À Valence, un désastre climatique et politique

Après les terribles inondations qui ont frappé la région valencienne, les réactions tardives du gouvernement de Carlos Mazón ont suscité la colère des habitants et des réactions opportunistes de l’extrême droite. Pour se relever, la population mise sur la solidarité.

Pablo Castaño  • 20 novembre 2024 abonnés
À Valence, un désastre climatique et politique
Des milliers de citoyens (ici à Catarroja) se sont mobilisés pour évacuer la boue qui envahit les rues.
© Cesar Manso / AFP

« L’eau est montée à presque deux mètres cinquante. J’étais dans l’atelier en train de travailler. Je me suis agrippé ici et là, et, en nageant, j’ai atteint l’escalier », raconte Vicente, habitant de Paiporta, l’un des villages les plus touchés par les inondations du 29 octobre. Des localités entières ont été dévastées en quelques minutes par un tsunami d’eau et de boue qui a causé la mort de plus de 200 personnes.

Les dommages matériels se chiffrent en milliards d’euros ; des centaines de logements et de commerces restent couverts de boue quatre semaines après la tragédie, malgré la mobilisation de plus de 18 000 membres de l’armée, de policiers et de services d’urgence venus de toute l’Espagne.

130 000 logements ont été construits dans des zones inondables, beaucoup pendant le boom immobilier.

M. Requena

Les pluies torrentielles sont un phénomène fréquent sur la côte est espagnole, mais leur intensité et leur fréquence augmentent en raison du réchauffement climatique, qui touche particulièrement la région méditerranéenne. Dans la Communauté autonome de Valence, les conséquences des inondations sont aggravées par un urbanisme qui, depuis des décennies, a ignoré les cours naturels des rivières.

Marina Requena, sociologue à l’université autonome de Barcelone et experte des conflits socio-écologiques dans la région de Valence, explique : « 130 000 logements ont été construits dans des zones inondables, beaucoup pendant le boom immobilier. Le ravin de Poyo [qui a débordé le 29 octobre, Ndlr] accumule des catastrophes depuis longtemps ; un plan existe depuis 1995 pour le réaménager, mais seule une partie a été réalisée. »

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Au manque de planification s’ajoute la négligence du gouvernement régional actuel, le Parti populaire. Le groupe libéral-conservateur était responsable de la gestion des urgences. Malgré l’alerte émise par l’Agence météorologique nationale, le gouvernement valencien n’a pas prévenu la population. « Les enfants étaient à l’académie d’anglais, les clients entraient », raconte Leo, employé dans un salon de coiffure également détruit par la boue. L’eau a pénétré avec une telle force qu’elle a emporté tout le mobilier. « Il ne reste qu’une chaise », déplore-t-il en essayant de nettoyer le local.

Le gouvernement valencien a préféré protéger le tourisme durant le pont de la Toussaint.

A. Ibáñez

Après la catastrophe, les preuves de la négligence gouvernementale se sont accumulées : le jour du désastre, le président de la région, Carlos Mazón, a passé des heures à un déjeuner sans répondre au téléphone. « Le gouvernement valencien a préféré protéger le tourisme durant le pont de la Toussaint. Si la vie avait été priorisée face à l’économie, nous ne parlerions pas de 225 morts », argumente Alberto Ibáñez, député de Compromís (gauche nationaliste).

Outre l’absence d’alerte, la gestion de l’urgence par les autorités valenciennes a été chaotique, au point de refuser pendant des heures l’aide du gouvernement central et celle d’autres régions. Le 9 novembre, la manifestation la plus importante depuis vingt ans à Valence a exigé la démission de Carlos Mazón.

« Sans les volontaires, ce serait bien pire »

Les images dramatiques de centaines de personnes piégées sur des toits de voiture, de citoyens secourus à l’aide de draps tendus depuis les balcons, et de villages entiers sans eau ni électricité ont déclenché une vague de solidarité. Des milliers de personnes se sont rendues à pied dans les villages touchés pour apporter nourriture et médicaments et aider aux opérations de secours et de nettoyage.

« Sans les volontaires, ce serait bien pire. La maison de ma grand-mère a été inondée jusqu’au toit ; 20 à 30 volontaires sont venus tout vider, des personnes dont on ne connaissait même pas les noms. Ils ont aidé et sont repartis », raconte, ému, Jesús, habitant de Paiporta.

La gratitude des habitants envers ces volontaires est proportionnelle à leur méfiance vis-à-vis des administrations, qui ont mis des jours à répondre à l’urgence. La colère contre les autorités s’est manifestée lors de la visite à Paiporta du couple royal, accompagné du président Pedro Sánchez et de Carlos Mazón, cinq jours après la crue des eaux, alors que l’aide restait insuffisante. Les habitants – parmi lesquels se sont faufilés des militants d’extrême droite – ont lancé de la boue sur Felipe VI, la reine Letizia et les deux présidents ; Sánchez a été agressé.

L’extrême droite exploite le drame

L’extrême droite a exploité le désastre pour des gains politiques, en diffusant de fausses informations sur l’origine des pluies – l’une prétendait que la tempête avait été envoyée par le Maroc – et en organisant des collectes pour les villages touchés, souvent en spécifiant qu’elles étaient réservées aux Espagnols.

Revuelta, l’organisation de jeunesse de Vox, a mené une intense activité sur les réseaux sociaux pour montrer ses volontaires, tandis que le propagandiste et eurodéputé Alvise Pérez a enregistré plusieurs vidéos depuis la zone inondée. Peu importe que Vox s’oppose aux politiques climatiques ou encourage le démantèlement de l’Unité valencienne d’urgences, créée par le gouvernement précédent.

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Sur le terrain, la présence réelle de l’extrême droite est moindre que sur les réseaux sociaux. « Ici, il n’y avait ni couleurs ni partis, [juste] des volontaires venus aider », explique la propriétaire d’une quincaillerie de Paiporta qui tente de récupérer une partie de ses produits pour rouvrir son commerce. La présence de militants d’extrême droite était toutefois visible dans des villages comme Catarroja, plus difficile d’accès.

Les mouvements sociaux de la Communauté valencienne et de Catalogne se sont également mobilisés pour distribuer de l’aide, mais avec moins de visibilité. « Nous devons faire notre autocritique », reconnaît Gonçal Bravo, membre du syndicat COS et du Réseau de soutien mutuel créé pour aider les victimes des inondations.

« La conséquence d’un modèle économique »

L’analyste politique Quico Miralles estime que le Parti populaire sera puni pour sa gestion de la tragédie, mais ne pense pas que l’extrême droite en tirera un grand profit : « Ils ont un problème de pénétration sociale, ils restent dans leurs thématiques et se sont discrédités avec les rumeurs infondées. » Alberto Ibáñez, le député de Compromís, rappelle que « la tempête n’est pas tombée du ciel, elle est la conséquence d’un modèle économique ». Il pointe la responsabilité des deux grands partis, qui « n’ont pas compris l’importance de mener des politiques contre le changement climatique ».

Il est encore trop tôt pour savoir si la pire catastrophe environnementale de l’histoire de l’Espagne se traduira par un élan pour les politiques écologiques ou, au contraire, par une montée du désenchantement politique et d’une extrême droite qui relativise la gravité de la crise climatique.

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