Budget 2025 : quand la gauche rafle la mise… en vain ?
Depuis trois semaines, le Nouveau Front populaire enchaîne les victoires sociales et écologiques dans un hémicycle clairsemé. Au point que la copie actuelle du budget serait, selon Éric Coquerel, « NFP-compatible ». Jusqu’au 49.3 ?
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« Ce n’est pas un échec. Je dirai plutôt que ça n’a pas marché. » Il faut, parfois, reconnaître à notre chef de l’État, le sens de la formule. Et celle-ci, tout en litote, ne saurait mieux résumer l’état de la coalition gouvernementale après plus de trois semaines de débats sur le projet de loi de finances (PLF) et le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). En commission, en séance dans l’hémicycle, article par article, amendement par amendement, les soutiens du gouvernement de Michel Barnier se font balayer. Ridiculiser.
Ils comptent sur le Rassemblement national pour les sauver.
G. Cathala
Ces derniers jours tournent même à la débandade. Face à leur mise en minorité, les macronistes et les députés de la Droite Républicaine (DR), mauvais perdants, ont tout simplement abandonné les bancs du Palais Bourbon. Ainsi, durant les débats sur le budget, nos confrères de Politico ont relevé que le taux de présence n’était que 22 % chez Ensemble pour la République (EPR), 15 % à Horizons et 16 % du côté de la Droite Républicaine. Contre plus de 50 % chez les insoumis.
« Les macronistes ne sont pas là, à part peut-être Gabriel Attal, Prisca Thévenot et Stéphanie Rist. Ils comptent sur le Rassemblement national pour les sauver, le vote sur la taxe sur les hautes fortunes en est le parfait exemple », observe la députée insoumise du Val-d’Oise et membre de la commission des Finances, Gabrielle Cathala. Une analyse confirmée par les chiffres. En effet, les élus du RN ont voté, lors des scrutins publics, à 60 % comme les députés du socle gouvernemental. Et seulement à 15 % avec le Nouveau Front Populaire (NFP). Une attitude qui ne laisse plus de doute – s’il en restait – sur l’imposture sociale de l’extrême droite.
« On sait faire bloc »
De l’autre côté, le NFP sort de la séquence plus renforcé que jamais. « Face au dogme du libéralisme, on sait faire bloc. C’est comme cela que nous avons pu contrer le “socle commun” mais aussi le Rassemblement national qui prétendent défendre une majorité de Français, estime la députée socialiste du Finistère et membre de la commission des affaires économiques, Mélanie Thomin. C’est une guerre difficile, mais on a obtenu des victoires, notamment sur les recettes. »
Le RN doit composer avec le parti d’Éric Ciotti et sa ligne libérale.
M. Thomin
La gauche a notamment gagné sur la pérennisation de la hausse la contribution exceptionnelle sur les plus hauts revenus, sur le vote d’une taxe Zucman de 2 % sur le patrimoine des milliardaires, sur une taxe de 10 % sur les dividendes des entreprises du CAC 40, ou sur le renforcement de l’exit tax, l’un des piliers de la doctrine fiscale du macronisme.
Ces victoires, personne ne pouvait vraiment les prédire tant l’alliance des gauches semble prête à se déchirer à la moindre occasion. Mais le NFP à l’Assemblée s’était préparé à la bataille en portant dix propositions communes déclinées dans des dizaines et des dizaines d’amendements défendus par les quatre groupes de gauche.
Malgré les petits couacs et quelques invectives sur les réseaux sociaux, la gauche est apparue unie, votant d’une seule voix, se posant, ainsi, comme le premier opposant au gouvernement de Michel Barnier, et profitant du flou idéologique du RN sur la question fiscale. « Le RN doit composer avec le parti d’Éric Ciotti et sa ligne libérale. C’est ce pacte signé après la dissolution qui rend la ligne de la formation de Marine Le Pen et de Jordan Bardella illisible, ils sont devenus les premiers soutiens de ce gouvernement », considère Mélanie Thomin.
Un « socle commun » fragile
Face à cette stratégie huilée, le « socle commun » est apparu fragile, parfois divisé, sans direction claire, si ce n’est de tout faire pour ne pas mettre à mal la sacro-sainte politique de l’offre. Donc, dans l’incapacité de faire le poids face aux propositions claires et audibles du NFP. Face à ce constat, la politique de la chaise vide a vite constitué la seule réponse pour ne pas apparaître totalement décrédibilisé.
« Il n’y a aucune cohérence entre le camp présidentiel et le gouvernement, aucune cohérence au sein de ce ‘socle commun’, aucune cohérence entre la droite et Ensemble pour la République. Donc pour le gouvernement, il ne lui reste seulement l’option du 49.3, une rumeur qui sert de prétexte à leur camp pour ne pas venir à l’Assemblée et pour essayer de discréditer nos propositions qu’ils jugent ‘extravagantes’ », analyse Christine Arrighi, députée écolo de Haute-Garonne et secrétaire de la commission des Finances.
En effet, il ne reste que très peu d’options à Michel Barnier pour faire passer un budget correspondant aux orientations austéritaires qu’il a fixées à son gouvernement. Tout le monde parie déjà sur l’utilisation de l’article 49.3, de l’article 47.1 qui donnerait la main au Sénat plus en phase avec la philosophie du Premier ministre, ou d’un passage du budget par ordonnances à la fin du mois de décembre si le débat parlementaire ne prend pas fin au terme du temps d’examen réglementaire. « Ce serait un énième déni de démocratie », selon l’insoumise Gabrielle Cathala.
Les macronistes laissent faire car ils se disent que les choses se régleront par 49.3 ou 47.1.
C. Fournier
« Cela fait deux ans qu’on fait face aux 49.3 presque systématiques, c’est important d’accepter le souffle du débat », pour la socialiste Mélanie Thomin. « La gauche a imprimé sa marque mais la stratégie du gouvernement est de plus en plus claire, considère Charles Fournier, député écolo d’Indre-et-Loire et vice-président de la commission des affaires économiques. Les macronistes laissent faire car ils se disent que les choses se régleront par 49.3 ou 47.1. Même si quelques-uns sont là, l’absentéisme est généralisé dans leur camp. Ils ne veulent pas se mêler au ‘bazar’ de l’Assemblée. Ils préfèrent compter les points, peut-être parce qu’ils jouent déjà la succession à Emmanuel Macron. »
Subterfuges
Autant de subterfuges constitutionnels pour éviter d’accepter une défaite cinglante. Des instruments légaux mais qui, de facto, décrédibilisent la démocratie parlementaire. Quelle est l’image donnée par des députés qui préfèrent vaquer à leurs occupations alors qu’un des budgets les plus austéritaires de la Ve République est débattu ?
Il ne faut pas se voiler la face. C’est très sûrement ce budget – qui fait reposer l’essentiel des efforts sur tout un chacun, notamment sur les classes moyennes et populaires – qui sera finalement adopté. Mais en réussissant à drastiquement changer sa philosophie – du moins temporairement, en concentrant les efforts sur les plus riches, le NFP a marqué des points.
Un autre budget est possible. Et le RN est embourbé dans une stratégie difficilement lisible qui, à défaut de soutenir les classes populaires de ce pays, maintient en vie le gouvernement Barnier. Autant dire que si tout n’a pas marché et que le 49.3 plane comme un vautour sur des services publics abîmés, cette séquence, pour le NFP, est loin d’être un échec.