Jeunes du parc de Belleville : « Nous sommes abandonnés par l’État »

Depuis dix jours, plus de 200 mineurs isolés occupent le centre culturel de la Gaîté Lyrique à Paris. Abdourahamane Keita raconte. 

• 20 décembre 2024
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Jeunes du parc de Belleville : « Nous sommes abandonnés par l’État »
Occupation du centre culturel de la Gaîte Lyrique par le collectif des jeunes du Parc de Belleville pour l'hébergement, à Paris, le 11 décembre 2024.
© Gregoire CAMPIONE / AFP

Je m’appelle Abdourahamane Keita, j’ai 16 ans et je suis délégué du collectif des jeunes du parc de Belleville. J’écris le récit de l’occupation de la Gaîté Lyrique à Paris depuis maintenant dix jours dans un carnet pour raconter notre lutte. Je parle en mon nom mais aussi au nom de tous les jeunes présents ici. 

Depuis le 10 décembre, nous occupons la Gaîté Lyrique, un établissement culturel qui appartient à la Mairie de Paris. Nous sommes plus de 250 jeunes venus d’Afrique et d’autres coins du monde. Nous sommes des jeunes âgés de 15 à 17 ans, accompagnés par des soutiens.

Notre occupation de la Gaîté Lyrique est un moyen de revendiquer notre droit à un logement.

Arrivés en France, nous sommes tous passés par le centre d’évaluation pour la reconnaissance de notre minorité, qui l’a refusée. Pour contester cette décision, il faut passer par une audience avec un juge pour enfants. Mais pour avoir une audience au tribunal, il faut attendre entre 7 à 8 mois, voire une année. Pendant tout ce temps, nous sommes condamnés à passer la nuit dans des campements sous des tentes et sans aucun suivi. Nous sommes abandonnés par l’État français. C’est pourquoi nous avons décidé de mettre en place un collectif, accompagnés par nos soutiens qui trouvent révoltant notre façon d’être traités par l’État français. 

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Notre occupation de la Gaîté Lyrique est un moyen de revendiquer notre droit à un logement. En hiver, dormir dehors est un risque pour nous les jeunes. Nous ne sommes pas à la Gaîté Lyrique parce que le lieu est fait pour dormir, mais parce que nous voulons que la Mairie, la Préfecture et l’État prennent conscience de notre situation et mettent à notre disposition un hébergement dans les plus brefs délais. La Mairie ne nous trouve pas de solution et nous dit que l’hébergement des mineurs non accompagnés (MNA) ne relève pas de leur responsabilité, que c’est celle de l’État. 

Avec nos maigres moyens, on arrive à survivre pour l’instant.

En attendant une solution d’hébergement, nous nous mettons à la tâche afin de mieux nous organiser dans le lieu. Avec plus de 250 jeunes réunis, ce n’est pas facile mais nous arrivons à maîtriser la situation, avec l’aide de la direction et de la sécurité. Au début, la Gaîté Lyrique était restée ouverte. On faisait en sorte que les gens continuent de fréquenter le lieu, mais par mesure de sécurité, la direction a mis fin à toutes ses activités.

À travers un communiqué, la direction a demandé aux autorités de prendre leurs responsabilités afin de nous attribuer un hébergement et qu’ils puissent reprendre leurs activités. Désormais, la Gaîté Lyrique est fermée au public. Nous sommes plus de 250, nous formons déjà un public. 

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Nous nous organisons du mieux possible. Chaque jour, nous distribuons un petit-déjeuner le matin et un repas chaud le soir. Avec nos maigres moyens, on arrive à survivre pour l’instant. Nous nettoyons le lieu matin et le soir. Tout le monde participe. Certains s’occupent du sol, d’autres nettoient les toilettes ou font la vaisselle. Nous tâchons au mieux de prévenir tout conflit que pourrait engendrer pareille situation, si précaire pour tous, mais si quelqu’un devait dépasser les limites, il lui serait demandé de quitter les lieux, pour le bien de tous.

Nous sommes sous la menace permanente des policiers et des militants d’extrême droite.

Nous sommes sous la menace permanente des policiers et des militants d’extrême droite. Tous les jours ils viennent chercher une faille à notre organisation et nous dénigrent dans les médias. Nous avons dû mettre en place un dispositif de sécurité à la porte avec l’aide des agents de sécurité du lieu afin d’empêcher les personnes de mauvaise volonté d’y accéder.

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Nous, les jeunes du collectif des jeunes du parc de Belleville, n’en sommes pas à notre première occupation. Avec d’autres associations et organisations syndicales, nous revendiquons les droits des mineurs non accompagnés, comme le droit à un hébergement digne à Paris, là où nous avons nos procédures et nos réseaux de solidarité. Ou encore, un accès inconditionnel à l’éducation, à une couverture de santé et un accès aux transports gratuits. 

Je fais appel à toutes les organisations et associations de solidarité, les syndicats et toutes les personnes de bonne volonté pour venir nous soutenir dans cette lutte afin qu’on ait enfin un hébergement.

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