« La Cinémathèque française continue de taire la vie de Maria Schneider »

La réalisatrice, Jessica Palud, autrice de Maria, qui raconte l’agression sexuelle de Maria Schneider dans Le Dernier tango à Paris, revient sur les polémiques entourant la programmation de la Cinémathèque française.

Hugo Boursier  • 15 décembre 2024 abonné·es
« La Cinémathèque française continue de taire la vie de Maria Schneider »
Maria Schneider (au centre), à Cannes, le 15 mai 1975.
© Raph GATTI / AFP

La Cinémathèque française est critiquée pour avoir voulu projeter Un Dernier tango à Paris, le film de Bernardo Bertolucci de 1972, qui montre une réelle agression sexuelle commise par Marlon Brando et voulue par le réalisateur sur l’actrice, Maria Schneider. Et ce, sans aucun débat. Parmi les personnes – réalisatrices, actrices, collectifs féministes et organisations culturelles – ayant interpellé la direction de cette institution, nombreuses sont celles qui évoquent le travail de Jessica Palud, pour son film, Maria.

Sur le même sujet : « Maria », les larmes de Maria Schneider

Ce film, sorti en juin 2024, raconte ce qu’a vécu Maria Schneider sur le tournage du Dernier tango à Paris, depuis son point de vue. C’est-à-dire en montrant l’effet dévastateur de l’agression sexuelle qu’elle a subie dans ce film, organisée par le réalisateur lui-même avec la complicité de Marlon Brando. Contactée, Jessica Palud trouve « regrettable » la décision de la Cinémathèque.

Dans le cadre de sa rétrospective sur Marlon Brando, la Cinémathèque française avait prévu la projection du Dernier Tango à Paris, et ce, au départ, sans débat. Elle a proposé, ensuite, un temps d’échange, puis finalement a décidé d’annuler la projection. Qu’en pensez-vous ?

Jessica Palud : Avec tout ce que l’on sait de ce film, avec le livre de Vanessa Schneider de 2018, les archives disponibles, avec mon film sorti cette année, une contextualisation du Dernier Tango aurait vraiment été nécessaire. La Cinémathèque projette un film où intervient une réelle agression sexuelle. Et prétexter des risques sécuritaires pour justifier l’annulation de la projection est malhonnête. Personne ne comptait venir dans l’objectif de commettre des actes violents. Au contraire, l’idée était d’organiser un débat autour du film : comment a-t-il été fabriqué, ce qui est montré, invisibilisé, etc.

Maria Jessica Palud
Anamaria Vartolomei incarne Maria Schneider dans le film de Jessica Palud. (Photo : Haut et court.)

Vous avez réalisé Maria, un film qui retrace la vie de Maria Schneider pendant le tournage du Dernier Tango et les répercussions de celui-ci sur la vie de l’actrice. Ce point de vue a-t-il été silencié pendant trop longtemps ? L’attitude de la Cinémathèque participe-t-elle à poursuivre cette injustice ?

J’ai été complètement bouleversée par cette femme et cette actrice. Il faut bien comprendre que Maria Schneider a dit les choses. Elle les a dites frontalement, explicitement, mais personne ne l’entendait. Je voulais que mon film reste humble et traverse son histoire à travers son regard. J’ai reconstruit la scène où elle est agressée en changeant le point de vue pour montrer comme elle l’avait vécue, et comment toute l’équipe l’a vue se faire agresser. Quand on n’est pas entendues, on ne se relève pas. Mon film montre tout un système qui a refusé d’écouter Maria Schneider.

Il demeure l’idée de considérer que c’est un chef d’œuvre. Et que s’il y a des critiques, elles n’émanent que de personnalités féministes.

Je me suis beaucoup renseignée pour faire ce film. J’ai pu consulter le scénario original et j’ai vu que cette scène n’était pas écrite. Et pourtant, elle a marqué à vie Maria Schneider. J’ai voulu montrer cette empreinte. Non sans difficulté, puisque le budget du film était limité et que de nombreuses personnes nous ont dit qu’il ne fallait pas revenir sur cette histoire. Le cinéma a du mal à prendre en compte le point de vue de Maria Schneider. Projeter Le Dernier Tango à Paris sans parler d’elle, ou en justifiant ce choix par le fait de dire qu’il s’agit peut-être d’un de ses plus grands rôles, c’est regrettable.

L’un des arguments de la direction de la Cinémathèque consiste à agiter le chiffon rouge de la censure. Pourtant, les personnes qui l’ont interpellée souhaitait, avant tout, proposer un débat. Pourquoi ce refus de la pédagogie ?

Il demeure l’idée de considérer que Le Dernier tango à Paris est un chef d’œuvre. Et que s’il y a des critiques, elles n’émanent que de personnalités féministes. Comme si l’enjeu était réservé aux personnes militantes. Ce n’est pas le cas. Les agressions sexuelles concernent tout le monde. Chaque personne devrait en être indignée. Cela aurait été intéressant d’avoir une remise en contexte, de montrer ce film puis de décrire la manière dont le tournage s’est déroulé. Ou bien de ne pas projeter le film mais d’organiser une soirée qui le déconstruit.

Sur le même sujet : « Arracher à une actrice des choses qu’elle n’a pas envie de donner est odieux »

D’autant que Marlon Brando et Bernardo Bertolucci eux-mêmes ont reconnu ce qu’il s’était passé. Bernardo Bertolucci a dit qu’il voulait les larmes de Maria Schneider. Il cherchait son humiliation. Marlon Brando, lui, dit avoir été manipulé par le réalisateur. Maria Schneider, elle, a été détruite par ce film. On lui a dit de se taire et, finalement, c’est ce que la Cinémathèque continue de lui dire. En affirmant qu’il s’agit peut-être de son meilleur film, la Cinémathèque impose un récit selon lequel elle n’aurait pas dû se plaindre.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous

Pour aller plus loin…

La direction de la Cinémathèque française de nouveau secouée pour sa programmation sexiste
Cinéma 15 décembre 2024 abonné·es

La direction de la Cinémathèque française de nouveau secouée pour sa programmation sexiste

L’institution comptait projeter sans aucun contexte Le Dernier tango à Paris, film de Bernardo Bertolucci (1972), où est filmée une réelle agression sexuelle commise sur l’actrice, Maria Schneider. La direction a finalement annulé cette projection, arguant un prétendu « risque sécuritaire ».
Par Hugo Boursier
Au procès de Christophe Ruggia, la colère d’Adèle Haenel, « cette enfant que personne n’a protégée »
VSS 11 décembre 2024 abonné·es

Au procès de Christophe Ruggia, la colère d’Adèle Haenel, « cette enfant que personne n’a protégée »

Accusé par l’actrice de lui avoir fait subir des agressions sexuelles entre ses 12 et ses 15 ans, le réalisateur était jugé au tribunal correctionnel ces 9 et 10 décembre. Un procès sous haute tension qui n’a pas permis de rectifier les incohérences du prévenu. Cinq ans de prison dont deux ans ferme aménageables ont été requis.
Par Salomé Dionisi
À l’instar d’Utopia 56, la criminalisation de l’aide aux personnes exilées s’accentue
Solidarité 10 décembre 2024

À l’instar d’Utopia 56, la criminalisation de l’aide aux personnes exilées s’accentue

Alors que l’association d’aide aux personnes réfugiées est visée par trois enquêtes pénales portant sur ses actions à la frontière franco-britannique, deux rapports alertent sur la volonté de criminaliser les associations d’aides aux personnes exilées et leurs bénévoles.
Par Élise Leclercq
Réfugiés syriens : des pays européens suspendent les demandes d’asile
Asile 9 décembre 2024 abonné·es

Réfugiés syriens : des pays européens suspendent les demandes d’asile

Après la chute du régime de Bachar al-Assad, l’incertitude de la situation en Syrie pousse plusieurs pays européens, dont la France, à suspendre les dossiers des réfugiés syriens.
Par Maxime Sirvins