Congrès PS : sauver ou dégager Olivier Faure ? Les socialistes à fond les manœuvres
Les opposants au premier secrétaire du parti tentent de rassembler tous les sociaux-démocrates pour tenter de renverser Olivier Faure. Mais le patron des roses n’a pas dit son dernier mot. Au cœur des débats, le rapport aux insoumis. Une nouvelle fois.
Les congrès du Parti socialiste (PS) sont comparables aux films romantiques de Noël. Ils sont tous différents mais, au fond, c’est toujours un peu la même histoire. Au prochain congrès, le parti au poing et à la rose devrait rejouer le même congrès qu’à Marseille en 2023 et à Villeurbanne en 2021. Mêmes dialogues, mêmes enjeux, même casting.
Le personnage principal se nomme Olivier Faure. Le premier secrétaire du parti depuis 2018 est menacé par deux acteurs secondaires qui rêvent de prendre sa place : le maire de Rouen (Seine-Maritime), Nicolas Mayer-Rossignol, ainsi que l’édile de Vaulx-en-Velin (Rhône) et ex-secrétaire d’État chargée de la Ville sous François Hollande, Hélène Geoffroy. Côté scénario, ceux qui défendent l’union des gauches auprès d’Olivier Faure s’opposeront à ceux qui, auprès de Nicolas Mayer-Rossignol et Hélène Geoffroy, ne veulent plus du tout discuter avec La France insoumise (LFI). La trame du scénario est posée.
Les socialistes seraient-ils condamnés à rembobiner la même cassette ? « Si c’est un congrès pour refaire le match ‘pour ou contre Jean-Luc Mélenchon’, ce sera un congrès qui ne servira à rien, qui affaiblira le parti, estime l’eurodéputé Christophe Clergeau, membre de la direction du PS. Mais comme l’hostilité aux insoumis est le seul élément d’identité des opposants à Olivier Faure, je crains qu’ils ne soient capables de faire autre chose. »
« Une fois qu’on a dit que Jean-Luc Mélenchon n’est pas le meilleur candidat pour défendre l’union des gauches à la prochaine présidentielle, on n’a rien dit. Qu’est-ce qu’on propose pour les municipales ? Qu’est-ce qu’on va défendre pour la suite ? Qu’est-ce qu’on imagine pour départager les candidats ? Ce sont les vrais sujets qui devront être posés », énumère Jonathan Kienzlen, président du groupe socialiste au conseil régional d’Île-de-France et membre, lui aussi, de la direction du PS.
Il faut redonner une ligne politique à ce parti en libérant le PS de la tutelle insoumise.
Il n’est pas certain que ces appels soient entendus au sein des opposants à Olivier Faure. Nicolas Mayer-Rossignol et Hélène Geoffroy répètent sans cesse qu’il faut que le PS aimante autour de lui le reste de la gauche, fustige les outrances de LFI, s’extirpe des griffes de Jean-Luc Mélenchon et adopte une ligne beaucoup moins radicale.
« Il faut redonner une ligne politique à ce parti en libérant le PS de la tutelle insoumise. Il faut renégocier le périmètre des alliances à gauche. Il n’y a aucun problème à faire l’union avec les écologistes et les communistes. Mais il y a un problème avec LFI qui reste dans l’essentialisation et la fracturation permanente, considère un proche de Geoffroy. Au train où vont les choses, on peut se retrouver avec un deuxième tour opposant Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen. Et dans ce cas de figure, la gauche perd. »
Fusion des opposants
L’argumentaire n’a rien de nouveau mais les deux anti-Mélenchon sont persuadés que les choses ont un peu changé. Lors de l’université d’été du parti à Blois (Loir-et-Cher) à la fin du mois d’août, les deux courants d’opposition ont ouvert la voie à une « convergence ». Traduction : la motion portée par Nicolas Mayer-Rossignol et celle défendue par Hélène Geoffroy pourrait bien fusionner lors du prochain congrès du parti et faire tomber, selon eux, l’actuelle direction. Par ailleurs, ils peuvent désormais compter sur le soutien de Karim Bouamrane, le très médiatique maire de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) qui a lancé son propre mouvement, La France humaine et forte.
L’édile, ancien membre de la majorité du parti, quitte donc le navire fauriste. Un autre soutien d’Olivier Faure s’est aussi récemment rapproché de la bande des opposants : Philippe Brun. Le député de l’Eure, qui a claqué la porte de la direction du parti lors de la campagne des européennes en dénonçant l’absence d’ouvriers et d’employés sur la liste, lancera officiellement son propre mouvement, La Ligne populaire, le 18 décembre à la Bourse du travail de Saint-Denis. Le maire socialiste de la ville, Mathieu Hanotin, ouvrira l’événement.
Je suis convaincu qu’avec les socialistes, nous avons un destin commun.
R. Glucksmann
Nicolas Mayer-Rossignol et Hélène Geoffroy pourraient compter sur Raphaël Glucksmann, l’eurodéputé et ancienne tête de liste du PS et de Place publique aux européennes, qui souhaite aussi déplacer la gauche vers un espace plus centriste, plus social-démocrate. Certains espèrent qu’il jouera un rôle lors du prochain congrès. « Nous ne nous immisçons pas dans la vie interne des autres partis politiques », balaye Pascaline Lécorché, secrétaire générale de Place publique.
« Je suis convaincu qu’avec les socialistes, nous avons un destin commun », confiait en octobre Raphaël Glucksmann, lors de l’université d’été de sa formation en Gironde. Mais comment unifier tout ce petit monde ? « La famille social-démocrate est puissante mais dispersée, il faut travailler à ce rassemblement », affirme l’un d’eux. Certains parlent d’une « confédération ». Mais l’idée n’a pas réellement franchi le mur du son.
La direction ne croit pas vraiment à la fusion des courants. La manœuvre serait déjà morte dans l’œuf. La faute à une modification statutaire votée en 2021 : l’article 3.2.7 portant sur le « vote sur les motions nationales d’orientation et l’élection du Premier secrétaire du parti ». Il y est notamment écrit que « le premier signataire des deux motions arrivées en tête qui le souhaitent est candidat ». « Avec la réforme de 2021, l’élection au poste de premier secrétaire est un duel entre les deux premiers textes d’orientation », explique Jonathan Kienzlen, chargé des statuts. De ce fait, cela pourrait ralentir le processus de fusion entre tous ces opposants.
Car les fauristes imaginent qu’ils ne pourront jamais s’accorder sur un candidat commun dès le premier round du congrès, considérant que le courant de Nicolas Mayer-Rossignol est bien plus proche idéologiquement de la ligne portée par le chef des roses que de celle d’Hélène Geoffroy. « Il ne faut pas oublier que le texte d’orientation de Mayer-Rossignol est issu du texte majoritaire de 2021, celui d’Olivier Faure, rappelle un proche du premier secrétaire. Donc, ces deux oppositions se rassembleront sur quoi ? Le seul principe de faire tomber Olivier Faure ? Leur détestation commune des insoumis ? Ce serait ironique car ce sont eux qui répètent qu’on ne travaille pas sur le fond. »
Guerre d’adhésions
En parallèle, Bernard Cazeneuve joue sa petite partition. Le 22 octobre, il dîne avec des grappes de députés et de sénateurs, dont Hussein Bourgi, le sénateur de l’Hérault à l’initiative de la soirée, et Patrick Kanner, le président du groupe socialiste à la Chambre haute.
Le 13 novembre, il donne une petite conférence au deuxième sous-sol du Palais Bourbon devant quelques dizaines de députés. Dans la foule, des macronistes comme Roland Lescure, Hervé Berville, Florent Boudié, Ludovic Mendes, Stella Dupont ou Stéphane Travert, des députés du groupe Liot comme Bertrand Pancher, Stéphane Lenormand ou David Habib, Sacha Houlié mais aussi Aurélien Pradié. Parmi les socialistes, Jérôme Guedj et Philippe Brun.
Cazeneuve aurait-il des ambitions au sein du PS ? Sa cible reste la prochaine présidentielle. L’éphémère premier ministre sous François Hollande promet de présenter un « projet pour la France » au début de l’été 2025. Certains membres du Modem imaginent même la possibilité de soutenir sa candidature à la prochaine présidentielle s’il réussit à construire une coalition centriste.
Mais selon Le Figaro, certains de ses proches encourageraient les membres de La Convention, la microformation de l’ex-ministre de l’Intérieur, à prendre leur carte au PS pour tenter de renverser Olivier Faure au prochain congrès. « Encore faudrait-il qu’il ait beaucoup de partisans, lance Christophe Clergeau, proche du premier secrétaire des roses. De notre côté, on note qu’il y a plusieurs milliers d’adhérents de plus depuis le dernier congrès du PS, le corps électoral a évolué et il est bien plus en notre faveur. »
Les opposants internes sont dans une impasse stratégique, ils n’ont plus d’arguments sauf à agiter l’épouvantail Mélenchon.
C. Clergeau
Au sein de la direction, on revendique plus de 10 000 nouveaux adhérents depuis 2022, des militants qui seraient en grande majorité fauriste. Pour amplifier cette dynamique, la direction du PS a lancé une campagne d’adhésion le 18 novembre. Cette petite agitation n’a pas l’air de faire trembler Olivier Faure.
« Il suffit de faire les comptes de son bilan : on passe de 1,75 % à la présidentielle de 2022 à 13 % aux européennes de 2024 et à 66 députés dans notre groupe. Le PS a une nouvelle responsabilité car c’est la première force de gauche aux européennes, c’est la force motrice à gauche si on regarde le réseau d’élus et la force militante, avance Clergeau. Le PS n’a jamais été aussi fort et aussi autonome vis-à-vis des autres forces politiques. Les opposants internes sont dans une impasse stratégique, ils n’ont plus d’arguments sauf à agiter l’épouvantail Mélenchon pour justifier leur position. »
Troisième voie
Pour le moment, le patron du parti au poing et à la rose entretient un flou concernant le calendrier du congrès qui devrait avoir lieu avant l’été 2025 et laisse « toutes les énergies se libérer », selon les mots d’un membre du bureau national. Façon de dire que le premier secrétaire souhaite se placer au-dessus de la mêlée.
À tel point que sa candidature à sa propre succession n’était pas une évidence avant le bureau national du 12 novembre, lors duquel Faure a affirmé sa volonté de se présenter. Jusque-là, des hypothèses circulaient. « Faure voulait pousser Johanna Rolland (maire PS de Nantes et première secrétaire nationale déléguée du parti, N.D.L.R.) qui a refusé pour se concentrer sur les municipales », raconte un membre de la direction.
Le vrai sujet de ce congrès, c’est notre déconnexion vis-à-vis des classes populaires et des territoires périphériques.
P. Brun
Dans ce brouillard ambiant, certains se mettent à la recherche d’une « troisième voie ». Traduction : une candidature qui pourrait faire la synthèse entre les courants d’oppositions et qui réunirait assez de soutiens dans le camp d’Olivier Faure. Pour incarner ce rôle, plusieurs noms circulent.
Karim Bouamrane ? L’édile est sondé par certains membres du camp Geoffroy. Boris Vallaud ? Le chef de file des députés socialistes, très respecté au sein du groupe, souhaite avant tout que le PS ne se scinde pas en deux : « Je souhaite que ce congrès soit le congrès de la réconciliation, qui donne de la force aux socialistes et donc à l’union de la gauche. » Philippe Brun ? En froid avec la direction, le député de l’Eure tente de prendre un peu plus d’envergure en s’emparant de sujets « orphelins » de la politique, comme la lutte contre la précarité des familles monoparentales ou les pannes d’ascenseurs.
« Le vrai sujet de ce congrès, c’est notre déconnexion vis-à-vis des classes populaires et des territoires périphériques, ce qui rend probable la victoire du RN aux prochaines élections. Pour l’empêcher, on ne peut pas faire l’économie d’un travail de fond », soutient Philippe Brun. « Il y a un peu de vengeance chez lui depuis que le PS n’a pas accepté d’ouvrir sa liste aux européennes. Au fond, je ne comprends pas sa ligne politique. Mais il est peut-être un poisson-pilote pour fragiliser les autres opposants », dit-on dans le camp de Faure.
Tour de France
Réponse de l’intéressé : « Ce n’est pas une question de vengeance ou de défiance vis-à-vis d’Olivier Faure avec qui j’ai une bonne relation personnelle malgré nos désaccords. J’incarne simplement la parole d’un député de la France périphérique qui a amélioré son score face au RN entre 2022 et 2024 et qui pense qu’il y a urgence à réorienter la ligne du PS. Je souhaite peser de toutes mes forces pour le faire car je crois que le PS doit parler et représenter les Français qui n’ont que leur travail pour vivre. Cette position est partagée par beaucoup de gens. On verra bien qui seront nos alliés dans le congrès. »
Il faut prendre les mots des gens et en faire quelque chose.
À entendre de nombreux socialistes, Olivier Faure serait donc cerné. Mais selon ses proches, il a une idée derrière la tête : un tour de France. L’objectif ? « Redessiner le parti de demain en écoutant les aspirations des Français, éclaire un membre de la direction. On a besoin de ce tour de France pour alimenter le débat. Il faut prendre les mots des gens et en faire quelque chose. Parce que pour le moment, on ne parle que de stratégie politique. » À suivre dans l’épisode 2.