« Dans la discothèque de Serge Gainsbourg », une vie en musique

Stéphane Girel et Christophe Geudin proposent une exploration passionnante de la discothèque de l’auteur-compositeur-interprète.

Pauline Guedj  • 11 décembre 2024 abonné·es
« Dans la discothèque de Serge Gainsbourg », une vie en musique
© Daniel Fallot / INA / INA via AFP

Dans la discothèque de Serge Gainsbourg / Stéphane Girel et Christophe Geudin / Seghers, 192 pages, 25 euros.

Avec l’ouverture du Musée Gainsbourg à Paris, les amateurs du musicien ont la possibilité d’entrer dans son intimité, de s’emplir la tête de nombreuses anecdotes, autant de petites histoires que l’on aime associer à sa personnalité tonitruante. Pourtant, la redécouverte de Serge Gainsbourg autour de plusieurs projets, le musée donc, mais aussi le Gainsbook, ouvrage de référence publié en 2019, permet de dépasser cette image d’Épinal pour s’intéresser à l’œuvre du musicien, à sa manière de composer et de vivre la musique.

Dans la maison de Gainsbourg, rue de Verneuil, on aperçoit des piles de livres, on entend évoquer les films regardés en famille, on découvre la musique jouée grâce aux nombreux disques entassés par le musicien au long de sa carrière. Un environnement artistique, intellectuel, qui n’a cessé d’inspirer Gainsbourg et d’informer son rapport au monde.

Nouvel apport à cette réflexion, Dans la discothèque de Serge Gainsbourg est une exploration détaillée des disques, cassettes et compacts disques que Gainsbourg aimait à accumuler. Richement illustré dans une édition soignée, le livre s’appuie sur une enquête minutieuse mêlant étude de l’inventaire des disques répertoriés à son domicile, observation de photographies sur lesquelles apparaissent en arrière-plan vinyles ou CD et analyse fine des nombreuses interviews dans lesquelles Gainsbourg a évoqué ses musiciens préférés et ses influences multiples.

Large spectre

En résulte une discothèque qui dialogue avec un spectre très large de genres musicaux que les auteurs, Stéphane Girel et Christophe Geudin, présentent par ordre chronologique. De la période 1928-1959, Gainsbourg retient Billie Holiday, qu’il loue pour son talent à ­donner une inflexion particulière aux mots qu’il pense pouvoir reproduire dans ses jeux avec la langue française, Miles Davis, avec lequel il partagera un pianiste, René Urtreger, et Alfred Cortot, le plus grand décrypteur selon lui de l’œuvre de Chopin.

Avec la période suivante, on s’intéresse aux relations de Gainsbourg aux musiques cubaines, Celia Cruz, et au blues américain, Screamin’Jay Hawkins. Viennent ensuite le rock, les Beatles, les Rolling Stones, Lou Reed, David Bowie, Jimi Hendrix, des groupes commerciaux, Ohio Express, des figures de la soul et du funk, James Brown, Prince ou Sade, et du reggae, Bob Marley and the Wailers.

Le livre peut aussi être pris comme un document passionnant sur l’appropriation des musiques anglophones à Paris.

Véritable carte mentale des influences de Gainsbourg et de la manière dont celles-ci se sont concrètement manifestées dans sa carrière, le livre évoque une série d’emprunts littéraux – Miriam Makeba et son titre « Umqokozo » pour « Là-bas c’est naturel » et « Pauvre Lola » ; l’album Drums of Passion du Nigérian Babatunde Olatunji pillé avec « New York-U.S.A. », la « Danse hongroise n° 4 en fa mineur » de Johannes Brahms qu’on retrouve dans « Machins choses », ainsi que des références plus diffuses, comme celle précoce à George Gershwin que le petit Gainsbourg étudia au piano dès l’âge de 6 ans.

Jazz coup de poing

Au fil du texte, Gainsbourg tourne le dos à la musique française – à quelques exceptions près, dont un beau passage sur Boris Vian – pour porter son regard vers l’Amérique, l’Angleterre et la Caraïbe, où il ira chercher références et collaborateurs. À ce titre, le livre peut aussi être pris comme un document passionnant sur l’appropriation des musiques anglophones à Paris. Dans la tradition du hard bop, par exemple, Gainsbourg insiste peu sur John Coltrane ou Sonny Rollins mais s’enthousiasme pour Jackie McLean.

Or ceci, au-delà de ses goûts personnels, s’explique par le fait qu’il découvre la musique de ce saxophoniste au Théâtre de Lutèce en 1962 lors de la représentation de la pièce de Jack Gelber, The Connection. Gainsbourg est saisi par la force de la mise en scène, la modernité de la musique. Hasard de son exposition au jazz, mais aussi témoignage de l’engouement des intellectuels parisiens pour les combats africains-américains, McLean deviendra son préféré, celui qui l’a propulsé dans un jazz coup de poing qu’il ne cessera d’admirer.

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Musique
Temps de lecture : 4 minutes