« Strano », au cirque comme à la guerre

Avec son nouveau spectacle, le Cirque Trottola laisse de nouveau opérer son charme unique.

Anaïs Heluin  • 17 décembre 2024 abonné·es
« Strano », au cirque comme à la guerre
© Fanchon Bilbille

Strano / du 3 au 21 décembre au Centquatre-Paris. Également du 10 au 14 janvier 2025 au Théâtre de Lorient – CDN, du 22 au 29 janvier au Théâtre de Cornouaille, Scène nationale de Quimper, du 6 au 10 février au Carré Magique, Pôle National Cirque de Lannion… Le reste de la tournée ici. 

En plus de vingt ans, Titoune Krall et Bonaventure Gacon n’ont pas changé. Ou, si c’est le cas, leur maquillage, qui les rend blêmes, et les guenilles superposées dont ils s’attifent dans leurs rôles de clowns-acrobates, connus sous les noms de Titoune et Boudu, ne laissent rien voir du passage du temps. Lorsque le second dégringole au début de Strano (« étrange », en italien) depuis les hauteurs du chapiteau, on le trouve tout pareil à celui qu’il était dans le premier spectacle éponyme du Cirque Trottola, créé en 2002. Non pas qu’il ait l’air jeune, ni vieux d’ailleurs.

Les clowns qu’incarnent les deux artistes sont célestes, et semblent ainsi échapper aux contraintes qui pèsent sur les hommes. Les sons étouffés d’une fanfare qui nous font tendre l’oreille au début de la pièce – seulement la cinquième de la compagnie, dont chaque création prend très longtemps la route – témoignent pourtant de la proximité du monde.

Si dans son spectacle précédent, Campana (2018), Trottola mettait déjà en scène un microcosme rescapé de quelque catastrophe, la menace se précise ici, dans la mesure où le langage du duo le permet. Une guerre a eu lieu, ou même est en cours quelque part, nous disent les clowns dans leur idiome fait de quelques mots et de jeux absurdes autant qu’acrobatiques.

Bricole et tremblement

Comme dans chacun de leurs opus précédents, Titoune et Bonaventure cisèlent leur drôle de vocabulaire en fonction du chapiteau où ils ont choisi de se présenter au public. Après deux créations dans l’intimiste « tonneau » du Petit Théâtre Baraque, les complices ont eu l’envie d’un peu plus d’espace. Dessiné par leurs propres soins, le chapiteau autoporté de Strano dégage une forme de nostalgie.

Pas question pour les artistes de céder à l’abandon du chapiteau au profit de la salle.

Sous la nef du Centquatre à Paris, où nous découvrons un Strano dont la grande tournée a commencé depuis quelque temps, la toile qui entoure la piste de Trottola est écarlate. Pas question pour les artistes de céder à l’abandon du chapiteau au profit de la salle, comme cela se fait très souvent aujourd’hui. Pour bien affirmer leur position, les clowns embarquent dans leur art de la bricole et du tremblement un musicien habitué à d’autres conditions de jeu, l’organiste Samuel Legal.

La rencontre des deux univers donne lieu à plusieurs numéros centrés sur la musique, avec des instruments détournés de leurs fonctions comme à peu près tout ce qu’approchent les complices. Les agrès traditionnels du cirque n’échappent guère à ce branle-bas aussi joyeux que déchirant. «Voilà voilà voilà», comme dirait Boudu, qui conclut ainsi presque toutes ses phrases.

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Spectacle vivant
Temps de lecture : 2 minutes