« Un paese di resistenza » : Mimmo dans le colimateur

Shu Aiello et Catherine Catella retracent le calvaire judiciaire de l’ex-maire de Riace.

Christophe Kantcheff  • 3 décembre 2024 abonné·es
« Un paese di resistenza » : Mimmo dans le colimateur
Domenico Lucano, dit Mimmo (à droite), s’est vu reléguer au rang de criminel pour avoir accueilli des exilés dans sa commune de Riace.
© Vraivrai Films distribution

Un paese di resistenza / Shu Aiello et Catherine Catella / 1 h 15.

Il n’est nul besoin de présenter Riace, ce village de Calabre au bord de la mer Ionienne, et celui qui fut son maire de 2004 à 2018, Domenico Lucano, appelé Mimmo. On se souvient que celui-ci, en décidant d’accueillir nombre d’exilés, a redonné vie à sa commune alors en déshérence, grâce aux nouvelles activités qui y ont été générées, mais qu’une répression s’est abattue sur lui, interrompant cette expérience. Un mouvement de solidarité puissant envers Mimmo s’était levé. En France, un rassemblement avait été organisé en sa présence un jour de novembre 2021 à la Bourse du travail, à Paris.

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On sait tout cela. Et pourtant, outre qu’il laissera une trace sur cette affaire pour les générations à venir, le film de Shu Aiello et Catherine Catella, Un paese di resistenza (« Un village de résistance »), qui retrace le calvaire judiciaire de l’ex-maire de Riace, ne suscite en rien la sensation du « déjà connu ». Il est même passionnant pour ce qu’il donne à voir, et qui trop souvent reste invisible dans l’effusion des déclarations publiques et des chaleureuses manifestations de soutien : à savoir ce qui constitue, quoi qu’il en soit, la solitude d’un homme.

Expliquons-nous. Le film s’ouvre en 2018 quand la période heureuse du village est achevée. Mimmo, arrêté avec pour chef d’accusation l’aide à l’immigration clandestine, est ensuite interdit de séjour dans son village. Bien sûr, en réaction, de nombreuses personnes protestent, des manifestations s’organisent. Bientôt, on chante le traditionnel « Bella Ciao ».

Mais les réalisatrices filment aussi les rues vides et désenchantées, où ce qui était animé il y a peu se transforme déjà en traces du passé. Un habitant dénonçant l’injustice qui frappe l’ex-maire glisse qu’on lui a conseillé de ne point trop parler. Plus tard, on apprendra qu’un petit commerce tenu par un couple de Ghanéens a été incendié et qu’une fresque représentant une femme africaine portant son enfant sur le dos a été recouverte de peinture blanche.

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Plus symptomatique encore, les élections municipales suivantes portent à la tête de la commune un nouveau maire… d’extrême droite qui, peu de temps après, accueille en grande pompe (et avec les applaudissements nourris d’habitants) Matteo Salvini en visite en Calabre. Ces événements disent combien toute avancée humaniste est fragile. Elle tenait avant tout à un homme, Mimmo, qui, après avoir répondu à la sollicitation d’un évêque sensible au sort des réfugiés, en a été l’instigateur. Une fois celui-ci mit hors-jeu, celles et ceux qui le suivaient se voient désemparés, sans recours, comme orphelins.

Par ailleurs, la caméra de Shu Aiello et Catherine Catella se focalise souvent sur Mimmo. Elle capte ses attitudes, les expressions de son visage, ses quelques paroles plus intimes. Elle le scrute, même si c’est avec bienveillance et sans vouloir lui arracher quelque chose qu’il ne souhaiterait pas donner. Ce que montre précisément le film, c’est combien l’acharnement judiciaire dont il est la cible, d’une violence inouïe puisqu’il est condamné en première instance à plus de treize ans de prison, l’ébranle et l’atteint psychologiquement au plus profond (la décision s’allégera en appel).

Mimmo vacille, et ce vacillement n’a rien à voir avec un manque de courage ou un défaut de résistance (celle du titre) – bien au contraire. Il dit avoir pris conscience que, happé par Riace, il a peut-être été négligent vis-à-vis de sa famille et responsable de manques affectifs – ce que des militants comme lui n’avouent jamais, du moins publiquement.

À le voir physiquement écrasé sous le poids du jugement arbitraire qui le relègue au rang de grand criminel, le regard perdu, une idée vient soudain à l’esprit et s’incarne de façon très concrète : voilà ce qui pourrait pousser un tel homme subissant une telle infamie à un geste définitif, même entouré d’amis. Heureusement Mimmo n’en a rien fait. Shu Aiello et Catherine Catella n’avaient peut-être pas l’intention de mettre au jour ce que montre leur film. Que cela leur ait échappé ou non, là réside tout le prix d’Un paese di resistenza.


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Cinéma
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