Qu’est-ce qui fait plus peur que Trump ?
Nous redoutons Donald Trump, et nous avons raison. Pour ses 75 millions d’électeurs, quelque chose inquiétait davantage que cet agresseur sexuel, despote en puissance, propagateur de fake news. La défaite de Kamala Harris a de quoi alimenter bien des débats à gauche.
dans l’hebdo N° 1836 Acheter ce numéro
Vu d’Europe, et de France en particulier, Donald Trump fait peur. Et pour cause : lui-même n’avait-il pas assuré que, lui président, il ferait un parfait « dictateur » ? N’avait-il pas assuré dans la foulée qu’il s’en prendrait aux « ennemis de l’intérieur », les migrants, les journalistes, les démocrates ? N’avait-il pas assuré que, lui président, il enverrait l’armée contre « ces personnes folles, ces tarés d’extrême gauche » ?
Nous avons peur de Trump et sans doute avons-nous raison. La guerre économique qui menace l’Europe, à coups de droits de douane sur le vin et les produits de luxe importés, pourrait nous coûter cher. L’abandon des peuples ukrainien et palestinien – bien que ces derniers aient déjà été oubliés par l’administration Biden – pourrait nous coûter cher aussi. Et voilà qui fait peur. Mais, pour près de 75 millions d’électeurs américains, il y a quelque chose qui fait encore plus peur que Trump – même si 71 millions ont fait le choix de Kamala Harris.
Quelque chose qui ferait plus peur encore que d’élire un agresseur sexuel, un propagateur de fake news – jusqu’à vingt mensonges par jour en moyenne –, un despote en puissance – il avait contesté sa défaite en 2020, allant jusqu’à provoquer l’invasion du Capitole et les émeutes qui s’ensuivirent – et un complotiste à ses meilleures heures – Trump n’a-t-il pas assuré le plus sérieusement du monde que les migrants mangeaient les chiens et les chats à Springfield ?
Les analyses sont diverses, les options pléthoriques selon d’où l’on parle. Harris était la sortante. En tant que vice-présidente, elle hérite des années Biden. Elle paie ainsi l’abandon des classes populaires par les démocrates et le sentiment visiblement très partagé qu’il faisait mieux vivre entre 2016 et 2020, autrement dit sous le mandat de Trump.
Après l’échec d’Hillary Clinton, les Américains ne seraient-ils pas prêts à élire une femme ?
Les Américains sans le sou auraient-ils préféré confier leur avenir à un milliardaire qui ne connaît rien de leur quotidien – voire le méprise ? Malgré les politiques sociales de Biden – hausse des salaires des fonctionnaires, extension de l’Obamacare, annulation des dettes étudiantes, etc. –, Harris paierait-elle la note très salée de l’inflation ? Sans doute.
D’autres s’interrogent : après l’échec d’Hillary Clinton, les Américains ne seraient-ils pas prêts à élire une femme ? Enfin, de nombreuses voix, en France comme aux États-Unis, analysent la victoire de Trump comme une défaite du wokisme. Pour le plus trumpiste des trumpistes français, Éric Zemmour, c’est même « la défaite du wokisme et de toutes les révolutions à gauche ».
Rien que ça. D’autres voient dans la défaite de Harris un problème de ligne politique pendant la campagne – sans doute trop courte pour la candidate démocrate. « Trop centriste », pour les insoumis. « Harris a fait du Hollande », a même osé le député LFI Antoine Leaument sur X.
Si la stratégie de conquête du pouvoir par Kamala Harris a consisté à décrocher les voix des conservateurs en délaissant les plus précaires, ces ouvriers qui font l’élection aux États-Unis, contrairement à la France, pour le politologue Phillippe Marlière, interrogé par Le Monde, « une élection américaine ne se gagne pas plus à gauche : c’était d’ailleurs la limite de Bernie Sanders », insiste-t-il. De quoi alimenter bien des débats à gauche. Et diviser plus encore sur la stratégie, tant sur le fond que sur la forme, à adopter lors des prochaines échéances.
Ainsi, la gauche française peut-elle tirer les leçons de l’élection américaine ? Des leçons qui donneraient raison à la stratégie insoumise en faveur d’une ligne de rupture franche contre le macronisme et le lepénisme ? Faut-il faire du Trump pour gagner en France ? Éléments de réponse dans notre numéro spécial cette semaine, presque exclusivement consacré à l’élection de Donald Trump et à ses conséquences.
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