« Écouter les victimes, c’est une responsabilité humaine immense »
Marine Longuet est assistante de réalisation et formée pour être référente harcèlement. Elle est aussi membre élue au conseil d’administration du collectif 50/50. Cette association, créée en 2020, lutte contre les inégalités, les discriminations et les violences sexistes et sexuelles dans le cinéma.
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Où en sommes-nous des annonces du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) destinées à lutter contre les violences sexistes et sexuelles ?
Marine Longuet (1) : Le premier volet a été présenté en 2021. Depuis cette date, pour obtenir des fonds du CNC, les producteurs doivent suivre une formation qui leur rappelle leur responsabilité en tant qu’employeur. Le deuxième volet concerne la formation obligatoire des équipes. Elle doit être mise en place au printemps 2025. Depuis trois ans, toute personne ayant le statut d’intermittent a le droit à une formation gratuite d’un à trois jours pour revenir sur les définitions des violences sexuelles, les rapports hiérarchiques, le repérage de situations problématiques et la manière dont on peut alerter.
Marine Longuet est assistante de réalisation et formée pour être référente harcèlement, via le module de formation : « Être ambassadeur et ambassadrice référent·e VHSS », dispensé par le groupe Egaé (mandaté par le CNC).
Qui se présente à ces formations suivies sur la base du volontariat ?
Ce sont majoritairement des femmes, dont beaucoup sont issues des fonctions les moins qualifiées. Comme les régisseuses, qui sont souvent au contact de l’acteur, avec les équipes de l’habillage, du maquillage et de la coiffure. Ces personnes peuvent être victimes de plusieurs dominations : économiques, liées au genre ou encore à la sexualité supposée. Elles sont régulièrement dévalorisées alors que leurs compétences sont centrales dans la construction d’un film.
C’est à l’image de la société : bien qu’essentiels, les métiers dits féminins sont déconsidérés. La participation de ces femmes à la formation illustre une forme de lutte des classes au sein du cinéma. Un combat porté par des personnes occupant les fonctions les moins reconnues, avec l’objectif de faire cesser la reproduction des violences.
Aujourd’hui, dans le milieu du cinéma, les questions de violences sont dans toutes les têtes.
Que peut changer la formation obligatoire ?
Elle peut participer à changer les habitudes de travail. Une partie de cette formation, réalisée par un·e intervenant·e formé·e, se déroulera au moment de la préparation du film. Aujourd’hui, dans le milieu du cinéma, les questions de violences sont dans toutes les têtes. Mais, une fois arrivé sur le plateau, en parler demeure difficile. Cette formation pourrait créer de vrais appels d’air sur des films où la parole circule encore très peu.
Les comédiens pourront-ils bénéficier de cette formation ?
Oui, parce que la première partie se fait à distance, pour toute l’équipe. Pour la seconde partie, en présentiel, rien n’est moins sûr. S’ils ne le souhaitent pas, je ne vois pas comment ils pourraient y être contraints. À l’heure actuelle, ce second volet devra être suivi, au minimum, par les personnes assurant les postes principaux (directeur de production, réalisateur, directeur de la photographie, chef décorateur, créateur des costumes, etc.). Or les formations auront lieu lors des périodes de préparation et non pendant les tournages. Les comédiens ne seront donc pas forcément là. Pourtant, nous avons besoin d’être ensemble dans une même pièce pour entendre ce qu’est la réalité du droit du travail en termes de lutte contre les violences sexistes et sexuelles !
Aujourd’hui, les personnes référentes harcèlement peuvent être liées à la production. Certain·es militent pour que cette fonction soit assurée par quelqu’un qui est indépendant du film. Qu’en pensez-vous ?
Ces référents existent depuis 2021. On a fait de grands pas dans la lutte contre les violences sexuelles en peu de temps. La mise en place de ces référents en fait partie. Mais c’est loin d’être suffisant. Des dizaines de témoignages ont révélé la réalité de certaines pratiques de travail, et celles-ci perdurent alors qu’au même moment des dispositifs sont en train d’être appliqués. C’est comme un état traumatique collectif. On s’est mis à attendre des référents qu’ils règlent les problèmes. Ce n’est pas leur mission : ils doivent proposer des outils. Écouter et conseiller, c’est une responsabilité humaine immense. Arbitrer les faits de violence est de la responsabilité de l’employeur et, in fine, de la justice.
On ne recueille pas la parole d’une personne qui a subi des violences à la machine à café, devant tout le monde.
Les productions ont-elles une part de responsabilité lorsqu’elles engagent des comédien·nes qui sont entouré·es d’éléments faisant état de violence – concrets ou sous la forme de rumeurs ?
Oui, mais il faut aussi démêler ce qu’on appelle une « rumeur ». Celle-ci peut désigner des faits très graves et très précis, qui ne sont pas toujours publics, mais elle peut aussi reposer sur des comportements encore acceptés collectivement : des propos, des gestes, des regards insistants qui n’ont pas leur place en milieu professionnel. Les producteurs doivent être honnêtes : quand ils entendent ce qu’on sait depuis des années sur une personne, ils ne peuvent pas mentir. Quand ils viennent sur les plateaux, les producteurs pourraient constater, discuter, témoigner. Mais la plupart ne font que s’asseoir derrière le retour caméra et filer à la cantine pour manger avec les comédiens.
Ceux qui veulent savoir n’ont qu’à poser des questions. On ne recueille pas la parole d’une personne qui a subi des violences à la machine à café, devant tout le monde. Certains producteurs se saisissent avec intelligence des outils et protocoles mis à leur disposition. Et ceux qui ne sont pas convaincus par la nécessité d’un changement de pratiques, qu’ils s’intéressent au vécu de leur femme, leur fille, leur mère, leur tante, leur fils et leur frère, sur la manière dont les violences sont systémiques et comment elles peuvent être enrayées, dans le cinéma comme dans la société.