Médecins et secouristes : le dernier fil de vie au Liban

Au cœur de la guerre, ces Libanais sont les derniers à rester. Des infirmier·es, des médecins, des secouristes qui refusent d’abandonner leur poste dans les zones ciblées par l’armée israélienne.

Céline Martelet  et  Noé Pignède  • 6 novembre 2024 abonné·es
Médecins et secouristes : le dernier fil de vie au Liban
Les débris de l’ambulance de Qassem visée par une frappe de drône près de Nabatiyé, au sud du Liban. Jeudi 31 octobre 2024.
© Noé Pignède

Dans une chambre de l’hôpital de Nabatiyé, au sud du Liban, un homme est recroquevillé. Replié en position fœtale sous un drap blanc. Son visage est sale, couvert d’une légère poussière grise. Sur le haut de son crâne, un pansement blanc tient à peine. Il porte un polo bleu marine où il est inscrit en rouge : sapeur-pompier. Qassem est secouriste bénévole. Il y a deux heures, son ambulance a été pulvérisée par une frappe aérienne.

« Un de mes collègues est mort, il était à l’arrière », souffle d’une voix brisée le père de famille. Ses yeux se remplissent de larmes et sa bouche se crispe. Qassem lutte pour ne pas éclater en sanglots. « C’est moi qui étais au volant. On était en route pour aller récupérer le corps d’une victime sous des décombres. Une première frappe de drone est tombée juste devant nous. J’ai appelé mes chefs pour savoir si on devait continuer, ou faire demi-tour. Et là, les Israéliens nous ont visés une deuxième fois. »

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Au moment de l’explosion, Qassem a perdu connaissance, il s’est réveillé sur un brancard au service des urgences. De son ambulance, il ne reste quasiment plus rien. Sa carcasse est figée sur le bord de la route à moins de cinq kilomètres de l’hôpital de Nabatiyé. La puissance du missile tiré depuis un drone a tordu le métal du véhicule. Seul le fauteuil où était assis l’ambulancier est encore reconnaissable. Le volant et la porte côté conducteur sont intacts.

Tout le monde connaît notre travail : nous sauvons les gens. On ne transporte pas d’armes.

Qassem

Qassem est un miraculé. « Tout le monde connaît notre travail : nous sauvons les gens. On ne transporte pas d’armes. Si c’était le cas, il y aurait eu une énorme explosion, s’emporte le secouriste à bout de forces. Qu’on fasse une enquête sur les restes de notre véhicule ! Moi, je vais continuer à secourir les victimes de cette guerre, jusqu’à ce qu’elle s’arrête. » Comme dans la bande de Gaza, l’armée israélienne cible les ambulances libanaises en assurant qu’elles sont utilisées par le Hezbollah pour transporter des armes et des munitions.

Selon le ministère de la Santé, depuis un an, au moins 178 secouristes ont été tués dans des frappes aériennes et 244 ambulances ont été détruites ou endommagées. Human Rights Watch (HRW) a enquêté sur deux de ces attaques et, selon l’ONG, rien n’indique une utilisation « à des fins militaires » des véhicules de secours ciblés.

HRW réclame une enquête internationale et rappelle qu’en vertu des « lois de la guerre, les médecins, les infirmières, les ambulanciers et les autres personnels de santé et médicaux doivent être autorisés à faire leur travail et être protégés en toutes circonstances. Ils ne perdent leur protection que s’ils commettent, en dehors de leur fonction humanitaire, des ‘actes nuisibles à l’ennemi’ ».

Des ambulances et des hôpitaux pris pour cibles

À l’hôpital de Nabatiyé, sur la trentaine de patients pris en charge, huit sont des secouristes. Parmi eux, le chef de la défense civile libanaise de la région. Lui aussi est un miraculé. Hussein Fakih a été gravement blessé le 16 octobre. Ce jour-là, il est en opération pour récupérer les nombreuses victimes d’un raid aérien israélien. Sur la route en direction des urgences, alors qu’il roule à vive allure, un premier convoi de véhicules de secours est pris pour cible. « L’ambulance juste devant la nôtre a été pulvérisée. Le souffle de l’explosion m’a fait perdre connaissance », explique Hussein Fahik encore allongé sur son lit d’hôpital.

Israël ne respecte pas le droit international, il nous cible directement.

H. Fakih

Après douze jours en soins intensifs, il a retrouvé ses esprits mais des questions le hantent : pourquoi ont-ils été ciblés ? Pourquoi la communauté internationale reste si silencieuse ? Treize de ses collègues ont été tués depuis le début de la guerre. Le plus jeune avait 26 ans. « Israël ne respecte pas le droit international, il nous cible directement. Il faut faire quelque chose pour nous, pour les ambulanciers. On doit être protégés », supplie presque Hussein Fakih.

Quelques minutes plus tard, un infirmier entre dans sa chambre et lui montre une alerte sur son téléphone. Quatre ambulanciers viennent encore d’être tués au sud du Liban. Presque au même moment, l’écho d’un bombardement tout proche résonne dans les couloirs de l’hôpital. Personne ne semble y prêter attention. Dans la banlieue sud de Beyrouth, fief du Hezbollah, le personnel de l’hôpital Sainte-Thérèse s’est aussi habitué à cet écho qui fait trembler les vitres.

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L’établissement est situé à Hadeth, quartier massivement pris pour cible par l’armée israélienne ces dernières semaines. Tout autour, les rues sont désertes, seuls quelques chats errent à la recherche de nourriture. « Là, c’est ce qu’il reste des quatre immeubles bombardés il y a deux jours », décrit le docteur Élie Hachem depuis une fenêtre du sixième étage. Également directeur exécutif de l’établissement, il désigne du doigt, à moins de deux cents mètres, un amas de béton d’où s’élève encore de la fumée.

Au rez-de-chaussée, la puissante explosion a détruit l’amphithéâtre de cet hôpital universitaire. Le faux plafond s’est effondré. « On réparera plus tard », souffle le chirurgien. Plusieurs dizaines de patients sont encore prises en charge dans les différents services et une partie des soignants dorment sur place pour éviter les déplacements risqués dans ce quartier aux allures de cité fantôme.

55 établissements hospitaliers ont été touchés par des frappes aériennes, 36 étaient ‘directement ciblés’.

« On n’a pas été ciblés directement pour le moment, donc on s’empêche de penser au pire », confie Élie Hachem, installé dans son bureau. Un bruit sourd vient l’interrompre. « Vous entendez ? Ça, c’est un bombardement. On a été avertis ? », demande le docteur à l’un de ses collaborateurs. « Non ? Donc celui-là, c’est une surprise. » Selon les autorités libanaises, 55 établissements hospitaliers ont été touchés par des frappes aériennes, 36 étaient « directement ciblés » assure Firass Abiad, le ministre libanais de la Santé.

Des bébés prématurés menacés

Au sein de l’hôpital Sainte-Thérèse, les docteurs et les infirmiers sont aussi devenus des experts militaires. À une dizaine de reprises déjà, le standard a reçu un message préenregistré de l’armée israélienne annonçant des raids aériens éminents sur des bâtiments proches. L’équipe médicale doit alors calculer quel service risque d’être endommagé par l’explosion et déplacer les patients. « Tout cela en moins de dix minutes », se vante presque le docteur Hachem.

Début octobre, c’est la néonatalogie qui était menacée. Il a fallu mettre en sécurité les bébés prématurés. Le plus fragile pesait moins d’un kilo. Tous ont fini dans la chapelle sous les portraits de la Vierge Marie. Historiquement, cet hôpital était tenu par des religieuses avant d’être racheté. « On a des patients de toutes les confessions », précise son directeur.

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Avec l’intensification de la guerre ces dernières semaines, de nombreux hôpitaux ont dû fermer et, selon l’Organisation mondiale de la santé, une centaine de centres de soins ne sont plus actifs. Des centres de soins pourtant essentiels au cœur d’un pays plongé dans une crise économique sans fin. De plus en plus de familles n’ont plus les moyens d’aller voir un médecin ou d’acheter des médicaments. Dans la région de Hasbaya, au sud du Liban, le dernier centre de soins est mobile. Une équipe de soignants de l’ONG Amel se déplace d’un village à l’autre et s’installe dans des salles transformées en cabinet médical.

« Si je pars, qui va faire le suivi de toutes ces femmes ? »

Le docteur Bassem y enchaîne les consultations. Soixante-dix en moyenne chaque jour, en majorité des enfants. Ce Libanais n’est ni pédiatre ni médecin généraliste. Il y a un mois, il était encore cardiologue dans un établissement privé à Beyrouth. « J’essaye de faire ce que je peux pour aider les gens, pour participer à l’effort collectif, explique le médecin tout en auscultant un petit garçon. C’est un devoir, je n’ai pas le choix. C’est dangereux de venir ici mais c’est pareil si je reste chez moi, alors je préfère me mettre en danger en faisant mon travail. »

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Dans une salle voisine, Sally Alawiyé a improvisé un cabinet de gynécologie avec un échographe portable et une lampe d’examen. La sage-femme a tout perdu dans cette guerre : sa maison et son cabinet ont été détruits par l’armée israélienne mais elle reste. « Il n’y a plus de gynécologue ici, si je pars, qui va faire le suivi de toutes ces femmes ? » interroge la médecin. Le stress provoque des problèmes obstétriques et augmente le risque d’accouchement prématuré. Dans cette région, il n’y a plus de couveuses pour prendre en charge les bébés fragiles. »

Sally Alawiyé cache derrière son bureau un ventre arrondi. Elle est enceinte de huit mois et, comme les femmes qu’elle reçoit chaque jour, elle ne sait pas où elle va accoucher dans quelques semaines.

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