La Société de géographie, nouveau bastion du climatoscepticisme en France
Le président de la Société de géographie – la plus ancienne au monde –, a remis deux fois d’affilée son Grand prix à des figures du scepticisme sur l’origine humaine des dérèglements climatiques. Une posture militante jugée irresponsable par certains de ses membres, dont Damien Deville et Maxime Blondeau, qui ont annoncé leur démission cette semaine et signent cette tribune.
Nous entrons dans un momentum critique pour la science.
La victoire de Donald Trump annonce une série d’attaques en règle contre le consensus scientifique. Dès les premières semaines de son mandat, le président réélu pourrait supprimer l’Agence de protection de l’environnement et l’agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA), une référence mondiale dans l’étude du climat. Pourquoi ? Pour satisfaire une promesse électorale et faire passer le consensus scientifique pour un argument politique.
Il suffit de peu pour qu’une institution lumineuse ne s’éteigne sous un voile de poussière.
La France n’est pas à l’abri de ces dérives : certaines institutions officielles épousent déjà cette trajectoire, comme la Société de géographie et certains collèges honorifiques associés à l’Institut de France. Il suffit de peu pour qu’une institution lumineuse ne s’éteigne sous un voile de poussière. Pour qu’une société illustre, jadis porte-voix de la connaissance, ne se métamorphose en hochet politique, au service d’une idéologie réactionnaire.
La Société de géographie est la plus ancienne société de géographie du monde, fondée à Paris en 1821. Sa mission depuis toujours est d’explorer, d’étudier et de promouvoir la connaissance géographique. Elle a joué un rôle essentiel dans l’avancement des explorations au XIXᵉ siècle, organisant des conférences, des expéditions, et publiant des travaux qui ont grandement contribué à la connaissance du monde.
Elle a compté dans ses rangs des héros et des idoles du savoir, comme Alexandre von Humboldt, Paul-Émile Victor, Jacqueline Beaujeu Garnier, Cousteau, Amundsen, Peary, Châteaubriand, Paul Vidal de la Blache ou Élisée Reclus, des explorateurs et géographes visionnaires, des défenseurs et défenseuses de notre planète. Mais depuis 2010, la proximité de la Société avec le climatoscepticisme est devenue explicite.
Nous sommes entrés dans la Société de géographie comme d’autres entrent dans l’armée. Elle a pour elle le prestige d’une longue histoire, et elle inspire le respect. Ses équivalents anglo-saxons sont le National Geographic ou la Royal Geographical Society, devenus des médias internationaux proposant magazines, films et même une chaîne de télévision consacrée à la complexité et la beauté du monde. La Société de géographie française, elle, n’est plus qu’un spectre.
Faut-il qu’elle survive en se plaçant à contre-courant du consensus scientifique ? Croit-elle résister aux affres du temps par la controverse ?
Nous sommes majoritaires au sein de la Société de géographie à reconnaître le consensus scientifique sur l’origine anthropique du dérèglement climatique.
Nous sommes majoritaires au sein de la Société de géographie à reconnaître le consensus scientifique sur l’origine anthropique du dérèglement climatique. Les travaux du Giec sont robustes et établis, et nous sommes convaincus, à la suite du CNRS et des institutions scientifiques de ce pays, que le dérèglement climatique est d’origine anthropique. Les proportions de ses autres causes, liées aux cycles naturels de la Terre et du Soleil, sont mesurées et prises en compte dans les modèles, par les paléoclimatologues, les géochimistes, les océanographes et les scientifiques du climat.
En ce moment même, des milliers d’entreprises et de collectivités œuvrent à organiser une transformation sociétale et industrielle inédite et difficile en Europe. La décarbonation de notre économie est un grand défi qui demande de la sueur, de la coopération et du temps. C’est un manque de respect pour tous ces gens que de s’amuser à ramer à contre-courant pour le plaisir de la controverse intellectuelle.
Une société savante doit, par sa nature même, générer de la confiance entre la science et la société. Sous couvert d’une vision prétendument optimiste, le climatoscepticisme se nourrit en fait des peurs, il combat la lucidité, il sape la confiance.
La société de géographie n’est plus la gardienne du temple. Nous recevons bien une newsletter régulière. Nous sommes invités à écouter des conférences à Paris. On nous propose des croisières, aux quatre coins du monde, à la charge de chacun des membres souhaitant y participer.
Mais où sont les territoires, pourtant premier objet d’étude, où sont les enquêtes, les récits et les liens noués par la science géographique elle-même ? Où sont les chercheurs, les jeunes, les femmes, les visages nouveaux, résidant loin de Paris, qui ont fait d’un territoire aimé, leur lieu de vie et de travail ? La science est avant tout une histoire de transmission. Dans une société de plus en plus fragmentée, elle doit demeurer un repère vers la confiance. Non pas une pensée unique, non pas un dogme, mais le respect de la raison et de l’avenir.
La Société de géographie a abandonné les fronts de recherche de la discipline qu’elle est censée représenter.
La Société de géographie a abandonné les fronts de recherche de la discipline qu’elle est censée représenter. La géographie du lien et du lieu, comme nous aimons la pratiquer. Une géographie qui tisse la réciprocité entre habitat et habité, qui décrit les ruptures et les blessures laissées par le temps dans les territoires et cherche à en réveiller les opportunités. Une géographie qui devient cosmographie, une pensée complexe, dynamique et intégrale qui interroge sans cesse ses relations avec le vivant et la technologie. Et qui ouvre au sortir de 12 000 ans de domination technique et extractive, la porte d’un nouvel âge, celui du soin et de l’alliance.
Ce penchant assumé de la Société de géographie pour le climatoscepticisme s’inscrit dans un débat urgent à mener sur la relation entre science et société. Certains narratifs politiques ont fait de la science un ennemi désigné, avec un agenda qui détériore le débat public et excite les mauvaises passions. Nous sommes à l’aube d’une colonisation des imaginaires. Alors aux gardiens des sciences de la terre et de la vie, aux passionnés de géographie, nous adressons ce message :
« Chérissons notre cohérence.
Ne sacrifions ni la science ni l’avenir. »
Maxime Blondeau est cosmographe, enseignant à Sciences Po Paris, Mines ParisTech et l’INSP (ex ENA). Auteur de l’ouvrage Géoconscience, il interroge notre perception collective du territoire et vit à Vannes dans le Morbihan.
Damien Deville est docteur en géographie culturelle, spécialisé dans les approches du milieu, chercheur associé à l’UMR Médiations. Auteur et conférencier, il enseigne à Paris 1 La Sorbonne, à Sciences Po Rennes et à l’Institut Polytechnique de Toulouse. Il vit dans le Sud de la Sarthe.
Des contributions pour alimenter le débat, au sein de la gauche ou plus largement, et pour donner de l’écho à des mobilisations. Ces textes ne reflètent pas nécessairement la position de la rédaction.
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