Que Trump va-t-il faire de sa victoire ?

Donald Trump emporte donc la présidentielle 2024. C’est une victoire du mythe fasciste de l’homme fort providentiel, des fakes news, du « c’était mieux avant », de la force sur le droit, à l’intérieur des États-Unis comme à l’extérieur. Tout un monde, qui se rapproche d’une jungle, et qui vient de recevoir un renfort de poids.

Denis Sieffert  • 6 novembre 2024
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Que Trump va-t-il faire de sa victoire ?
Des partisans de Donald Trump, à The Villages, en Floride, le 5 novembre 2024.
© Miguel J. Rodriguez Carrillo / AFP

La victoire de Donald Trump n’est pas une surprise. C’est son ampleur qui surprend. Le candidat a réussi un grand chelem. Il s’impose dans tous les « swing states » (1) dont les États postindustriels de Pennsylvanie, du Michigan et du Wisconsin qui ont été longtemps la chasse gardée des Démocrates. Et, à la différence de 2016, il remporte le vote populaire. Pas question donc de ratiociner sur les anomalies du système électoral. Trump a tout gagné, sauf des fiefs inexpugnables des démocrates, comme évidemment New York ou la Californie. Il a même repris le contrôle du Sénat et conserve la Chambre des Représentants.

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États pivots, qui hésitent entre deux partis selon les élections.

Il faut donc aujourd’hui se poser deux questions : pourquoi cette victoire, et que va-t-il en faire ? À la première question, on est tenté de répondre parce que c’est Donald Trump. Le mythe fasciste de l’homme fort et providentiel est sûrement, au-delà de toute autre considération, le facteur principal du raz-de-marée républicain. Il a joué à plein dans l’électorat masculin. Tout ce qui pouvait nous déplaire ou nous inquiéter dans sa campagne, sa grossièreté, son machisme, sa brutalité, ont à l’évidence joué en sa faveur. Parfois par adhésion à un discours conservateur ; souvent par pure volonté de changement et de chamboule tout.

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Trump, la force qui promet de rendre aux États-Unis leur grandeur face à une femme, forcément faible dans l’imaginaire de beaucoup d’Américains, et qui a repris le flambeau des mains d’un vieillard chancelant, c’était le scénario idéal pour une campagne de toutes les caricatures. Les hésitations en Ukraine, les humiliations infligées par Netanyahou à Biden, l’impuissance face à la poussée migratoire ont créé un sentiment décliniste. La victoire de Trump est celle du « c’était mieux avant ». Un sentiment à forte composante identitaire qui a mobilisé non seulement l’Amérique blanche mais aussi de nombreux immigrés intégrés à la société, oublieux de leur propre histoire, et inquiets de devoir subir la concurrence de nouveaux arrivants. Un vote « latino » républicain s’explique par ce phénomène finalement bien connu.

On peut craindre le pire aussi s’il applique son plan de dit « de déportation » de millions d’immigrés.

Le thème de l’immigration, amalgamé à la question sociale et à la criminalité ont été d’une grande efficacité. Le candidat républicain a évidemment noirci à l’extrême ce tableau sur fond d’inflation et de crise sociale. Son dénigrement de sa concurrente, ses calomnies, ses promesses impossibles et sa démagogie ont été servis et amplifiés par un système de propagande massif orchestré par le scientiste affairiste Elon Musk. Cet aspect est à bien des égards le plus inquiétant pour nous et pour la culture qu’il diffuse universellement. La victoire de Trump est peut-être d’abord celle du mensonge et de la « vérité alternative ». Le système fait déjà recette dans beaucoup de dictatures. On en mesure le résultat dans la Russie de Poutine.

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Mais que va-t-il faire de sa victoire et de toutes ces promesses en grande partie irréalisables, sauf à convoquer les armes de la dictature ? Le déclenchement d’une guerre commerciale tous azimuts contre l’Europe et la Chine, avec des barrières douanières réputées infranchissables, aurait des effets bénéfiques à court terme, avant de provoquer des effets dévastateurs, pour l’Europe d’abord, et pour les États-uniens ensuite. Tout comme son programme de déréglementation ultralibérale. Jusqu’où osera-t-il aller dans cette voie ? On peut craindre le pire aussi s’il applique son plan de dit « de déportation » de millions d’immigrés. Une violence extrême est à redouter contre une population fragile et contre tous ceux qui s’aviseraient de les défendre.

La victoire de Trump est celle de la force sur le droit, à l’intérieur des États-Unis comme à l’extérieur.

Enfin, le sort de deux guerres risque de se jouer à la Maison Blanche. « Je vais arrêter la guerre d’Ukraine en 24 heures », a-t-il répété à plusieurs reprises. Rodomontade sans doute. Mais sur le fond, le message est clair : arrêt de l’aide à l’Ukraine et obligation faite à Zelensky de négocier dans la position de faiblesse militaire qui est la sienne. Autrement dit, il s’agit d’offrir à l’ami Poutine une victoire complète, et un encouragement à poursuivre. Au Proche-Orient, bien qu’il ne l’ait pas dit explicitement, on peut imaginer qu’il remettra sur la table son « plan de paix » inabouti de 2018, qui ressemblait à s’y méprendre à une annexion de la Cisjordanie et à une liquidation de la revendication nationale palestinienne. Un plan qui passera par l’intégration de l’Arabie saoudite aux accords d’Abraham. D’autant que le contexte est beaucoup plus favorable avec la guerre à Gaza et au Liban. Ira-t-il jusqu’à encourager Israël à attaquer l’Iran ?

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En Ukraine, comme au Proche-Orient, la « philosophie » est la même : appuyer le fort pour qu’il achève d’écraser le faible. C’est ce que certains appellent le « pacifisme » de Trump. Parmi les leçons qu’il faut retenir pour l’avenir, celle-ci est sans doute la plus inquiétante. La victoire de Trump est celle de la force sur le droit, à l’intérieur des États-Unis comme à l’extérieur. C’est un encouragement pour les despotes à agir à leur guise. On aperçoit là un risque sérieux de liquidation du multilatéralisme et de toutes les institutions internationales. En décrétant persona non grata en Israël le secrétaire général de l’Onu et en interdisant les activités de l’Unwra, l’agence d’aide aux réfugiés, Netanyahou a, en quelque sorte, devancé l’appel.

C’est ce monde-là, qui se rapproche d’une jungle, qui vient de recevoir un renfort de poids. Reste à savoir ce que feront les contre-pouvoirs, dans les États américains, sur la question du droit à l’avortement notamment, et dans le concert international. On a l’habitude de se tourner pour ça vers l’Europe. Peut-elle vraiment s’en donner les moyens, alors que ver est dans le fruit avec le Hongrois Viktor Orbán, qui fut le premier à féliciter Trump ?

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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