre financier fatidique. L’équipe de Bandido décide d’arrêter, hormis Stéphane Amiel. Trop attaché à l’idée pour laisser tomber, celui-ci se lance comme défi de monter tout seul une nouvelle édition. Après une pause en 2000, le festival réapparaît en 2001, toujours itinérant, avec une invitée chic et choc en tête d’affiche : Kim Gordon.
Les années suivantes semblent indiquer une expansion continue. Durant la décennie 2010, certaines éditions intègrent une trentaine de villes en France. L’équilibre économique reste pourtant fragile. Confronté à une insuffisance criante de subventions en 2019, Stéphane Amiel sent sa motivation sérieusement fléchir. Entraînant une pause forcée en 2020 et un regain du financement public, la pandémie de covid-19 va avoir pour effet paradoxal de relancer le festival.
LFSM effectue son grand retour en novembre 2021, la situation sanitaire ayant rendu l’événement impossible au printemps (depuis, le festival se déroule en novembre). À partir de cette année-là est mis en place un dispositif connexe baptisé « Les femmes s’engagent » et piloté par Adriana Rausseo. Amenant un regard neuf et une culture musicale plus contemporaine, la jeune femme assure désormais également la programmation du festival en binôme avec Stéphane Amiel.
Avec « Les femmes s’engagent », plusieurs objectifs concordants sont visés : encourager la création et la production des artistes féminines de la scène indépendante ; favoriser la transmission entre artistes via des ateliers créatifs ; faciliter l’accès à la professionnalisation ; promouvoir l’autonomie technique.
Des propositions variées (ateliers, master class, rencontres, projections de documentaires thématiques, débats…) s’ajoutent ainsi, en parallèle, à la programmation de LFSM. Fédérateur, l’ensemble de ces activités implique un large réseau national de structures et de personnes actives en matière d’inclusion et d’égalité dans les musiques actuelles – par exemple la Women Metronum Academy, un dispositif de mentorat au féminin développé par le Metronum, Smac (Scènes de musique actuelles) très dynamique de Toulouse.
« Il est évidemment compliqué de tirer un bilan après seulement trois ans, observe Adriana Rausseo. Le doublement de nos propositions sur cette période constitue toutefois un premier indicateur positif. Par ailleurs, nous remarquons un intérêt croissant pour le dispositif, qui traduit une prise de conscience plus générale. » Une enquête portant sur l’année 2022, réalisée par la Fédération des lieux de musiques actuelles (Fedelima), montre bien que le combat est encore loin d’être gagné – qu’il s’agisse des artistes féminines sur scène (21 %), des techniciennes sur scène (12 %) ou encore des directrices de Smac (20 %).
La culture et la musique se porteraient mieux si elles étaient plus nombreuses.
E. Loizeau
« La jeune génération nous réveille, assure cependant Emily Loizeau, talentueuse autrice-compositrice-interprète à l’affiche de LFSM 2024. Les choses n’avancent pas assez vite mais elles avancent. Des liens forts se créent entre artistes, non seulement des femmes mais également des hommes, qui se montrent eux aussi solidaires. Le milieu professionnel de la musique favorise l’individualisme. Le collectif ne fait pas partie de son ADN mais c’est en train de changer. Nous comprenons qu’il est nécessaire d’agir avec et pour les autres. La proportion de femmes a un peu augmenté, mais on est encore loin de la parité. Il y a en particulier toujours un manque patent de décideuses, notamment dans les maisons de disques et les salles de concert. Les femmes ont tout à fait les compétences pour occuper ces fonctions. La culture et la musique se porteraient mieux si elles étaient plus nombreuses. »
S’étendant sur trois semaines, en Île-de-France et dans une vingtaine de villes en régions, cette 26e édition du festival permet déjà de mesurer pleinement l’ampleur de l’apport artistique des femmes à la scène musicale indépendante. Y participent – parmi beaucoup d’autres – l’excellent quatuor espagnol Melenas (rock indé), le détonant groupe new-yorkais Habibi (post-punk psyché), le duo mixte anglais Linea Aspera (électro) et la chanteuse canadienne Myriam Gendron (folk).
Cette créativité et ce vivier de talents redonnent forcément de la motivation.
S. Amiel
Du côté français, outre Emily Loizeau, citons l’artiste pluridisciplinaire Regina Demina (électro-pop/new wave), la chanteuse et harpiste Sophye Soliveau (jazz/soul), le trio eat-girls (post-punk), le duo mixte Tschegue (afropunk/techno) et le jeune collectif non binaire Akira & Le Sabbat (cocktail inclassable), réputé explosif en live. « Actuellement, il y a une grande effervescence musicale en France, se réjouit Stéphane Amiel. Cette créativité et ce vivier de talents redonnent forcément de la motivation. C’est reparti pour au moins vingt ans (rires) ».