Vous avez dit irresponsable ?
Le gouvernement Barnier est menacé par la censure, après le déclenchement du 49.3. Rejetant toute proposition budgétaire alternative venue de la gauche, le bloc central a défendu son programme en négociant avec l’extrême droite. Une grave étape vers la légitimation de l’offre politique du RN.
dans l’hebdo N° 1839 Acheter ce numéro
« Ce sont les oppositions qui décident » ! C’est le monde à l’envers. Depuis quand les oppositions d’un régime semi-présidentiel seraient-elles invitées à « décider » ? Ainsi s’est pourtant exprimé au micro de Franceinfo l’ancien ministre des comptes publics, Thomas Cazenave, le lendemain de l’usage du 49.3 par le premier ministre, et accessoirement veille de vote des motions de censure. Tout le monde se renvoie la balle. Personne n’est responsable de rien. Ou plutôt tout le monde est irresponsable.
Qui a déserté les bancs de l’Assemblée nationale pendant que la gauche tendait la main au gouvernement ?
Du côté du bloc central, celui qui est « en responsabilité » depuis sept ans, la faute reviendrait aux oppositions. Comprendre au NFP et à l’extrême droite, qui ont « décidé » de faire chuter le gouvernement. C’est ne pas manquer de culot. Qui a déserté les bancs de l’Assemblée nationale pendant que la gauche tendait la main au gouvernement avec des propositions budgétaires alternatives.
Tout a été rejeté en bloc par les macronistes et la droite qui ont associé leurs voix à celles du Rassemblement national. Ils ont reproché à la gauche d’avoir défendu « tout leur programme, rien que leur programme », le bloc central a défendu son programme en négociant avec l’extrême droite. Ainsi ont-ils permis au parti de Jordan Bardella de gagner la bataille du récit. C’est une grave étape vers la légitimation de son offre politique à laquelle nous venons d’assister et qui relève pourtant de l’imposture.
En fixant ses lignes rouges – sur la non-indexation des retraites, les prix de l’électricité, le déremboursement des médicaments et l’aide médicale d’État – et en humiliant Michel Barnier, qui s’est vu contraint sans délai de céder sur (presque) chacune de ses demandes – jusqu’à rédiger un communiqué de presse de Matignon pour lui donner raison –, Marine Le Pen se fait passer pour la grande défenseuse des catégories populaires, qui auraient eu tant à perdre avec le budget présenté par le gouvernement.
C’est une immense victoire pour les députés du RN. Une immense victoire en trompe-l’œil.
C’est donc une immense victoire pour les députés du RN. Une immense victoire en trompe-l’œil. Parce que rien de tout ça n’est vrai. Quand on observe leur comportement lors des débats sur le budget de 2025, une autre réalité est apparue, peu compatible avec la défense des plus vulnérables. Comme l’ont analysé nos confrères de Basta!, le RN a voté contre la hausse de la CSG sur les revenus du capital, contre la surtaxe exceptionnelle des grandes entreprises, contre la taxe sur les hauts patrimoines de plus d’un million d’euros, contre le rabotage des exonérations de cotisations patronales sur les bas et moyens salaires, ou encore contre l’ISF climatique, qui ne touche pourtant que quelque 63 milliardaires français.
En gros, contre tout ce qui permettait de faire entrer de l’argent dans les caisses de l’État pour améliorer la qualité de nos services publics et permettre des coups de pouce sur les minima sociaux ou les bas revenus. Le RN protège les plus forts, pas les plus faibles.
Et après ? Après la censure ? Après le départ de Michel Barnier, que se passera-t-il ? Le RN adoubera-t-il une autre figure du bloc central ? L’adoubera-t-il un temps pour mieux le censurer plus tard ? Jouera-t-il au jeu du chat et de la souris de manière indéfinie jusqu’à la prochaine dissolution ? Le pari est risqué pour tout le monde. Le bloc central a pourtant une autre carte en main pour dessaisir le RN de son rôle pivot. En proposant au Nouveau Front populaire de gouverner, et en lui assurant de ne pas le censurer – après avoir négocié et fixé avec lui ses lignes rouges.
Ainsi, le RN n’aurait plus aucun pouvoir de nuisance. Tout juste retrouverait-il une crédibilité d’opposant politique. Ce qui lui a largement fait défaut ces derniers temps. Mais, jusqu’à preuve du contraire, ce ne sont pas les oppositions qui décident. Et c’est bien au président de la République de nommer un nouveau premier ministre. Prendra-t-il une nouvelle fois la responsabilité de son irresponsabilité ?
L’actualité vous fait parfois enrager ? Nous aussi. Ce parti pris de la rédaction délaisse la neutralité journalistique pour le vitriol. Et parfois pour l’éloge et l’espoir. C’est juste plus rare.
Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.
Faire Un Don