« Eephus », du baseball existentiel
Le film de Carlson Lund illustre la vitalité du cinéma indépendant américain.
dans l’hebdo N° 1841-1843 Acheter ce numéro
Eephus, le dernier tour de piste / Carson Lund / 1 h 38 / en salle le 1er janvier.
C’est leur dernier match de baseball. Non de la saison, mais de leur vie. Tous ces hommes en ont conscience quand ils arrivent aux abords du terrain de Soldiers Field, quelque part en Nouvelle-Angleterre, où ils vont une ultime fois s’adonner, en amateurs, à leur sport favori. Le spectateur en connaît la raison, énoncée d’emblée par le speaker d’une radio locale (c’est le grand Frederick Wiseman qui lui prête sa voix) : le stade de baseball va être démoli pour laisser place à un lycée flambant neuf.
Eephus, le dernier tour de piste n’est pas l’œuvre d’un réalisateur vieillissant rongé par la nostalgie. Carson Lund est un jeune homme qui signe là son premier long métrage, après avoir occupé le poste de chef-opérateur ou de coproducteur au sein du collectif qu’il a fondé avec des amis cinéastes, dont Tyler Taormina – dont le nouveau film Noël à Miller’s Point vient lui aussi de sortir en France. Le cinéma états-unien (vraiment) indépendant n’est pas mort.
Fin de cycle
Du haut de sa trentaine d’années, Carson Lund met donc en scène de vieux complices de baseball sommés de rompre avec ce qui les liait encore à leur jeunesse. En outre, il a tourné en automne, ce qui ajoute à la sensation de fin de cycle.
Pour qui ignore les règles du baseball, une dimension du film reste énigmatique. Mais la confrontation sportive relève ici de l’anecdote. L’essentiel tient dans la manière dont ces hommes, sans drame, en se lançant pour la énième fois les mêmes vannes, en parlant de tout et de rien, vont dire adieu à ce qu’ils ont tant aimé. Ils ne se reverront sans doute plus – le baseball était leur ciment. Le cinéaste filme des corps marqués par le temps : le souffle diminue, les articulations coincent.
Les comédiens, de toute corpulence, dont plusieurs bedonnants, sont criants de vérité. Leurs embrouilles suscitent souvent le sourire, tandis que la mélancolie perce. Ils ne veulent pas se quitter. Alors qu’on commence à ne plus rien voir – la lumière est entre chien et loup – ils continuent. Puis, la nuit venue, ils se servent des phares de leur voiture comme éclairage. Au vrai, Eephus, derrière son refus du tragique, montre des êtres luttant inconsciemment contre l’idée de la mort.