Mercosur, l’arbre qui cache la forêt

Un an après la crise, le monde agricole se mobilise de nouveau contre le Mercosur, traité de libre-échange entre l’Union européenne et l’Amérique du Sud. Au cœur de la colère : la question des revenus au sein du système agro-industriel. Celui-là même que défend la toute-puissante FNSEA.

Pierre Jequier-Zalc  • 19 novembre 2024
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Mercosur, l’arbre qui cache la forêt
Rassemblement contre l'accord UE-Mercosur, à Dijon, le 18 novembre 2024.
© ARNAUD FINISTRE / AFP

Cest reparti. Près d’un an après la forte mobilisation agricole qui avait affolé le gouvernement, une partie des agriculteurs ont décidé à nouveau de manifester leur mécontentement. La raison principale invoquée est la crainte du Mercosur. Un traité de libre-échange entre l’Union européenne et l’Amérique du Sud qui permettrait d’alimenter le marché français avec des denrées à moindre coût et moins respectueuses des normes environnementales européennes.

Le paradoxe étant qu’en France tout le monde est, en apparence, d’accord pour rejeter le Mercosur. « La France ne signera pas en l’état ce traité », a assuré Emmanuel Macron. Même son de cloche du côté de tous les syndicats d’exploitants agricoles, FNSEA, Coordination rurale et Confédération paysanne – organisation historiquement opposée aux traités de libre-échange.

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Mais s’arrêter à ce niveau de lecture serait un peu simpliste et ne permettrait pas de voir tous les enjeux de cette nouvelle mobilisation. Déjà, ce rejet unanime donne la sensation d’un monde agricole uniforme et homogène. Or celui-ci est profondément inégalitaire.

Comment imaginer que les conséquences d’un traité comme le Mercosur toucheraient de manière équivalente l’ensemble de la profession ?

« Les 10 % des ménages agricoles les plus pauvres touchent moins de 10 900 euros par an (soit environ 800 euros par mois). Les 10 % les plus riches gagnent plus de 44 600 euros par an (environ 3 700 euros par mois). Et encore, ces chiffres sont des moyennes, qui cachent les immenses fortunes autant que les vies de misère », rappellent nos confrères de Basta !. Comment, alors, imaginer que les conséquences d’un traité comme le Mercosur toucheraient de manière équivalente l’ensemble de la profession ?

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Surtout, l’ombre de la mobilisation de l’hiver dernier plane toujours sur le monde agricole. Gabriel Attal, alors premier ministre, a eu beau trompetter de grandes annonces directement commandées par la FNSEA, les raisons de la colère ne se sont pas évaporées. En tête de celles-ci, la question du revenu, centrale mais oubliée. Car il est toujours plus facile de détricoter des normes sociales et environnementales que de s’attaquer au fond du problème.

En l’occurrence, celui d’un modèle agro-industriel qui favorise les grandes exploitations et étrangle les petits producteurs. Comment le remettre en question quand la colère qui émerge est systématiquement captée et réorientée par la FNSEA, pour justement défendre ce modèle qui écrase et exploite ? « La ruse de la FNSEA est de masquer, sous le vocable unitaire, les intérêts antagonistes du monde agricole, alors qu’elle ne représente que les dominants », écrivait en avril, dans nos colonnes, la sociologue
Rose-Marie Lagrave.

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Pourtant, le puissant syndicat d’exploitants agricoles continue – jusqu’à quand ? – de tenir d’une main de fer la profession. Et son implication dans la mobilisation actuelle est aussi à relier à sa crainte de voir cette hégémonie s’effriter. Fin janvier, se tiendront les élections professionnelles, véritable réacteur nucléaire de l’organisation du monde agricole.

La FNSEA ne veut surtout pas perdre sa suprématie.

Prise de court lors du mouvement de l’hiver dernier, qu’elle n’a pas vraiment senti venir, la FNSEA ne veut surtout pas perdre sa suprématie. Le tout, alors que la très droitière Coordination rurale prend de plus en plus d’importance, avec des modes d’action radicaux et un discours anti-normes très virulent qui trouve un écho chez une partie des agriculteurs. Et que la Confédération paysanne compte bien grignoter quelques places dans les chambres d’agriculture pour porter un discours progressiste et alternatif.

Dans ce contexte, la lutte contre le Mercosur, revendication unanime et partagée, permet à la FNSEA de capter une colère plurielle et légitime, sans s’attaquer à ses causes réelles. Pas certain, pour autant, que le syndicat majoritaire réussisse, sur le temps long, à invisibiliser les inégalités structurelles de la profession et la misère qui, parfois, en découle. Car elles sont là, les raisons de la colère.

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