« L’Amante anglaise », un crime qui résiste
Le metteur en scène Jacques Osinski s’empare avec l’épure et la radicalité nécessaires de L’Amante anglaise de Marguerite Duras.
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L’Amante anglaise / Du 19 octobre au 31 décembre 2024 au Théâtre de l’Atelier à Paris. www.theatre-atelier.com. Également du 9 au 11 janvier 2025 au Théâtre Montansier à Versailles, le 14 janvier au TAP à Poitiers, les 16 et 17 janvier à Châteauvallon – Liberté Scène nationale à Toulon, le 8 février aux Franciscaines à Deauville…
Remettre aujourd’hui L’Amante anglaise sur le métier théâtral n’est pas une mince affaire, et l’on pouvait se douter que Jacques Osinski en avait conscience en s’y risquant aujourd’hui. Après avoir longuement travaillé sur l’œuvre de Samuel Beckett – il en a monté Cap au pire, La Dernière Bande, L’Image et Fin de partie –, il eût été surprenant que le metteur en scène vienne à Marguerite Duras pour la séduction que peut exercer son œuvre.
Après une introduction dite selon le vœu de l’autrice par une voix off enregistrée, les premiers mots réellement prononcés confirment cette intuition. « Vous voulez bien dire qui vous êtes ? » Parce qu’elle est dite par Frédéric Leidgens, qui vient s’installer parmi le public, cette question très simple d’apparence se charge d’emblée d’une dimension existentielle. Interprète avec Denis Lavant de la Fin de partie d’Osinski, le comédien assure le lien entre la période beckettienne du metteur en scène et sa nouvelle aventure théâtrale.
La diction étrangement saccadée, le timbre à la fois doux et intense de Frédéric Leidgens se prêtent parfaitement au personnage de l’Interrogateur qu’il incarne. Son étrangeté récompense les efforts de Marguerite Duras, qui pour en arriver à ce protagoniste dont on ne sait rien, surtout pas les motifs de son enquête sur le meurtre par une certaine Claire Lannes de sa cousine germaine sourde et muette Marie-Thérèse Bousquet, a dû revenir à plusieurs reprises sur le crime réel qui l’a inspirée.
Les grands silences du texte
Avant la version théâtrale de L’Amante anglaise, écrite en 1968 et presque aussitôt mise en scène par Claude Régy – créée avec Madeleine Renaud, Claude Dauphin et Michael Londasle, cette pièce s’est jouée durant de nombreuses années –, Duras a en effet consacré un roman du même nom à l’histoire. Et avant cela encore, elle s’y attaquait dans une première pièce, Les Viaducs de la Seine-et-Oise (1960).
Il y a dans L’Amante anglaise une énigme que Duras n’a eu de cesse de chercher non pas à résoudre, mais à exprimer. Réactiver l’opacité sans tenter de la dissoudre est d’autant plus périlleux que la pièce a déjà derrière elle une longue et belle existence. Jacques Osinski y parvient par l’épure.
Grégoire Oesterman (Pierre Lannes, le mari de la meurtrière) et Sandrine Bonnaire (dans le rôle de Claire Lannes, elle fait son retour au théâtre après s’en être longtemps éloignée), qui se succèdent sur le plateau nu du Théâtre de l’Atelier, répondent aux interrogations que leur adresse le troisième acteur avec une retenue et une profondeur qui vont sonder avec une élégance parfaite les grands silences du texte.