Peut-on bien vieillir en France en 2025 ?
René Moustard, 89 ans, livre une réflexion sur la prise en charge de la vieillesse après le départ de son épouse en Ehpad.
dans l’hebdo N° 1839 Acheter ce numéro
Comment vivre séparément après soixante-dix ans de vie commune ? C’est la dure question que René Moustard, 89 ans, ancien président de la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT), a dû se poser lorsque sa femme a intégré une maison de retraite. De cette expérience, il tire une réflexion sur la prise en charge de la vieillesse et appelle les pouvoirs publics à, vraiment, prendre à bras-le-corps cette question de société.
J’ai 89 ans. En 2019, mon épouse Janine a réalisé une IRM du cerveau. Celle-ci a révélé un début de la maladie d’Alzheimer. À cette époque, prenant conscience des problématiques de l’âge et de la vieillesse de mon épouse et de moi-même, j’ai décidé de consacrer toute mon activité militante à l’objectif de réorganiser notre vie commune pour continuer à bien vieillir ensemble. C’est-à-dire d’être heureux de notre âge et de continuer à vivre en autonomie et dans une bonne santé relative. Avec Janine, nous sommes mariés depuis 1958. Nous avons toujours vécu ensemble, avec des métiers identiques dans l’EPS, trois enfants et, désormais, neuf petits-enfants. Le tout, avec une vie familiale unie et solidaire.
En février 2023, une aggravation de la maladie d’Alzheimer de mon épouse, âgée alors de 91 ans, est constatée. Nous décidons, en famille, de chercher une maison de retraite adaptée à notre situation. J’en ai visité six et, le 27 octobre 2023, Janine s’est installée à l’Ehpad public de la ville de Vitry-sur-Seine, à vingt minutes en voiture de notre domicile. Une nouvelle phase de vie commune débute. Moi, seul à la maison qui gère de manière autonome ma vie, avec une aide ménagère qui vient deux heures par semaine, et Janine à Vitry.
Durant les deux premiers mois, je lui rendais visite plusieurs fois par semaine. De son côté, elle a essayé de s’adapter à cette nouvelle vie, en tentant de communiquer avec les autres de son âge. Mais, très vite, elle se replie sur elle-même. Constatant cette situation, je décide, avec l’accord de la direction de l’Ehpad, de changer de méthode. Au lieu de venir rencontrer Janine, je décide de la sortir de la maison de retraite deux jours et demi par semaine. L’objectif est de lui faire retrouver quelque chose de sa vie d’avant la maison de retraite, des relations sociales et des activités qu’on faisait ensemble : la piscine, des repas de famille, des visites diverses, des marches.
Quand je viens la chercher, c’est une autre vie qui recommence, même si elle n’a conscience de rien.
Très vite, j’ai constaté les effets de ce changement. Janine revit, à sa façon. Quand je viens la chercher, c’est une autre vie qui recommence, même si elle n’a conscience de rien. Sa mémoire est totalement défaillante, elle ne sait pas ce qu’elle a fait la veille, ni ce qu’elle va faire le lendemain. Simplement, elle vit, au présent. Elle vit ce qu’elle est en train de vivre, ce qu’elle voit, ce qu’elle fait. Ce vécu la rend heureuse d’être active avec moi, je lui parle, on discute. Le problème, c’est le retour à la maison de retraite, car elle ne comprend pas la séparation. Il faut réussir à l’atténuer. Je viens juste au moment du souper. Quand elle commence à manger, elle m’oublie, je n’ai pas d’inquiétude à partir. Elle est repassée de l’autre côté de la barrière.
Après dix mois de cette expérience d’alternance, je commence à tirer des enseignements : depuis cette période, son état de santé, notamment physique, est stabilisé, même si son problème de mémoire continue de se dégrader. L’être humain est un être social. Sa vie s’organise dans la société. Cela concerne toutes les phases de la vie, de l’enfance à la vieillesse. Or, cette dernière n’est pas reconnue comme une phase de vie normale, ni organisée comme telle dans nos sociétés.
Il faut rajeunir les idées sur la vieillesse.
La spécificité de la vieillesse est la diminution des capacités physiques, un peu tous les jours. Mais celle-ci peut être freinée en développant les activités physiques qui permettent de limiter cet affaiblissement. Et les facultés intellectuelles continuent normalement si on dispose des moyens de construire des projets d’actions et d’activités qui sollicitent le travail intellectuel de la personne. Ces capacités pour bien vieillir, si on les prenait en compte, permettraient de comprendre comment la vieillesse peut être très utile pour la société par son activité, par les bénévoles actifs dans la vie associative et dans les familles.
À la question peut-on bien vieillir en France en 2025, notre expérience familiale peut répondre « oui ». Que faut-il donc faire ? En février 2024, j’avais lu un entretien avec Luc Ferry, dans Le JDD, intitulé « Le slogan du bien vieillir est une fake news ». Dedans, il assurait que « le seul moyen de limiter le naufrage [de la vieillesse], c’est de mourir avant », et qu’« améliorer la vieillesse est une illusion ». Cette conception de la vie en société et de la vieillesse est une construction idéologique de la classe dominante car elle a le pouvoir et les moyens de bien vieillir du fait du système dont elle profite. Mais l’expérience de notre famille montre qu’il serait possible, en changeant de système, de généraliser les conditions du bien vieillir, avec le militantisme et les luttes collectives. Oui, il faut rajeunir les idées sur la vieillesse.
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