La censure plane sur Barnier, la gauche s’embourbe (encore) dans ses divisions

Le Nouveau Front populaire est d’accord pour défendre en chœur une motion de censure. Mais les divisions stratégiques au sein du Parti socialiste fragilisent la communication de l’alliance des gauches.

Lucas Sarafian  • 26 novembre 2024 abonné·es
La censure plane sur Barnier, la gauche s’embourbe (encore) dans ses divisions
Michel Barnier lors d'une visite à la Maison des Femmes de l'Assistance Publique - Hopitaux de Paris à Paris, le 25 novembre 2024.
© Dimitar DILKOFF / POOL / AFP

La prédiction est peut-être en train de se réaliser. Après plusieurs mois à ressasser le refus d’Emmanuel Macron de nommer Lucie Castets à Matignon, la gauche croit pouvoir toucher du bout des doigts son rêve : faire tomber le gouvernement de Michel Barnier, accéder au pouvoir et imposer une cohabitation au Président. Le plan ? Si l’exécutif tente de défendre coûte que coûte cette version d’un projet de loi de finances excluant les victoires de la gauche ou s’il utilise l’article 49.3 pour passer en force, la gauche unie déposerait une motion de censure.

Cette fois, les voix des quatre groupes de Nouveau Front populaire (NFP) seraient rejointes par celles du Rassemblement national (RN). En se disant prête à censurer l’exécutif à la sortie de son entretien avec le Premier ministre le 25 novembre, Marine Le Pen pourrait donc exaucer les vœux de l’alliance des gauches. Cela pourrait même arriver dès le 2 décembre, jour de la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire du projet de loi de financement de la sécurité sociale où le gouvernement pourrait activer le 49.3. Ce qui pousserait la gauche à déposer une toute première censure concernant la séquence budgétaire.

Dans ce cas de figure, le NFP profiterait du zigzag stratégique de l’extrême droite – un jour meilleur allié du gouvernement, un autre premier parti d’opposition au Parlement – pour s’engouffrer dans la brèche. Aujourd’hui, certains avancent également que la difficulté de la situation dans laquelle se trouve Marine Le Pen, qui risque l’inéligibilité dans le procès des assistants parlementaires du FN-RN, peut jouer en faveur de la gauche.

Le RN n’est plus considéré comme le premier opposant

« Si Marine Le Pen veut se départir de cette image d’alliée du gouvernement, elle doit voter en faveur de la censure. Le risque de son inéligibilité et l’analyse des sondages obligent politiquement Marine Le Pen à voter cette censure », confie un socialiste qui prend l’exemple du tout récent baromètre d’image réalisé par l’institut Verian pour Le Monde et la revue L’Hémicycle publié le 25 novembre.

L’enquête démontre notamment que le RN n’est plus considéré par les Français comme le premier opposant au gouvernement contrairement à la précédente législature. Par ailleurs, un autre sondage Ipsos pour La Tribune dimanche suggère que 67 % des sympathisants du RN sont favorables à une censure du gouvernement Barnier. La pression s’accroît donc sur Marine Le Pen et ses députés.

En bref, les étoiles seraient enfin alignées. Et la gauche se met à imaginer la suite. Pour certains, le scénario semble très simple. Une fois le gouvernement tombé, Emmanuel Macron devrait nommer Lucie Castets au poste de Première ministre. Ainsi, elle constituerait un gouvernement NFP, avec ou sans les insoumis, et serait chargée de mener les négociations avec les autres groupes politiques de l’Assemblée, sur la base du programme commun des gauches, pour construire sa coalition parlementaire et écrire sa feuille de route.

Ce scénario, ce sont les insoumis qui en parlent le plus fort. Pour Aurélien Le Coq, député La France insoumise (LFI) du Nord, « la gauche est prête à gouverner, puisqu’elle était prête à gouverner déjà cet été. Nous avons une candidate au poste de Premier ministre, Lucie Castets, un programme de gouvernement sur lequel nous avons remporté les élections, le programme du Nouveau Front populaire, et même un budget ». Les écologistes, qui demandent désespérément la mise en place d’un intergroupe parlementaire NFP, sont sur la même ligne.

Alpha et oméga

« Nous avons démontré que nous étions d’accord sur un nom de Première ministre au mois de juillet, nous avons démontré que, lors des débats budgétaires, nous savons obtenir des majorités. Nous sommes donc capables de trouver une solution pour sortir de cette crise, estime Benjamin Lucas, député Génération.s et porte-parole du groupe Écologiste et social. Il n’y a aucune raison de tout remettre sur la table, ni sur le fond, ni sur la personnalité à Matignon. Surtout, ne donnons pas à Emmanuel Macron un prétexte pour nous empêcher de gouverner. »

La position est un peu partagée du côté des communistes qui ne veulent pas repartir de zéro et retourner dans des négociations interminables. Mais ils ne font pas de Lucie Castets l’alpha et l’oméga de leur positionnement à venir.

« La balle est dans le camp du Président qui devra nommer un Premier ministre. La gauche a toujours dit qu’elle était prête à gouverner, elle a mis un nom sur la table. Mais que ce soit ce nom ou un autre, ce n’est pas le fond du sujet et ce sera le Président qui le décidera. La question principale, c’est l’orientation politique que le Premier ministre nommé veut mettre en place qui déterminera notre positionnement, développe Christian Picquet, membre de l’exécutif du Parti communiste. Si le Premier ministre veut travailler sur la question du pouvoir d’achat, l’abrogation de la réforme des retraites, un plan de sauvegarde des services publics et l’interdiction des licenciements abusifs et boursiers, nous soutiendrons ce gouvernement. Mais il faut aussi admettre que seul un gouvernement du Nouveau Front populaire défendra cette politique de rupture, c’est ce que nous défendons. »

Mais si c’était si facile au sein du NFP, ça se saurait. Et comme souvent depuis la création de cette nouvelle alliance des gauches, c’est chez les socialistes que les lignes sont plus troubles. L’aile droite du Parti socialiste (PS) pousse toujours Bernard Cazeneuve, l’ancien éphémère Premier ministre sous François Hollande, qui pourrait être soutenu par une coalition allant du centre-gauche au centre-droit. De plus, le crédit politique de Lucie Castets ne fait plus vraiment consensus, y compris au sein des soutiens du premier secrétaire du parti, Olivier Faure, sous la pression du pôle droitier des roses qui veut tourner définitivement la page de cette candidature perçue, selon certains, comme une ligne rouge aux yeux d’Emmanuel Macron.

Gouvernement technique

Au PS, les propositions sont nombreuses et aucune position officielle n’a été actée. Dans Le Monde le 26 novembre, Anne Hidalgo, maire de Paris, s’oppose à la censure du gouvernement Barnier et défend plutôt pour des négociations afin d’obtenir « des avancées importantes sur la question des services publics et de la transition écologique ». Karim Bouamrane, le très médiatique maire de Saint-Ouen, plaide sur Radio J le 24 novembre pour un gouvernement technique, composé d’experts, de hauts fonctionnaires ou de personnalités qui ne sont pas liés à des partis politiques.

Au sein du pôle social-démocrate du PS, certains commencent à penser qu’un gouvernement de coalition pourrait être envisageable, quand d’autres ne veulent pas entendre parler d’un gouvernement technique.

« Un gouvernement technique, c’est une fausse bonne solution, une perte de temps, un exécutif sans légitimité démocratique ni feuille de route politique. En juillet, il ne nous revenait pas de désigner un Premier ministre, mais d’écrire une feuille de route politique et de construire une coalition parlementaire autour de quelques priorités comme la défense des services publics, les urgences sociales et le rétablissement du socle républicain, explique Baptiste Ménard, membre du bureau national du PS et membre de La Convention, la petite écurie de Bernard Cazeneuve qui pousse pour qu’un gouvernement « piloté » par la gauche soit nommé s’il arrive à négocier un accord de non-censure automatique. En attendant une nouvelle dissolution qui pourrait dégager une majorité plus claire ou une élection présidentielle anticipée ou non. »

Le 24 novembre sur Franceinfo, le chef de file des députés socialistes, Boris Vallaud, souhaite qu’un accord de non-censure soit signé entre tous les groupes de l’Assemblée et du Sénat qui feraient partie de l’arc républicain. « Ça peut être un point de sortie de crise », suppose le député des Landes. En clair, chercher un accord de non-censure après avoir voté la censure. Une position qui s’inscrit, selon lui, dans la droite lignée de la lettre de Lucie Castets et des quatre présidents du groupe du NFP à l’Assemblée envoyée aux groupes parlementaires le 12 août.

« Dès sa nomination, le gouvernement du Nouveau Front populaire mènera des discussions approfondies et transparentes avec les groupes parlementaires républicains, avec les syndicats et la société civile organisée ainsi qu’avec les associations nationales d’élus, sur le budget pour 2025 d’une part, et sur un programme de travail gouvernemental pour les mois à venir d’autre part », écrivaient durant l’été Lucie Castets, l’écolo Cyrielle Chatelain, l’insoumise Mathilde Panot, le communiste André Chassaigne et le socialiste Boris Vallaud.

Manœuvre délicate

« La censure du gouvernement de Michel Barnier serait la conséquence d’un budget inacceptable pour une majorité de députés. Si après la censure de Michel Barnier, on considère que le seul pouvoir de nomination du président de la République et les seules qualités du premier ministre éviteraient une future censure, il est probable que le même scénario se déroule à l’infini », explicite-t-on au sein du groupe socialiste. Réponse cinglante de Jean-Luc Mélenchon sur les réseaux sociaux : « A la recherche d’une union nationale, pour transformer le NFP en “nouveau socle commun” avec d’autres. Le PS cherche des alliés. Mais ce sera sans LFI. » L’union vacille.

Au sein des partisans d’Olivier Faure, le premier secrétaire du parti au poing et à la rose, on cherche à faire une synthèse dans le parti. Histoire de ne pas aggraver les fractures stratégiques en interne et de ne pas s’isoler au sein du NFP. Une manœuvre délicate.

« Si Macron n’a toujours pas l’élégance de reconnaître le verdict démocratique, il faudra proposer une autre solution pour éviter le chaos. Cela peut passer par une grande discussion entre les groupes parlementaires et les partis politiques pour trouver des compromis sur des sujets essentiels. Mais ce sera difficile tant que les macronistes s’accrochent à leur bilan et ne veulent rien remettre en cause, considère Laurent Baumel, député PS et conseiller spécial d’Olivier Faure. Peut-être qu’il nous faudra un gouvernement gérant les affaires courantes et qui laissent le Parlement trouver les équilibres et les compromis au fil des textes, jusqu’aux prochaines élections. Ce ne serait pas d’ailleurs forcément dramatique de faire, dans ce pays, une expérience de reparlementarisation car la monarchie républicaine de la cinquième République n’est pas une panacée. »

Le PS doit encore trouver sa position. Un bureau national exceptionnel aura lieu mercredi 27 novembre. Il reste donc aux roses quelques heures pour s’accorder. Et surtout, ne pas obérer les chances de la gauche d’être appelée à gouverner. Pas une mince affaire.

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