Carole Delga et Alexis Corbière : quelle union à gauche pour gagner ?
La présidente socialiste de la région Occitanie et le député de Seine-Saint-Denis échangent sur la gauche, leurs visions de l’unité, leur divergence sur la radicalité d’un programme et la manière de combattre le RN. Dialogue sans concession.
dans l’hebdo N° 1839 Acheter ce numéro
Carole Delga est présidente socialiste de la région Occitanie depuis 2016. L’ex-députée et secrétaire d’État chargée du Commerce, de l’Artisanat, de la Consommation et de l’Économie sociale et solidaire sous François Hollande préside également l’association Régions de France depuis 2021. Au sein du PS, elle fait partie des opposants internes à Olivier Faure.
Alexis Corbière est député de Seine-Saint-Denis depuis 2017. Longtemps proche de Jean-Luc Mélenchon au Parti de gauche et à La France insoumise, il fait partie des « purgés » par la direction insoumise lors des législatives de 2024. Ardent défenseur de l’union, il est l’un des fondateurs de l’association L’Après.
Michel Barnier a engagé le 49.3 sur le PLFSS après avoir négocié uniquement avec le RN. Comment réagissez-vous ?
Carole Delga : Tout d’abord, Michel Barnier avait sa feuille de route, fixée par Emmanuel Macron : une politique de droite, libérale et conservatrice, en continuité avec les précédentes années. Mais pire encore, il a fait le choix de mettre l’avenir de la France dans les mains de l’extrême droite et de Marine Le Pen. Il n’y a eu aucune prise en compte du vote des Français et de la mobilisation de la gauche et du Front républicain. Ce qui mène à cette situation de blocage, de crise politique profonde dans laquelle se trouve notre pays aujourd’hui. Emmanuel Macron est le premier responsable. Face à un peuple désespéré, qui a porté ses voix à près de 35% sur le RN et ses alliées en juin dernier, la gauche doit être au rendez-vous de l’histoire. Loin de cliver, nous devons au contraire rassembler nos concitoyens, parler aux classes populaires et aux classes moyennes, agir pour répondre à leur désespérance face à l’injustice sociale et à la crise climatique.
Alexis Corbière : Le premier responsable de ce chaos se nomme Emmanuel Macron. Mais il est aussi l’un des symptômes d’une crise qui vient de loin. Elle est démocratique et nous constatons chaque jour le caractère pourrissant de la Ve République. Lors des dernières législatives, même s’il ne fut pas majoritaire, c’est le Nouveau Front populaire (NFP) qui est arrivé en tête, avec une forte participation électorale. L’extrême droite a progressé de 60 % entre les législatives de 2022 et 2024 et le macronisme s’est effondré.
Le résultat était net : les Français souhaitent une rupture avec les politiques menées depuis 2017. Après plus de deux mois d’attente, Emmanuel Macron a choisi un homme issu des Républicains (LR) – un parti obtenant à peine 6 % aux législatives et n’ayant pas appelé à battre le RN – pour la recherche d’un soutien de l’extrême droite et appliquer une politique allant à l’encontre des votes du 7 juillet. Imposée par Macron, la feuille de route de Michel Barnier, dont le gouvernement n’aura duré que 70 jours, était de ne pas modifier les grands choix économiques et sociaux du macronisme. De ne surtout pas toucher aux insolentes richesses accumulées ces dernières années. De ne surtout pas taxer les dividendes reversés aux actionnaires, qui ont pourtant atteint le record de 63,2 milliards d’euros l’année dernière. De ne surtout pas revenir sur la réforme des retraites, passée en force par 49.3, il y a trois ans. Bref, de ne pas donner de victoire au NFP.
La faute originelle revient à Macron qui refusé d’entendre le sens du vote de juin.
A.C.
Son seul objectif était de réduire les dépenses publiques de 40 milliards d’euros, quitte à faire passer des mesures provenant des rangs de l’extrême droite qui, elle seule, pouvait lui servir de partenaire et maintenir le gouvernement en place. Cette sale besogne n’était possible qu’avec le soutien de l’extrême droite, qui n’a pas censuré initialement Michel Barnier. Tout cela a échoué, malgré les nombreuses mains tendues et concessions à Marine Le Pen. Quelle misère de voir ainsi l’extrême droite mise au centre du jeu et ainsi courtisée.
Mais, j’insiste, la faute originelle revient à Macron qui refusé d’entendre le sens du vote de juin : rupture avec la politique économique menée depuis 2017 et barrage contre le RN. De ce fait, le budget que défend Barnier n’avait aucune assise dans le pays, alors qu’une autre cohérence politique est apparue au cours des débats à l’Assemblée nationale puisque le NFP a su trouver des majorités pour mettre en place une fiscalité plus juste.
Ce budget remanié grâce au travail de la gauche et des écologistes, puis voté en commission, rapportait à l’État 58 milliards d’euros nets de recettes supplémentaires, en taxant notamment les superprofits des grands groupes, les dividendes reversés aux actionnaires, ou encore en mettant à contribution de manière pérenne les plus hauts revenus ! Cet argent permettait ainsi de financer nos services publics comme nos hôpitaux, mais aussi l’école publique, en annulant les 4 000 suppressions de postes de professeurs prévus par le gouvernement ! Désormais, je ne vois aucune stabilité durable à court terme. Nous devons rester unis pour traverser la tempête qui vient.
Faut-il censurer ce gouvernement ?
A.C. : Oui. D’ailleurs Barnier c’est fini. Je n’accepte pas qu’on impose au peuple les conséquences néfastes d’une cure de 40 milliards d’économies dont il n’est pas responsable. Et tout gouvernement qui utilise l’outil autoritaire du 49.3 doit être censuré. Ensuite, le NFP est le plus légitime pour composer un nouveau gouvernement. Notre union a désigné Lucie Castets pour Matignon. Cela a mis d’accord toutes les composantes du NFP. C’est précieux. Bernard Cazeneuve ne sera pas un candidat de secours car il ne s’inscrit pas dans notre alliance, il s’y oppose même avec virulence. Si vous permettez un clin d’œil à celle qui est élue d’une terre d’ovalie, quand on veut un capitaine dans une équipe de rugby, on ne va pas chercher un basketteur.
Il faut retrouver la confiance de l’électorat qui nous a fait gagner par le passé.
C.D.
C.D. : Si la gauche veut gouverner ce pays et c’est notre souhait à tous les deux, il faudra qu’elle rassemble des gens expérimentés et des personnalités nouvelles. Je reste convaincue que Laurence Tubiana ou Bernard Cazeneuve étaient les mieux à même de trouver une majorité budgétaire, qui doit nécessairement dépasser les 192 députés du NFP, à partir d’une politique de gauche et écologiste. Notre pays aurait dû pouvoir se doter d’un budget, pour ne pas aggraver l’envolée des taux d’emprunt qui risquent de nous prendre à la gorge. Le risque, une nouvelle fois, est que les plus précaires en paient le prix.
Certains à gauche défendent l’hypothèse d’un gouvernement technique en attendant la prochaine dissolution. Qu’en pensez-vous ?
C.D. : Un gouvernement technique, ça n’existe pas. Je suis allergique à la personnalisation, comme à la technocratie à outrance. Les Français attendent une équipe au boulot pour engager la rupture avec les années Macron. Je refuse de donner les clés du pays à des administrateurs et à des financiers.
A.C. : Le gouvernement technique, c’est l’antichambre de la victoire de l’extrême droite. Il faut un gouvernement politique. Et à gauche, notre seul chemin pour battre l’extrême droite, c’est l’union.
C.D. : Oui, je suis d’accord. La seule alternative gagnante face à l’extrême droite, c’est la gauche unie. La gauche unie sur les valeurs universalistes et humanistes. C’est ce qu’on fait déjà localement depuis des années. Mais nationalement elle devra se dépasser, s’élargir, sinon la gauche restera à 30% et sera battue. Il faut retrouver la confiance de l’électorat qui nous a fait gagner par le passé.
Quelle union de la gauche défendez-vous ?
A.C. : Je crois à la nécessité de l’union de la gauche et des écologistes, sur la base du programme du NFP, donc qui va de La France insoumise (LFI) jusqu’à Carole Delga. Ça ne veut pas dire que je me sens en accord avec tous vos positionnements politiques. Par exemple sur l’A69 que vous défendez, je considère que ce projet est un non-sens écologique. Faire l’union des gauches ne veut pas dire non plus que je suis totalement en phase avec la nouvelle stratégie sectaire de LFI qui m’a exclu et calomnié. Mais cette dernière est une composante majeure du NFP. Carole Delga n’est pas non plus en accord avec l’ensemble de mes idées. Et pourtant, je souhaite qu’on se rassemble tous. Je ne plaide pas cela par idéalisme, mais au contraire par pur réalisme. La victoire devient très difficile si nous ne sommes pas unis dès le 1er tour, pour faire au moins entre 25 et 30% et, une fois au 2e tour, rassembler encore plus largement.
C.D. : Emmanuel Macron a voulu incarner un Président tout puissant. Son égotisme a mené au chaos. Changeons de modèle. Ce qu’attendent les Français, c’est un collectif, une équipe à leur service. La gauche doit donc former cette équipe, dans sa diversité mais sur un socle commun clair. Qui s’appuie sur les fondements des idées de la gauche : priorité absolue à l’éducation nationale, défense des services publics, le travail qui donne une dignité, la sécurité quel que soit son lieu de vie, la lutte contre le racisme et l’antisémitisme… Je sais, parce que je le pratique en Occitanie, que nous pouvons coexister avec des désaccords.
Au sein de la majorité régionale, socialistes, communistes, écologistes, radicaux de gauche, société civile, tous ne sont pas alignés sur la question de l’A69. Est-ce que ces divergences affaiblissent ma majorité ? Non. Ça ne nous empêche pas de travailler ensemble parce que les fondamentaux sont partagés. C’est pour cela que le cadre républicain est fondamental, que le cadre de confiance est fondateur. Sur l’A69, on peut m’y renvoyer, mais qui finance chaque année 14 millions de billets à 1 euro sur le train ? C’est moi avec ma majorité. Nous avons ainsi la plus forte progression de l’usage du train en France. Et ça, c’est un véritable acte politique, bon pour le pouvoir d’achat et pour l’écologie. C’est la gauche en action.
Faut-il rompre avec le Nouveau Front populaire ?
C.D. : Je n’étais pas favorable à la Nouvelle union populaire, écologique et sociale (Nupes). Je ne pouvais pas accepter que l’article premier traite de la candidature d’un homme au poste de Premier ministre, c’est la négation de la politique, de l’intérêt commun. Un premier article doit décrire ce qu’on va faire pour les gens, c’est une obligation morale. Par contre, j’ai soutenu le Nouveau Front populaire au regard de la menace de l’extrême droite et parce que nous avions tous signé la charte d’engagement sur un socle de valeurs. Mais depuis, qu’avons-nous fait de l’espoir créé chez le peuple de gauche ? Il faut savoir écouter les gens et défendre des solutions pour changer leur vie.
A.C : Le NFP n’est pas qu’un accord ponctuel, il doit être une ligne stratégique durable. A l’Assemblée, les député-e-s socialistes, écologistes, communistes et insoumis ont bien travaillé ensemble lors des débats budgétaires. Ils ont trouvé des majorités, et ils ont obtenu des victoires. Il faudrait approfondir cette alliance. Pourquoi ne pas lancer des campagnes partout pour populariser le programme du NFP sur l’école, sur l’hôpital, sur la justice fiscale et écologique, sur la démocratie ? Cela fait deux fois que Marine Le Pen arrive au second tour de la présidentielle et elle a progressé de plus de 24 % entre les seconds tours de 2017 et de 2022. Elle a également progressé de 32 % entre les deux élections européennes.
La gauche a donc une responsabilité : si elle perd face à Marine Le Pen ou Jordan Bardella, c’est la nature républicaine de la France qui sombrera. Dès lors, la gauche doit adapter sa stratégie. Et le chemin le plus sûr pour gagner, c’est l’union, pas l’affrontement. Le rassemblement de la gauche, impulsé par Jean-Luc Mélenchon aux législatives de 2022, doit donc perdurer. Le NFP n’est peut-être pas le cadre unitaire idéal mais il existe. D’ailleurs Carole Delga, vous aviez déclaré être d’accord à 85 ou 90 % avec le programme du NFP. Alors avançons encore ensemble.
Il ne faut pas semer la confusion idéologique en accusant LFI à tort et à travers.
A.C.
C.D. : Cela fait des mois que je propose de travailler à un programme qui permettra une union solide, dans le respect des valeurs républicaines. Et j’enrage de ne voir rien avancer. Je crois pourtant autant que vous qu’une union est possible. Mais, je le redis, celles et ceux qui n’arrivent pas à reconnaître que le 7-Octobre est une attaque terroriste n’ont pas leur place dans cette union. C’est un déshonneur pour la gauche. Ces responsables politiques la décrédibilisent et font le lit de l’extrême droite. Je le vois sur le terrain, une majorité des Français a aujourd’hui plus peur de Jean-Luc Mélenchon que de Marine Le Pen. C’est terrible. La seule union de la gauche capable d’accéder au pouvoir et de battre l’extrême droite, c’est celle qui ne transige pas sur la République et sanctionne tout écart. Il ne peut pas y avoir dans cette union de responsable politique qui encourage le repli communautaire, qui tienne des propos à connotation antisémite ou fait l’apologie du terrorisme.
A.C. : Arrêtez ce bashing ! Le programme du NFP est clair sur la question du communautarisme, sur le combat contre tous les racismes, l’antisémitisme et toutes les discriminations. Et La France insoumise n’est pas un mouvement antisémite ou communautariste. Nous pouvons être en désaccord avec des formules de certains insoumis et trouver, sur tel ou tel sujet, leur stratégie hasardeuse, voire contre-productive. Pour autant, il ne faut pas semer la confusion idéologique en accusant LFI à tort et à travers. Nous avons le devoir de condamner les crimes du Hamas et aussi Benjamin Netanyahou et ses crimes de guerre à Gaza. D’ailleurs à ce sujet, la Cour pénale internationale parle de « plausible risque de génocide ». Nous devons admettre qu’il existe une inquiétude chez nos concitoyens de confessions musulmane et juive. Nous avons le devoir de trouver les mots qui n’exacerbent pas les tensions et de combattre le racisme et l’antisémitisme.
C.D. : Chacun doit être responsable. Si les choses étaient aussi claires, comme vous les expliquez très bien, les Français n’auraient pas un regard aussi dur. Et François Rufin n’aurait pas dénoncé les campagnes électorales au faciès. La France est plurielle mais reste une et indivisible. On doit combattre toutes les formes de racismes, d’intolérance, les actes et propos antimusulman comme antisémites. Et agir avec engagement par nos politiques publiques et par notre soutien aux associations d’éducation populaire.
A.C. : Soyons fermes contre tous les racismes et l’antisémitisme. Mais cessons d’alimenter de fausses polémiques souvent fabriquées ou exacerbées à l’outrance par nos adversaires. Il ne faut pas sous-estimer le moment de gravité dans lequel nous sommes : l’extrême droite est aux portes du pouvoir. Le cap que nous devons tenir, c’est l’unité sur le programme du NFP. Il faut que ce discours soit défendu dans toutes les composantes du NFP. C’est pour cela que j’espère qu’Olivier Faure, avec sa ligne unitaire, remportera le prochain congrès du PS. Vous, Madame Delga, qui tirez à boulets rouges sur le mouvement insoumis aujourd’hui, vous avez accepté l’idée de cette alliance en juin parce que le péril d’extrême droite était trop grand. Depuis, il s’est aggravé.
La question de l’union est sans exclusive de parti ou de personne, mais elle doit être arrimée solidement au cadre républicain.
C.D.
C.D. : Je ne tire pas sur un mouvement, dont vous êtes issu, que vous avez quitté, je connais ses sympathisants, je rencontre ses électeurs… je m’oppose à des positions, à des méthodes de la direction de LFI. Souvent les mêmes que vous dénoncez. Celles qui comparent Fabien Roussel à Jacques Doriot, celles qui ont traqué Raphaël Glucksmann pendant la campagne des européennes. Ce n’est pas ma conception de la politique et c’est une voie sans issue. Pour chacun d’entre nous, la question de l’union est sans exclusive de parti ou de personne, mais elle doit être arrimée solidement au cadre républicain et n’accepter aucune ambiguïté, aucune brutalité. Si je suis inflexible sur ce point, c’est d’abord par conviction, mais aussi parce que je l’entends tous les jours, c’est la seule façon de battre l’extrême droite.
A gauche, certains remettent en question le niveau de radicalité d’un programme de gauche. Qu’en pensez-vous ?
A.C. : D’abord quelques mots sur ce qui vient d’être dit. Comparer Roussel au fasciste Doriot est une énorme absurdité, une calomnie. Quant aux violences contre Glucksmann, LFI les a heureusement officiellement condamnées. Je désapprouve ce climat de tensions et de brutalité venant de part et d’autre. Même si j’ai été moi-même victime du sectarisme de LFI et d’attaques mensongères et infamantes de sa part, je désapprouve néanmoins avec fermeté les attaques non fondées qu’elle subit. Ensuite pour répondre à votre question, d’une part, certains à gauche se disent favorables à l’union mais sans contenu politique précis. Cela revient parfois à défendre la politique menée par François Hollande et Bernard Cazeneuve. Échec assuré. D’autres voudraient défendre un projet radical en conflictualisant systématiquement quitte à ce que l’union des gauches explose. Même échec. Ces deux stratégies mènent à la défaite.
C.D. : Notre pays a besoin de transformations profondes, sociales, écologiques, industrielles démocratiques. Notre système nécessite une meilleure répartition des richesses. Ce qui avait été fait sous la présidence de François Hollande. Et je suis prête à débattre avec beaucoup de lucidité de ce qui a marché, de ce qui a échoué ou des erreurs. Enfin, les Français demandent de la considération et de l’apaisement. Ce qui est l’inverse de l’extrême droite, et ce que ni Macron ni Mélenchon n’ont proposé ou incarné.
Les deux candidatures de Mélenchon en 2017 et 2022 ont obtenu près de 20% des suffrages car elles incarnaient un changement.
A.C.
A.C. : Les deux candidatures de Mélenchon en 2017 et 2022 ont obtenu près de 20% des suffrages car elles incarnaient un changement. Le « bilan » de la présidence Hollande était si peu populaire, que cela l’a empêché de se représenter. Sans inventaire lucide de sa présidence, les mêmes erreurs, renoncements et même trahisons, produiront les mêmes effets. Il est impératif de rompre avec ce passé. Pour gagner, je ne vois pas d’autre voie que l’union large et populaire sur un contenu de rupture, basé sur l’augmentation des salaires, la protection des services publics et de la planète, et la démocratisation de nos institutions. C’est-à-dire le programme du NFP.
C.D. : Il faut surtout se remettre à travailler. Le programme du NFP est très incomplet. Réunissons-nous, débattons, mais ne discutons pas qu’entre nous. Invitons les Français, les acteurs de la société civile, à participer à ces ateliers pour donner de la force à notre union. Je n’en peux plus de voir qu’on est dans des discussions à l’infini entre appareils politiques et qu’on est infoutu d’aller sur le terrain pour présenter un projet pour nos concitoyens, capable de changer leur vie. Pourtant dans nos territoires, il y a des politiques publiques et des initiatives formidables à gauche. En bossant, nous verrons que les convergences apparaîtront naturellement.
Nous devrions, par exemple, nous saisir du sujet de l’école ou du service public de la petite enfance. Je ne le vois que trop, au XXIe siècle dans un pays riche, il y a un enfermement dans sa condition sociale. Le déterminisme social s’est aggravé. Je parle de la petite enfance et de l’éducation, parce que c’est ce qui permet de choisir sa vie, son destin, sa place dans la société. Il est indispensable que la gauche présente son nouveau projet de société, avec des mesures concrètes et un idéal. Par exemple, je soutiens la proposition de Benoît Hamon de ne confier l’accueil des plus vulnérables, la petite enfance et les personnes âgées, qu’aux structures publiques ou de l’économie sociale et solidaire. On ne peut pas accepter que le privé fasse du fric sur les couches ou les repas.
Êtes-vous favorable à la recherche d’un candidat commun de la gauche en vue de la prochaine présidentielle ?
A.C. : Je propose une méthode pour qu’on puisse vite trouver un candidat, ou une candidate, commun pour la prochaine présidentielle. C’est le sens de la pétition pour une candidature commune que nous avons lancée avec mes camarades de L’Après. Il ne faut pas que notre destin collectif soit détruit par les logiques présidentialistes de François Hollande ou des plus sectaires de LFI autour de Jean-Luc Mélenchon.
C.D. : Le fond d’abord. Si on doit proposer une nouvelle méthodologie c’est surtout pour produire de nouvelles idées et un contenu programmatique solide.
A.C. : Il ne s’agit pas d’arrêter de travailler sur le fond. Un programme existe avec le NFP. Mais si nous ne faisons rien pour s’accorder sur l’incarnation, une logique délétère peut se mettre en place. C’est le poison « bonapartiste » de la Ve : le présidentialisme. Vivement la VIe République. En attendant, François Hollande s’avance et prend pour acquis qu’il y aura deux candidats de gauche. Et ainsi de suite. Mélenchon invite à rejoindre le candidat choisi par LFI. Cette division sera le meilleur cadeau à offrir à Marine Le Pen.
Je dis que d’autres voies sont possibles : soit la « méthode Castets », c’est-à-dire un accord entre les partis, soit faire voter celles et ceux qui soutiennent le NFP. Ce choix, cette « coopérative de la victoire », doit mobiliser des forces sociales qui ne se limitent pas aux partis en associant les syndicats, associations, et toute force populaire qui se reconnaissent dans nos propositions. François Ruffin qui dispose d’une très forte popularité en progression, ou Clémentine Autain, qui a une longue expérience unitaire, peuvent être l’incarnation de cette candidature commune. Je les soutiens. Lucie Castets a déjà fait consensus. D’autres noms encore seront proposés, je n’en doute pas.
Palabrer sur le candidat permet à certains de s’exonérer d’un travail sur le fond.
C.D.
C.D. : Pour moi, il faut rassembler puis incarner. Dans cet ordre. L’hyperprésidentialisation est en train de tuer notre démocratie, il faut sortir de cette logique mortifère. Et le chemin est long jusqu’à 2027. La question de l’incarnation viendra dans un second temps. Elle se résoudra naturellement. Palabrer sur le candidat permet à certains de s’exonérer d’un travail sur le fond.
Comment faire refluer le vote RN ?
C.D. : Les idées de l’extrême droite progressent à une vitesse grand V dans le pays. Emmanuel Macron a une grande responsabilité : il a participé à sa banalisation depuis 2017, en défendant encore récemment la préférence nationale dans sa dernière loi immigration. Présenter l’altérité comme une menace est abject. Mais les gens qui votent RN ne sont pas tous des fachos. Ce sont des gens désespérés parce qu’ils se sentent abandonnés, parce que l’école n’a plus de moyens de donner espoir en l’avenir, parce qu’obtenir un rendez-vous chez le médecin ressemble à un parcours du combattant, parce que le nombre d’accidents du travail flambe. Il faut casser cette désespérance, que je constate tous les jours sur le terrain.
Je ne peux pas jouer de façon cynique avec le désespoir des gens comme le font les populistes. Le meilleur moyen de lutter contre le désespoir, c’est de porter de l’attention aux gens. On doit leur montrer qu’on vit avec eux, qu’on n’est pas en surplomb, qu’on travaille pour eux, qu’on les sert. Pour les 6 millions d’habitants de l’Occitanie, c’est-à-dire à l’échelle d’un petit pays, j’ai mis en place des politiques utiles : le transport scolaire, les manuels scolaires et l’ordinateur pour chaque lycéen, les équipements professionnels sont gratuits pour les familles, le salariat des médecins pour lutter contre les déserts médicaux, la réouverture de lignes ferroviaires. Et soutenir clairement SOS Méditerranée. Entre 2016 et 2021, le score de l’extrême droite a reculé de 10 points. Les réponses existent.
A.C. : Le RN progresse beaucoup dans des zones semi-rurales, des territoires où l’emploi a fortement décliné en quelques années. Dans ces territoires, les Français vivent un sentiment de relégation. Loin des services publics, sans emploi ni perspective, ils se sentent abandonnés, à juste titre. Nous pouvons défendre une politique de réindustrialisation marquée d’un protectionnisme assumé, de relocalisation, de réouverture des services publics… Nous devons leur parler, sans condescendance, mais sans jamais céder par exemple aux discours de haine contre les musulmans. Les médias « bollorisés » jouent un rôle détestable et mènent des campagnes permanentes pour Mme Le Pen. Cette « trumpisation » de notre vie politique fait peser de grands dangers.
C.D. : La République doit être réinstallée dans tous les territoires. Nous ne pouvons pas accepter que le CV d’Abdel ait dix fois plus de chance de partir à la poubelle que celui d’Alexis. La création d’emploi doit être une priorité pour que chacun accède à un emploi justement rémunérateur. Et nous devons y travailler en partenariat avec le monde économique. Je ne supporte pas non plus que nos quartiers populaires comptent deux fois plus de jeunes qu’ailleurs, mais trois fois moins de crèches. Je ne supporte plus qu’ils soient les premières victimes du narcotrafic, qu’une médiathèque à Nîmes soit obligée de fermer à cause des dealers. La question de la mobilité doit aussi être traitée, les gens, à la campagne, n’ont d’autres choix que la voiture. Et dans les banlieues, comme en milieu rural, le recul des services publics fait mal.
A.C. : Oui, mais au-delà des constats et des propositions, nous devons mener une bataille idéologique et dessiner un horizon politique pour contrer la vision du monde, raciste et égoïste, du Rassemblement national. Car l’extrême droite propose une forme d’imaginaire, celui d’un pays envahi par des « étrangers profiteurs et violents » et des « assistés qui coûtent chers ». Nous devons y répondre et affirmer haut et fort que ce n’est pas l’étranger qui coûterait « trop cher » à l’État, que les droits sociaux sont des acquis du peuple travailleur et valoriser la dignité de ceux qui travaillent et sont si mal considérés.
Un inventaire honnête concernant les expériences de la gauche au pouvoir doit être fait.
A.C.
Démontrons surtout qu’avec la gauche au pouvoir, la vie peut changer. Un doute s’est installé. Un inventaire honnête concernant les expériences de la gauche au pouvoir doit être fait. Elle a beaucoup déçu et même trahi les engagements. Notre camp social doit dire avec force qu’il améliorera notre école publique, en rompant avec le séparatisme scolaire actuel. Il défendra notre hôpital car le droit à la santé n’est pas le même selon nos revenus. Nous abrogerons l’honteuse réforme des retraites. Nous devons avancer autour d’un triptyque de rupture positive : une répartition plus juste des richesses, une politique écologique qui prend en compte la crise climatique, une nouvelle voie démocratique vers une VIe République puisque la Ve République formate tous nos débats autour de la recherche d’un sauveur suprême.
La gauche unie a la responsabilité d’éradiquer l’assignation à résidence sociale, comme territoriale.
C.D.
Et ce triptyque doit être basé sur des « transversalités » programmatiques qui déclenchent des « affects » partagés et parlent à toutes et tous, quel que soit notre âge, notre lieu d’habitation, notre niveau social, etc. Il faut s’adresser à tous. La lutte contre les discriminations racistes et sexistes fait partie de notre profil politique. Le « sociétal », c’est du social. Et, personne ne peut se faire élire si son programme n’a pas d’écho significatif dans toutes les catégories de la population. La défense et le développement des services publics, l’obtention de droits démocratiques nouveaux, le recul de la souffrance au travail, et d’autres axes de ce type peuvent être ces revendications transversales.
C.D. : Le cadre commun, c’est la République. Si la gauche n’est pas dans un combat total contre le racisme, l’antisémitisme et le communautarisme, si la gauche n’arrive pas à « aller à l’idéal et comprendre le réel » comme le disait Jaurès, si la gauche est dans les petits calculs électoraux, on fait gagner l’extrême droite. Il faut avoir la lucidité de se le dire. Plus de provocation, plus de menace, plus de violence verbale, comme tu as eu le courage de le dénoncer. De la clarté et du travail. Le chemin est possible et la gauche unie a la responsabilité d’éradiquer l’assignation à résidence sociale, comme territoriale. Il faut que ceux qui n’ont pas autant de chance que les autres au départ puisse avoir l’espoir d’une vie meilleure. C’est ce pour quoi je me bats au quotidien : que la République reste un espoir. N’oublions personne, prenons soin de nos concitoyens et soyons volontaristes.