« Après la victoire de Trump, le nécessaire sursaut féministe et LGBT »
Sasha Yaropolskaya, militante au sein de l’organisation féministe Du Pain et des Roses, a dû fuir la Russie du fait de son engagement LGBT.
dans l’hebdo N° 1840 Acheter ce numéro
Sasha Yaropolskaya, militante au sein de l’organisation féministe Du Pain et des Roses, a dû fuir la Russie du fait de son engagement LGBT. Avec l’élection de Donald Trump, elle dresse le triste constat que les droits des trans et des LGBT sont, désormais, attaqués partout et appelle à un « sursaut massif » face à cette vague réactionnaire.
Il y a dix ans, en 2014, je participais au premier rassemblement LGBT de ma vie à Saint-Pétersbourg. Quelques mois après le passage de la loi interdisant la « propagande LGBT » aux mineurs, nous étions une poignée de militants avec quelques drapeaux et pancartes. Les luttes LGBT en Russie donnaient alors un sentiment d’impuissance. Aurions-nous pu imaginer où nous en serions dix ans plus tard ?
Aujourd’hui, la Russie est en guerre, et les trans et les LGBT n’ont plus de droits : le « mouvement LGBT » est déclaré « extrémiste », les raids policiers contre les clubs LGBT sont devenus une routine. Beaucoup d’entre nous ont dû prendre le chemin de l’exil. Pendant des années, les médias occidentaux ont opposé le conservatisme russe au progrès des démocraties libérales occidentales, où les droits LGBT progressaient petit à petit. Alors nous nous y sommes réfugiés : l’Allemagne, le Royaume-Uni, les États-Unis et, pour ma part, la France.
À l’époque, en Europe et aux États-Unis, régnaient dans nos communautés les illusions institutionnelles, l’idée d’un progrès lent mais constant et certain. Il suffirait de faire du plaidoyer et des Prides annuelles pour aboutir à l’émancipation. Dix ans plus tard, on assiste à la bascule de cet âge de l’insouciance vers une époque de crises et de guerres où l’exemple de la Russie n’est plus une exception mais plutôt la règle.
La crise du néolibéralisme à l’échelle internationale a provoqué l’érosion des partis traditionnels. La flambée du coût de la vie et le chômage ont ouvert la voie à l’instabilité politique et à la colère, qui s’est exprimée sur le terrain de la lutte des classes, depuis les gilets jaunes et le mouvement contre la réforme des retraites jusqu’aux révoltes au Chili. Mais cette colère s’est aussi exprimée sur le terrain politique à travers la montée de l’extrême droite : le RN en France, AfD en Allemagne, Reform au Royaume Uni et enfin le trumpisme aux États-Unis.
Depuis l’élection, j’ai vu des militantes trans états-uniennes envisager sur les réseaux sociaux de se réfugier en Europe.
La réélection de Donald Trump début novembre a créé une onde de choc. Après avoir mené une campagne ultra-xénophobe, l’ex et futur-président a gagné en ratissant les classes populaires paupérisées par l’inflation, qui a explosé durant le mandat démocrate. Trump désigne les coupables de la crise : non pas le grand patronat – qui, à travers la figure d’Elon Musk, va siéger à son gouvernement –, mais les immigrés et les trans. Depuis l’élection, j’ai vu des militantes trans états-uniennes envisager sur les réseaux sociaux de se réfugier en Europe.
Mais où ? Dans les pays impérialistes, la crise a fait tomber le masque progressiste des régimes néolibéraux. Les libéraux vont toujours plus loin dans la surenchère réactionnaire avec l’extrême droite. La lutte contre l’immigration, la militarisation, mais aussi sur le terrain du genre : Emmanuel Macron avec son « réarmement démographique » et ses « droits trans ubuesques » ; le Labour de Keir Starmer avec son maintien de l’interdiction des transitions pour les mineurs.
On doit sortir de cette impuissance et profiter de la crise politique pour apporter une issue progressiste à la situation.
Ces tendances appellent un sursaut massif du mouvement féministe et LGBT, ainsi qu’une mise à jour de son logiciel. L’approche du plaidoyer se retrouve dans une impasse face aux États qui se préparent à la guerre. La logique du « moindre mal », à savoir le barrage électoral avec les partis fauteurs de crise (les Démocrates, le NFP avec le PS), n’a pas permis de vaincre l’extrême droite et a renforcé la résignation dans les rangs des militant·es qui se sont rendu·es aux urnes en se pinçant le nez.
Sept ans après le début de #MeToo, les féminicides explosent et le mouvement féministe est affaibli et incapable de proposer une réponse à la hauteur.
On doit sortir de cette impuissance et profiter de la crise politique pour apporter une issue progressiste à la situation. Inspirons-nous des mouvements de masse qui ont conquis le droit à l’avortement en France, aux États-Unis et en Argentine, même sous des gouvernements de droite. Certains pointent l’impuissance des manifestations à gagner des avancées aujourd’hui. La composante manquante pour gagner, c’est la force du mouvement ouvrier : la grève reconductible, l’arrêt de la production et de la circulation.
Il n’est plus possible de fuir le rouleau compresseur réactionnaire. Il s’agit de le combattre.
On pourrait transformer nos lieux de travail et d’études en espaces d’auto-organisation pour lutter non seulement contre l’extrême droite, mais aussi pour le droit à disposer de son corps (IVG, PMA, transitions), pour des moyens accrus dans la santé et l’éducation, pour l’interdiction des licenciements, pour la réquisition de tous les logements vides afin d’y accueillir les victimes de violences. Bref, un programme qui s’attaque aux racines du système qui nous mène à la catastrophe, un programme qui permet de commencer à dessiner un autre avenir.
Oui, aujourd’hui, un demandeur d’asile LGBT qui quitte la Russie ou la Hongrie ne sait plus où aller, tant la situation est en train de se dégrader partout dans le monde. La carte des droits LGBT qui avant se divisait en pays verts à l’Ouest et rouges à l’Est est en train de devenir rouge partout. En réalité, il n’est plus possible de fuir le rouleau compresseur réactionnaire. Il s’agit de le combattre.
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