Les deux lectures des événements d’Amsterdam
La chasse à l’homme à laquelle se sont livrés des jeunes propalestiniens à l’encontre des supporters du Maccabi Tel-Aviv dans les rues de la capitale néerlandaise, le 8 novembre, est-elle ou non une manifestation d’antisémitisme ? L’interprétation des événements ne peut être exclusive.
dans l’hebdo N° 1836 Acheter ce numéro
Il faut avoir un peu l’âme chevillée au corps pour oser contester l’interprétation quasi exclusive des incidents d’Amsterdam dans nos médias audiovisuels. Notre démocratie est décidément bien fragile quand il s’agit du Proche-Orient. La crainte n’est pas exagérée lorsqu’un ministre de l’Intérieur en vient à menacer des foudres de la justice une députée qui a proposé une autre lecture des incidents (1). La question est de savoir si la chasse à l’homme à laquelle se sont livrés des jeunes propalestiniens à l’encontre des supporters du Maccabi Tel-Aviv dans les rues de la capitale néerlandaise, le 8 novembre, est ou non une manifestation d’antisémitisme. Laissons de côté la comparaison avec la Nuit de cristal, le grand pogrom nazi de 1938, osée dans sa honteuse démesure par Benyamin Netanyahou. On sait le premier ministre israélien prêt à tout pour égarer l’opinion, au plus loin de ses propres crimes.
Un tweet de la députée LFI d’Ille-et-Vilaine, Marie Mesmeur, qui excluait totalement l’explication antisémite lui a valu un « signalement » pour « apologie de crime ».
La question qui se pose ne porte pas sur la violence des jeunes militants propalestiniens, évidemment inexcusable, mais sur son caractère principalement antisémite. Le Crif a popularisé une formule, non sans parfois en abuser : l’antisémitisme, c’est lorsque des personnes sont attaquées « parce que juives ». C’est une définition excellente en effet, et qui suppose l’innocence virginale de la victime, agressée pour ce qu’elle est, et non pour ce qu’elle fait. Sommes-nous dans ce cas de figure à Amsterdam ? Évidemment non. Tenons-nous au plus près des faits. Des vidéos montrent les supporters du Maccabi se livrant avant le match à des violences dans les rues de la capitale néerlandaise. On y entend les klaxons de chauffeurs de taxi après que l’un des leurs eut été attaqué « parce qu’Arabe », et que l’on eut brûlé son véhicule. On y entend des « Fuck les Arabes ! », et surtout des propos exterminateurs scandés à l’entrée du stade : « Que notre armée en finisse avec les Arabes. »
Qui peut oublier que l’extermination, c’est précisément ce qui est en marche à Gaza ? Une vidéo montre encore des dizaines de supporters brandissant le poing et utilisant l’acronyme de l’armée israélienne (Tsahal). Avant que les mêmes sifflent la minute de silence à la mémoire des victimes des inondations en Espagne, parce que ce pays a récemment reconnu l’État de Palestine. On est loin de la définition du Crif… Il y a actuellement 43 000 morts à Gaza, dont 70 % de femmes et d’enfants, de la famine, des épidémies voulues par la volonté d’un petit groupe de dirigeants israéliens. L’hypothèse que les jeunes propalestiniens d’Amsterdam aient voulu se venger de Gaza, et de la complicité du monde, est la plus probable, sinon la seule. Elle n’excuse rien, parce que la vengeance est un sentiment primitif et que la rage leur a inspiré des actes proprement criminels.
La vérité, c’est que les supporters du Maccabi (…) croient pouvoir exporter ce poison à l’étranger.
Mais les supporters du Maccabi étaient-ils des victimes expiatoires ? Il faut beaucoup de mauvaise foi pour le prétendre, et le débat de ces derniers jours n’en a pas manqué. Ils sont connus pour leurs liens avec la pire extrême droite raciste, celle-là même qui est au pouvoir en Israël. Observons au passage que la section basket du même club sillonne l’Europe sans problème. Notons aussi qu’il existe en Israël des clubs, comme l’Hapoël Tel-Aviv, liés aux franges progressistes de la société. Façon de dire qu’il y a encore dans ce pays une certaine diversité. La vérité, c’est que les supporters du Maccabi, habitués à proférer les pires insultes anti-arabes dans un pays où la parole raciste circule désormais librement, croient pouvoir exporter ce poison à l’étranger.
Tout cela nous éloigne de l’autre lecture des événements d’Amsterdam qui renvoie exclusivement à un antisémitisme ancestral. Dans cette interprétation, les 43 000 morts de Gaza ne seraient que prétexte ou alibi (le mot a été prononcé). L’inconvénient de cette interprétation est qu’elle exonère Netanyahou de ses responsabilités, et qu’elle dissimule (mal) un soutien à sa politique. Or, c’est lui qui met en danger ses compatriotes (je n’ose dire ses coreligionnaires, parce que je ne vois pas où est le judaïsme là-dedans) et fait d’Israël un pays paria. Mais si notre interprétation est politique et renvoie, comme la prolifération de l’antisémitisme en France, aux événements du Proche-Orient, elle n’épuise pas notre question. On voit bien que dans la rage des jeunes d’Amsterdam, et dans leur extrême confusion, la question juive resurgit. Comme si l’antisémitisme, qui n’est ni le facteur déclenchant ni l’explication principale, venait tout de même se corréler aux griefs dont ils accablent leurs victimes.
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