Un excellent programme
Où notre chroniqueur toujours de bonne humeur nous parle du polar De Serres et de crocs, de l’écrivain américain James A. McLaughlin, qui, outre sa trame solide, vaut pour sa critique des capitalistes ultraviolents.
dans l’hebdo N° 1839 Acheter ce numéro
Quiconque tend un peu l’oreille vers ce que nous en dit la science le sait pertinemment – et doit, par conséquent, se motiver un peu activement pour ne pas céder à l’envie de se replier dans la montagne cévenole pour grignoter des châtaignes en contemplant la fin d’un monde : nous n’éviterons évidemment pas l’immense catastrophe climatique et environnementale dans laquelle nous sommes, de fait, déjà pris jusqu’à l’humérus. (Estimation optimiste.)
Désespérer, c’est simplement reconnaître qu’on s’est fait avoir, au départ, par de belles conneries .
J. McLaughlin
Par suite, et parce que les responsables de ladite catastrophe n’ont bien sûr aucune intention de nous laisser même essayer d’amoindrir ses effets, nous allons aussi devoir essuyer, jusque sur nos paliers, une fascisation générale auprès de quoi l’addition des vilenies perpétrées dans la dernière décennie par les droites « occidentales » prendra des allures de simple ébauche d’un commencement d’esquisse.
On sort, par coïncidence, de la lecture d’un livre dont on voudrait faire ici la réclame, car il est tout à fait épatant – en même temps que, détail non négligeable par ces temps difficiles, d’un coût modique. De Serres et de crocs, de l’écrivain américain James A. McLaughlin (1), que l’on ajoute donc à la déjà longue liste de nos Yankees de bibliothèque, se présente comme un solide polar, où un frère – Bowman – et une sœur – Summer –, flanqués de leurs deux oncles (possiblement) indiens-américains, peinent à maintenir à flot le ranch familial du Colorado, jusqu’à ce que leur arrive, bonne nouvelle, un immense héritage. Mauvaise nouvelle : c’est de l’argent volé en des temps reculés à la mafia – qui est, comme on sait, rancuneuse et vindicative.
De Serres et de crocs, James A. McLaughlin, (excellemment) traduit de l’américain par Christian Garcin, J’ai lu, 540 pages, 9,20 euros.
Mais, au-delà de cette trame solide – où l’auteur convoque habilement les ingrédients nécessaires à une potentielle adaptation en film ou série de qualité –, l’ouvrage vaut surtout pour sa critique, à tout le moins drastique, des capitalistes ultraviolents qui ont très consciemment fait de notre bonne vieille Terre l’endroit invivable qu’on disait au début de cette chronique – et qui n’ont certes pas l’intention de s’arrêter en si bon chemin, puisque, prévient très lucidement Bowman : « Avec le désastre climatique, ils [vont] se déchaîner de manière préventive, déployant leurs richesses, leurs technologies, leurs troupes, leurs armements, exploitant tous ceux qu’ils [auront] besoin d’exploiter, détruisant tout ce qu’ils [auront] besoin de détruire, afin de prolonger leur confort, leurs avantages et, au bout du compte, leur existence. »
Il n’est cependant nulle part question – tant pis pour les Cévennes – de baisser les bras, ni même d’abandonner trop de terrain au désespoir, car « désespérer, c’est simplement reconnaître qu’on s’est fait avoir, au départ, par de belles conneries », explique Summer, qui fait à son frère, épouvanté par le nouveau cours du « fleuve de l’histoire de l’humanité », cette fort honnête proposition : « Créons quelques tourbillons. » À bien y réfléchir : cela pourrait bien être, pour les temps qui viennent, un excellent programme.
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.
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