Après la censure, le NFP se frite sur la ligne pour l’après-Barnier

L’alliance des gauches ne s’entend pas sur la formule à trouver pour accéder à Matignon et gouverner. Des mésententes rendant son discours inaudible après la victoire de la motion de censure.

Lucas Sarafian  • 5 décembre 2024 libéré
Après la censure, le NFP se frite sur la ligne pour l’après-Barnier
Conférence de presse du Nouveau Front populaire, à la Maison de la Chimie, à Paris, le 14 juin 2024.
© Maxime Sirvins

À gauche, un triomphe ne s’apprécie pas à 100 %. Et il ne faut pas croire que le vote de la motion de censure de Michel Barnier arrange les choses. Au contraire. Le Nouveau Front populaire (NFP) semble saisir chaque occasion pour afficher ses désaccords. En toile de fond, une bataille de leadership entre socialistes et insoumis. Encore.

Alors que les réquisitions s’enchaînent à la tribune de l’Assemblée dans l’après-midi du 4 décembre, le Parti socialiste (PS) mijote. Beaucoup de députés manquent à l’appel dans l’hémicycle du Palais Bourbon. La raison : deux bureaux nationaux sont convoqués en deux heures. Selon une source au sein de la direction du parti, les socialistes souhaitent proposer des discussions au bloc central. Et rêvent de la construction d’un axe de gauche plus constructif composé des socialistes, des écologistes et des communistes pour diriger des négociations.

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Plus tôt dans la journée dans Le Monde, le premier secrétaire du parti au poing et à la rose, Olivier Faure, a appelé à la nomination d’un Premier ministre de gauche qui « applique les priorités du NFP, mais avec le souci permanent du compromis ». Traduction : le lancement de discussions avec des groupes parlementaires du bloc central pour tenter de négocier un accord de non-censure en échange d’un renoncement de l’utilisation du 49.3. L’idée lancée par le député socialiste de l’Eure, Philippe Brun, dès la fin du mois d’août, fait désormais consensus au sein de la formation rose.

Le projet plutôt que Lucie Castets

Un virage stratégique à 90 degrés. La formule « un gouvernement NFP pour une Assemblée de front républicain » trouvée par le député socialiste Jérôme Guedj durant l’été fait son chemin. De ce fait, il n’est plus question de soutenir totalement Lucie Castets. « Je ne veux pas laisser l’opportunité à Emmanuel Macron de dire ‘non’ à la gauche en prédésignant un candidat. Puisque, à la fin, c’est lui qui choisit, quelles que soient nos revendications, ne perdons pas notre énergie ; qu’il se dévoile », répond Olivier Faure.

Celles et ceux qui essaient de faire de la tambouille et sauver la macronie seront balayés avec elle.

D. Obono

Au soir du 4 décembre sur BFMTV, il revient même sur un point fondamental de l’union des gauches : l’abrogation de la réforme des retraites. Faure pose une nouvelle condition à son abrogation : « Il faut que nous puissions d’abord trouver les financements et, ensuite, nous abrogerons. »

Ce jeudi 5 décembre, le premier secrétaire du parti, le président des députés, Boris Vallaud, et le chef de file des sénateurs roses, Patrick Kanner, envoient un courrier à Emmanuel Macron confirmant ces nouvelles prises de position et lui demandant « de recevoir ce jour les chefs de partis et les présidents des groupes parlementaires de l’Assemblée nationale et du Sénat ayant participé au front républicain ».

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Les communistes se rapprochent peu à peu de la ligne rose. « Je n’ai pas de nom en tête pour être premier ministre, mais il faut une personne de gauche issue du NFP. L’essentiel, c’est de se mettre d’accord sur ce qu’on veut mettre en place. C’est au président de nommer un premier ministre, c’est au président de changer son logiciel », analyse André Chassaigne, chef de file des députés communistes. Ce chemin stratégique n’est pas du tout apprécié par les insoumis. « Oui, il y a un désaccord avec le PS », assume le député Paul Vannier, chargé des négociations avec les partenaires de gauche.

« J’observe que Monsieur Vallaud n’a pas évoqué une seule fois le NFP dans son discours. Je vois aussi que Madame Tondelier imagine faire une coalition avec Monsieur Attal. Ça m’étonne assez parce que ça ne correspond à aucune réalité politique », grince le président de la commission des Finances et premier défenseur de la motion de censure de gauche, Éric Coquerel. « Il faut un gouvernement NFP sur un programme de rupture. Celles et ceux qui essaient de faire de la tambouille et sauver la macronie seront balayés avec elle », lâche Danièle Obono.

« Rien à négocier avec les macronistes »

Pour La France insoumise (LFI), le chemin est clair. « Macron doit démissionner. Sinon, il doit nommer un gouvernement NFP en désignant Lucie Castets au poste de Premier ministre. Tout autre gouvernement sera illégitime, assure le député LFI du Nord Aurélien Le Coq. Il n’y a rien à négocier avec les macronistes. Nous avons été élus sur un programme clair. Nous avons été élus pour rompre avec la macronie. »

Selon l’entourage de Lucie Castets contacté la semaine dernière, cette dernière se « tient prête, travaille avec l’ensemble du Nouveau Front populaire ». D’après cette source, elle échange avec Charles de Courson (Liot), Jean-Paul Matteï (Modem) ou Sacha Houlié (député non-inscrit). « Mais l’objectif principal, c’est de tout faire pour que la gauche prenne Matignon et sauver la casse », dit un de ses proches.

Emmanuel Macron ne nommera pas un premier ministre de gauche, ni même de centre gauche.

Néanmoins, les chances de la nomination de la haute fonctionnaire à Matignon sont infimes. « Selon les informations dont nous disposons, Emmanuel Macron ne nommera pas un premier ministre de gauche, ni même de centre gauche. Il ne le fera pas. Car il ne veut pas d’un premier ministre qui puisse remettre en question sa politique économique et sociale », confie un insoumis.

Rencontre de « l’arc républicain »

Mais les positions ont bougé dans le reste des composantes du NFP. Et les insoumis sont désormais les seuls à tenir la ligne initialement établie. Aux environs de 18 heures, alors que la censure n’est pas encore actée ce 4 décembre, Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes, envoie un courrier aux patrons des partis qui ont fait appel au barrage républicain entre les deux tours des dernières législatives, en juin dernier.

Dans ce courrier, la cheffe du parti écolo estime « qu’il est possible de dégager des majorités sur des préoccupations majeures des Françaises et des Français, pour que les prochains mois permettent des avancées concrètes, qui améliorent leur quotidien et préservent leurs lendemains ». Elle propose une rencontre entre tous les partis qui, selon elle, appartiennent à « l’arc républicain » pour s’accorder sur une feuille de route.

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Dans le même temps, elle ouvre la voie à la mise en place d’un mode de scrutin proportionnel. Une main tendue au Modem qui défend la proportionnelle depuis des années. Par ailleurs, la présidente du groupe Écologiste et social, Cyrielle Chatelain, a échangé fin novembre avec Marc Fesneau, selon Le Monde.

« Le chemin que nous proposons repose sur une clarté de fond, affirme Cyrielle Chatelain. La deuxième chose, c’est une méthode : assumer le parlementarisme en refusant l’utilisation du 49.3 et en acceptant de discuter. » Le groupe écologiste a en tête onze priorités, dont l’abrogation de la réforme des retraites de 2023, un plan d’urgence pour l’hôpital et le recrutement des enseignants, la revalorisation du Smic, la fin des licenciements boursiers, l’organisation d’une conférence sur les salaires, une loi régissant l’encadrement des marges dans le secteur agroalimentaire ou un renforcement des moyens de lutte contre les violences sexistes et sexuelles.

Si Macron respecte l’esprit des institutions, il doit appeler la gauche à gouverner et nommer Lucie Castets.

S. Rousseau

L’écolo Sandrine Rousseau a une idée quelque peu différente de la ligne de sa formation : « Est-ce que Macron est le protecteur de nos institutions ou est-ce qu’il veut souffler sur les braises de la crise de notre pays ? S’il respecte l’esprit des institutions, il doit appeler la gauche à gouverner et nommer Lucie Castets. Je propose une chose : qu’elle n’utilise pas le 49.3 pour permettre que le fait politique au Parlement soit respecté. »

Nommer Lucie Castets tout en renonçant au 49.3 ? L’écoféministe s’essaie donc à l’art de la synthèse, entre le « tout le programme, rien que le programme » des insoumis, la défense de la candidate originelle du NFP et le respect des équilibres parlementaires. En clair, le mode d’emploi du parlementarisme est à écrire. Et la gauche bute sur les premiers mots.

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