2023, funeste année record pour les morts au travail
L’Assurance maladie vient de publier son rapport annuel sur la sinistralité au travail. Avec 759 décès suite à un accident du travail, l’année 2023 confirme la tendance à la hausse déjà constatée l’an dernier.
Les années s’enchaînent. Et les chiffres augmentent, inexorablement. Pour la deuxième année consécutive, le nombre d’accidents du travail mortels dépasse des niveaux jamais atteints sur les dernières années. En effet, dans son rapport annuel sur les risques professionnels et la sinistralité, la Caisse nationale d’Assurance maladie (CNAM) a recensé 759 décès suite à un accident du travail en 2023.
La publication de ce rapport ne fait pas – c’est une habitude – la une des journaux en cette veille de Noël où l’aspect social ne revient dans l’actualité que pour évoquer la peur d’une grève à la SNCF ou chez les transporteurs de colis. Pourtant, ce chiffre, très important, représente une hausse de 21 décès par rapport à 2022 où 738 personnes étaient mortes dans un accident de travail.
Surtout, ce rapport vient conforter une tendance que les données de 2022 avaient commencé à dessiner. D’année en année, le nombre de morts au travail augmente. En effet, il faut mettre de côté les données de 2020 et 2021 qui, du fait du covid-19 et de l’arrêt partiel de l’économie, constitue des années non représentatives. Mais les chiffres de 2022 étaient déjà venus confirmer une forte hausse constatée en 2019.
À l’époque, l’augmentation de 2019 avait été placée sur le compte d’un changement de méthodologie statistique prenant mieux en compte les malaises, sans pour autant que les conséquences de ce changement ne soient pleinement quantifiables. « J’ai discuté avec des statisticiens de la CNAM qui m’ont assuré que ce changement n’expliquait qu’en partie cette hausse », assurait l’an passé, à Politis, Matthieu Lépine, auteur de L’Hécatombe invisible, Enquête sur les morts au travail.
Sauf qu’entre 2019 et 2023, aucun changement méthodologique majeur n’est à noter. Et l’augmentation, elle, se poursuit, atteignant des chiffres jusque-là jamais atteints au XXIe siècle dans l’Hexagone. Dans le détail, c’est toujours les malaises qui représentent le risque principal avec 57 % des décès constatés. Une part stable par rapport à 2022. Le risque routier (12 %) diminue légèrement, comme les suicides (4 %). Le reste, qui sont donc les accidents du travail « classiques » (pour reprendre les termes de la CNAM), est la seule part qui augmente légèrement par rapport à 2022 (25 %, +1 point).
Une autre spécificité de ce rapport saute aux yeux à sa lecture : le nombre de morts au travail continue d’augmenter, alors qu’en parallèle, le nombre d’accidents du travail continue de diminuer. En 2023, la Caisse a recensé 100 000 accidents du travail de moins qu’en 2019 – même si elle invite dans le même temps à la prudence.
Décrochage
En effet, en 2022, l’Assurance maladie a remarqué que ses séries historiques sur les risques professionnels « décrochaient » et que ce décrochage ne peut « être expliqué par des évolutions favorables ‘naturelles’ de la sinistralité ». Dans ce nouveau rapport, elle n’explique pas ce changement, constatant seulement que « l’année 2023 confirme une rupture depuis la crise sanitaire des séries statistiques antérieures ».
Même constat sur les journées d’incapacité temporaire (IT) qui sont, elles aussi, fortement en hausse. Leur nombre dépasse les 51 millions, soit plus de cinq millions qu’en 2019 ! Le tout, alors que la population salariée du régime général a augmenté de plus d’un million entre ces deux bornes temporelles.
Autrement dit, et même s’il faut être prudent avec l’analyse de ces données, tout porte à croire que la gravité des accidents du travail est de plus en plus importante. Le BTP, les transports et les services (intérim, santé, nettoyage, etc.) restent, toujours, les secteurs d’activité les plus mortels.
Des secteurs qui cumulent des facteurs accidentogènes largement reconnus : sous-traitance en cascade, manque de formation, cadence élevée, précarisation des statuts, conditions de travail extrêmes, etc. Autant de raisons qui accroissent les risques, sans pour autant que ces sujets majeurs s’imposent comme un problème public d’ampleur.
Enfin, ce chiffre de 759 décès intègre uniquement les salariés du régime général. Donc les secteurs agricoles ou de la fonction publique en sont, par exemple, absents. Ainsi, cet ouvrier agricole de 35 ans, mort écrasé par son tracteur en mai 2023 en Gironde, ne fait pas partie des 759 morts au travail décomptés par la Caisse.
Phénomène de société
L’an passé, Politis avait compilé les données disponibles des différents régimes. Ce recensement montrait que l’augmentation du régime général n’était pas une exception, mais bien un phénomène de société qui transcendait les secteurs d’activité. En 2022, nous recensions 903 morts, un funeste record au XXIe siècle. Si, pour 2023, les autres régimes n’ont pas encore publié leurs données, la hausse significative du régime général laisse présager un nouveau record dramatique.
Publié en fin de semaine dernière, ce rapport n’a retenu l’attention d’aucun média généraliste pour le moment. Lequel vient pourtant, une nouvelle fois, battre en brèche le discours gouvernemental qui, en prétextant une « redoutable stabilité » – dixit Olivier Dussopt en 2023 – , se désintéresse de ce sujet qui touche bien souvent les plus précaires de notre société.