Louise Courvoisier : « J’ai appris en regardant les gens »
Avec Vingt dieux, la réalisatrice signe un premier long métrage qui témoigne déjà de sa forte personnalité de cinéaste.
dans l’hebdo N° 1840 Acheter ce numéro
Vingt dieux / Louise Courvoisier / 1 h 30.
Dans la campagne du Jura, Totone (Clément Faveau), 18 ans, tête brûlée, se laisse vivre. Mais son père, producteur de comté, se tue en voiture. Le garçon doit soudain se prendre en main, d’autant qu’il a à sa charge sa petite sœur (Luna Garret). Que faire ? Louise Courvoisier signe avec Vingt dieux un premier long métrage rural mais non régionaliste, qui aborde avec délicatesse des thèmes ancestraux : l’amitié, l’amour, la solidarité ou encore les liens fraternels.
S’y déploie aussi un « roman d’apprentissage », où l’on voit Totone, par le travail et l’expression de son humanité, mais non sans dilemmes, passer à l’âge adulte. Vingt dieux, que nous avions beaucoup aimé à Cannes, ressemble à sa réalisatrice, âgée de 30 ans, et déterminée : elle l’a tourné dans sa région, avec des acteur·rices non professionnel·les, et tel qu’elle l’entendait. Rencontre.
Vous qui sortez d’une école de cinéma, pensez-vous que c’est la meilleure voie pour apprendre à faire du cinéma ?
Louise Courvoisier : Ce n’est en tout cas pas la seule manière. J’ai, quant à moi, bénéficié d’une très bonne école, la CinéFabrique, à Lyon, qui a été fondée par le cinéaste Claude Mouriéras. J’y ai surtout gagné en confiance, ce qui m’a permis de suivre mon instinct et d’écouter mes envies. J’ai pu y rater des choses, comprendre pourquoi elles étaient ratées et faire mieux ensuite. Plus on a de méthodes qui nous sont propres, plus on a de chances de faire un film personnel.
J’ai appris dans cette école des aspects techniques que je ne soupçonnais pas a priori. J’étais en section scénario – il n’y a pas de section réalisation à la CinéFabrique. Ce qui est technique dans le scénario, c’est, par exemple, comment ne pas être explicatif. Souvent, quand on débute, on est trop frontal avec le sujet. On veut tout expliquer. Après trois semaines de théorie, nous sommes passés à la pratique : écrire puis se faire relire par des scénaristes qui nous ont donné des clés d’écriture.
N’y avait-il pas un risque d’uniformisation ?
Pas du tout. La CinéFabrique recrute des profils d’étudiants très différents. Nous y faisions des films qui ne se ressemblaient pas. Nous n’y subissions aucune censure ni aucun dogme. Chacun pouvait suivre le trajet qui lui chantait. Je n’ai pas du tout senti qu’on essayait de nous faire entrer dans une case.
Je me suis rendu compte à quel point il était difficile de ne pas perdre l’âme de son film en cours de route.
C’est après l’école que cela se complique…
Oui. Quand j’ai commencé à me confronter aux commissions du CNC et aux financeurs, qui font des retours sur les scénarios, je me suis rendu compte à quel point il était difficile de ne pas perdre l’âme de son film en cours de route. Tant de gens donnent leur avis sur le scénario, qui ont en outre le pouvoir de s’engager ou pas financièrement ! Heureusement, j’ai été bien entourée, notamment par une scénariste, Marcia Romano, qui nous a aidés à ne pas nous laisser déstabiliser et à garder tout ce qui nous semblait fonctionner malgré des retours qui pouvaient être sceptiques ou négatifs.
Est-ce que regarder des films vous a aidée ?
Je n’ai pas grandi dans un milieu cinéphile. Je me suis mise à regarder beaucoup de films quand j’ai suivi une option cinéma au lycée puis à la fac de cinéma. Mais à partir du moment où j’ai commencé à fabriquer moi-même des films, c’est-à-dire vers 21 ans, mon envie d’en voir est devenue plus aléatoire. Quant au cinéma comme source d’inspiration de Vingt dieux, s’il y a des influences, c’est inconscient. En revanche, je m’inspire beaucoup de mon entourage, des gens qui me touchent ou m’intéressent. Je suis très observatrice. Voilà comment j’ai appris : en regardant les gens et, par ailleurs, en discutant avec des réalisateurs qui m’expliquaient comme ils pratiquent.
Je n’avais aucune idée de la manière dont j’allais m’y prendre. J’y suis allée à l’instinct.
La mise en scène n’est-elle pas la chose la plus impressionnante quand on débute, surtout avec des non-professionnels ?
Oui. Je n’avais aucune idée de la manière dont j’allais m’y prendre. J’y suis allée à l’instinct. J’aime travailler avec les gens et comprendre qui j’ai en face de moi : voir quels sont les points de fragilité et les points de force d’un acteur ou d’une actrice, et composer avec cela tout en faisant très attention. J’ai assisté à toutes les étapes de casting. J’ai aussi beaucoup travaillé avec le chef-opérateur, qui est venu en répétition avec une caméra pour voir comment filmer les comédien·nes de la façon la plus juste. J’ai essayé beaucoup de choses. Et j’ai répété toutes les scènes avant d’aller sur le tournage, où tout est tellement rapide qu’on réagit parfois plus qu’on ne réfléchit. J’avais besoin de cette base solide.
Et avec les comédien·nes ?
J’ai posé ce cadre aussi pour les rassurer. Contrairement aux comédiens professionnels, les non-professionnels n’arrivent pas avec des propositions mais, en revanche, ils ont ce naturel qui apporte beaucoup au personnage. En répétition, ils ont toujours eu la possibilité de changer des mots, de dire une réplique telle qu’ils la sentaient. Mais comme ils n’ont pas les outils ou les codes, c’est plus fragilisant pour eux d’improviser. C’était à moi d’assumer ma responsabilité.
Voilà un premier film sur des fromages avec des acteurs non professionnels : ce n’était pas gagné !
Vous a-t-on suggéré de travailler avec des comédiens professionnels connus ?
Oui. Mais j’ai la chance d’avoir travaillé avec une productrice, Muriel Meynard, d’Agat films, qui, comme moi, ne l’a pas envisagé. D’autres producteurs auraient eu sans doute un peu peur. Voilà un premier film sur des fromages avec des acteurs non professionnels : ce n’était pas gagné ! Mais une fois qu’on a eu l’avance sur recettes du CNC, celle-ci a représenté comme un gage de confiance et a permis aux autres financeurs de s’impliquer.
N’avez-vous jamais eu le désir d’avoir une femme pour personnage principal ?
Non. Je voulais raconter cette jeunesse que j’ai côtoyée, constituée avant tout de garçons. Qui vivent dans un mélange de violence – parce qu’ils ne savent pas toujours comment s’exprimer – et de fragilité. Cela m’intéressait d’entrer dans les coulisses de cette virilité. Je pense qu’on peut porter un regard de femme autant sur les personnages féminins que sur les personnages masculins. Et qu’on peut créer des personnages féminins forts même s’ils sont secondaires. Je ne me suis jamais posé cette question car je me suis toujours sentie au bon endroit quant à mon regard sur mes personnages quels qu’ils soient.
Vous travaillez avec vos proches. Qu’est-ce que cela vous apporte ?
De la solidité en tant que metteuse en scène. Je refuse de travailler dans la tyrannie. Or je pense que la tyrannie vient de la fragilité. Réaliser un film n’est pas facile et expose à la vulnérabilité. C’est compliqué d’être une bonne présence pour tout le monde et pour soi-même. Ma manière de pallier cette difficulté, c’est d’être entourée de gens en qui j’ai confiance, avec qui je peux être fragile, avec qui je peux douter. Quand on est face à une équipe qu’on ne connaît pas, on peut ressentir de l’hostilité, même si celle-ci est imaginaire. J’ai besoin de ce confort dans le travail pour être moi-même et ne pas avoir à prouver quelque chose aux autres.
On peut faire des œuvres géniales tout en étant agréable à fréquenter.
Vous ne croyez donc pas à cette idée du « génie créateur » qui serait l’apanage du réalisateur dans le cinéma d’auteur et pourrait l’entraîner vers la tyrannie ?
Je pense qu’on peut faire des œuvres géniales tout en étant agréable à fréquenter. Le côté tyrannique vient d’un endroit qu’on n’arrive pas à assumer. Il faut déployer tellement d’efforts pour tenir le cap que, parfois, c’est plus facile de s’abandonner à la tyrannie que de s’avouer qu’on ne sait plus ce qu’on fait.
Vous venez d’obtenir le prix Jean-Vigo, on a titré à votre propos : « La jeune réalisatrice qui incarne le futur du cinéma français ». Qu’est-ce que cela vous fait de représenter un tel espoir ?
Dans les avant-premières, le film est bien reçu et surtout très bien compris, ce qui me fait plaisir. Mais cela ne me monte pas à la tête. Je sais que c’est un métier difficile sur la durée. Comme je n’ai pas d’attente particulière, tout ce qui arrive est une bonne surprise. En tout cas, je ne vais pas forcer des portes ni changer mes projets pour plaire. J’avancerai comme je suis, à mon rythme.