Agriculteurs : vivre ou nourrir, faut-il choisir ?

Au cœur de la détresse des exploitants : la rémunération globalement bien trop faible, en dépit de fortes disparités. La question, pourtant, peine à faire l’objet de véritables négociations et à émerger dans le débat public.

Vanina Delmas  • 4 décembre 2024 abonné·es
Agriculteurs : vivre ou nourrir, faut-il choisir ?
Action de la Confédération paysanne contre le traité du Mercosur, le 20 novembre 2024 à Lescar.
© Quentin Top / Hans Lucas / AFP

Depuis plus d’un an, la colère du monde agricole ne reste plus cloîtrée dans les fermes, les vignes et les salles de traite. Le premier élan, début 2024, s’est doucement éteint lorsque le gouvernement a répondu favorablement à quelques demandes de la FNSEA. L’acte II de ces mobilisations, commencé à la mi-novembre, a pris appui sur les négociations autour du traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur, et a entraîné tous les syndicats agricoles.

Mais ce sont encore la FNSEA, les Jeunes Agriculteurs et la Coordination rurale qui ont attiré la lumière médiatique. Conséquence : leurs discours sur les normes environnementales paralysant leur travail ont pris le dessus. Mais c’est aussi une réalité sur le terrain.

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Dans leur enquête menée en avril dernier auprès de 1 434 chefs d’exploitation, les chercheurs François Purseigle et Pierre-Henri Bono ont relevé trois raisons ayant poussé les agriculteurs à manifester : « le ras-le-bol des normes, de l’administratif » (49 %), la dénonciation d’« un abandon » venant d’« un système à bout » (37 %) et la revendication d’une « juste rémunération au regard du travail réalisé » (12 %).

La FNSEA est censée défendre tous les paysans, mais ce n’est pas vrai dans les faits.

C. Claveirole

Pourquoi la question de la rémunération peine-t-elle à s’imposer comme revendication des agriculteurs, alors qu’elle est au cœur de leur détresse ? « Il faut noter la contradiction d’avoir à la tête du syndicat majoritaire une personne absolument pas représentative de la moyenne du revenu des agriculteurs. Ce syndicat est censé défendre tous les paysans, mais ce n’est pas vrai dans les faits, donc difficile de mettre la question du revenu en première ligne dans ses discours », glisse Cécile Claveirole, vice-présidente de France nature environnement, qui fait référence à Arnaud Rousseau, président du syndicat majoritaire depuis avril 2023 et président du conseil d’administration du groupe Avril.

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En février dernier, l’émission « Complément d’enquête » révélait que la société spécialisée dans le colza et le tournesol l’avait rémunéré 187 000 euros en 2022. Les disparités économiques morcellent le monde agricole français. En 2020, 16 % des personnes résidant dans un ménage comprenant au moins un exploitant agricole vivent sous le seuil de pauvreté monétaire, contre 14 % dans l’ensemble de la population, selon le panorama effectué par l’Insee. Si les revenus agricoles sont dépendants des fluctuations conjoncturelles liées au climat ou aux marchés mondiaux, les inégalités existent également entre filières et entre exploitations.

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« Il y a une vraie question de répartition de la valeur sur les produits : les paysans qui peuvent transformer leurs produits et les écouler en vente directe gagnent un peu mieux leur vie que ceux coincés dans des filières longues, notamment sur les marchés mondiaux, car ils n’ont aucune maîtrise sur le prix de la matière première », explique Cécile Claveirole.

Mettre en place une vraie politique des prix

Après les mobilisations de début d’année, Gabriel Attal avait notamment annoncé l’abandon de la hausse du prix du gazole non routier agricole (GNR), des financements d’urgence pour les exploitations en difficulté, ou encore un « choc de simplification » administrative, notamment pour les curages des cours d’eau agricole et les règles d’évaluation environnementale pour l’élevage intensif.

Les dispositifs autour des avantages fiscaux ont été figés par la dissolution de l’Assemblée nationale et ne sont toujours pas débloqués. Début octobre, Michel Barnier a annoncé « une enveloppe de 75 millions d’euros » pour les éleveurs de brebis victimes de la fièvre catarrhale ovine, et « des prêts garantis par l’État pour les exploitations qui en ont besoin ». Des rustines, mais pas de plan sur le long terme.

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« La question du revenu reviendra en force à partir du moment où les politiques comprendront qu’il faut s’attaquer aux grands groupes comme Lactalis ou Théos (spécialisée en alimentation complémentaire des animaux de ferme). Or Bercy les laisse tranquilles ! » s’indigne Véronique Le Floc’h, présidente de la Coordination rurale. Pour résumer : « Des prix, pas de primes ! », pour reprendre un slogan brandi en manifestation.

« Nous demandons clairement une amélioration du revenu, avec un meilleur partage de la valeur, des contrôles plus importants des grandes coopératives et des multinationales, ainsi qu’une maîtrise des charges avec un allègement des charges fiscales et sociales qui pèsent sur les agriculteurs », complète-t-elle.

Action de la Confédération paysanne contre le traité du Mercosur,
le 20 novembre 2024 à Lescar. (Photo :
Quentin Top / Hans Lucas / AFP)

Pour Cécile Claveirole, l’ultralibéralisme qui guide les membres de la CR est incompatible avec une transition agroécologique, seule solution d’avenir pour l’agriculture : « Leur vision de l’environnement est très liée à la question du revenu, puisqu’ils ont l’impression que, s’ils avaient moins de contraintes de réglementations, ils gagneraient plus d’argent. Or ces normes environnementales protègent leur outil de production et la population. Cet ultralibéralisme dénie le droit à la société de vivre dans un environnement sain, et aux générations futures leur souveraineté alimentaire. »

La viabilité des fermes passe par la rémunération et la capacité de faire face aux aléas climatiques et sanitaires.

Conf. paysanne

Du côté de la Confédération paysanne, la question de la rémunération juste et digne des paysan·nes est clamée depuis toujours : c’est le seul syndicat à réclamer un prix garanti, mais aussi la mise en place de prix minimum d’entrée sur le territoire national pour limiter les concurrences déloyales, et l’accompagnement économique à la transition agroécologique.

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« La simplification n’est pas une réponse adaptée aux préoccupations des paysan·nes, à commencer par leur préoccupation majeure : le revenu. Parce que la viabilité des fermes passe par la rémunération et la capacité de faire face aux aléas climatiques et sanitaires, nous revendiquons la mise en place de prix minimums et des signaux forts pour la transition agroécologique », a déclaré la Confédération paysanne après une entrevue au ministère de l’Agriculture.

Des débats qui devraient ressurgir en janvier, au cœur de la campagne pour les élections professionnelles agricoles, et lors de l’examen au Sénat du projet de loi d’orientation agricole, adopté en mai à l’Assemblée nationale.

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