Censuré par la gauche et le RN, le court bail de Michel Barnier prend fin

Le chef du gouvernement a multiplié les concessions faites au RN en ignorant la gauche. Présenté comme un négociateur hors pair par la macronie, l’homme de droite a perdu son pari.

Lucas Sarafian  • 4 décembre 2024 abonné·es
Censuré par la gauche et le RN, le court bail de Michel Barnier prend fin
Michel Barnier, avant de prononcer son discours précédant le vote de la motion de censure du Nouveau Front populaire.
© Alain Jocard / AFP

20 h 26. La sentence vient de tomber ce mercredi 4 décembre. « En raison de l’adoption de la motion de censure et conformément à l’article 50 de la Constitution, le premier ministre doit remettre au président de la République la démission du gouvernement », déclare la présidente de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet. Grondements dans l’hémicycle. Michel Barnier est déchu. La motion de censure du Nouveau Front populaire (NFP) est adoptée à 331 voix par l’Assemblée nationale. Le Palais Bourbon désavoue ainsi le Premier ministre de 73 ans.

Nommé par Emmanuel Macron le 5 septembre, il devient le chef de gouvernement au mandat le plus court de l’histoire de la Ve République. Il aura tenu 89 jours. Une parenthèse dans l’histoire. Quelques secondes après l’annonce du jugement, Michel Barnier, au premier rang, se lève, adresse quelques regards aux députés du « socle commun » et de la Droite républicaine qui l’applaudissent, avant de partir. La nuit est tombée.

Aujourd’hui, nous sonnons le glas d’un mandat, celui du président.

É. Coquerel

Sans majorité à l’Assemblée nationale, le chef de gouvernement à l’assise politique la plus fragile de ces 60 dernières années n’a pas réussi à se sauver. Malgré ses multiples mains tendues au Rassemblement national (RN) : suppression de la surtaxe sur l’électricité, baisse du remboursement des médicaments, annonce d’une réforme de l’aide médicale d’État (AME) et de nouvelles mesures pour lutter contre l’immigration illégale…

Le Savoyard a multiplié les concessions. En vain. Le RN en a voulu toujours plus. De ce fait, le locataire de Matignon n’avait qu’une seule voie devant lui : le déclenchement de l’article 49.3 pour passer en force son projet de loi de financement de la Sécurité sociale au Parlement. Une décision entraînant le dépôt de deux motions de censure. L’une défendue par le NFP, l’autre par le RN.

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Présenté comme un négociateur hors-pair par la macronie au moment de sa nomination, l’homme qui a dealé le Brexit au nom de l’Union européenne n’a pas réussi le même exploit en France. Issu d’une formation, les Républicains (LR), minoritaire au Parlement et n’ayant pas fait appel au front républicain en juin dernier, sa nomination à la tête du gouvernement était un contresens politique, une manœuvre pour ne pas se confronter aux résultats des législatives au soir du 7 juillet qui ont placé l’alliance des gauches en tête. Les équilibres parlementaires ont aujourd’hui parlé.

« Cette malédiction, c’est l’illégitimité »

Retour quelques heures plus tôt. À la tribune de l’Assemblée, les réquisitions s’enchaînent. L’insoumis Éric Coquerel, défenseur désigné de la motion de censure du NFP, mène l’accusation. « Cette motion va emporter votre gouvernement parce que vous n’avez jamais su transmettre la malédiction que vous a transmis Emmanuel Macron, cette malédiction, c’est l’illégitimité, annonce d’emblée le président de la commission des Finances. Votre échec était annoncé, il est cuisant. »

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En 10 minutes, l’insoumis démonte le bilan de sept années de « macronomics », une politique économique « au service de la finance » ayant provoqué la série de plans de licenciement et une colère profonde dans le pays. Assis en première loge dans l’une des tribunes réservées au public, Jean-Luc Mélenchon écoute calmement. « Aujourd’hui, nous sonnons le glas d’un mandat, celui du président », conclut Coquerel.

Même son de cloche du côté du président du groupe socialiste, Boris Vallaud. Le député landais prend un ton grave : « À aucun moment, vous nous avez laissé améliorer votre projet ». Pointant ce gouvernement « de connivence avec l’extrême droite », le socialiste en appelle à un « sursaut moral ».

Sur le même ton, la cheffe de file des écologistes, Cyrielle Chatelain, dénonce les « compromissions de ce gouvernement avec le Rassemblement national ». Pour le communiste Nicolas Sansu, orateur désigné du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, ce gouvernement n’a su réussir qu’une chose : réunir toutes les nuances de droite « pour ne pas toucher au dogme d’un capitalisme libéral sans scrupule ».

Sans assise démocratique

Côté RN, Marine Le Pen dépeint un Premier ministre « à la tête d’un gouvernement dépourvu de toute assise démocratique » dont le « socle commun » a montré une « intransigeance », un « sectarisme » et un « dogmatisme » qui ont « interdit la moindre concession ». Dans l’objectif de se justifier du vote du texte de gauche, elle affirme utiliser « le NFP comme un simple outil » : « La politique du pire serait de ne pas censurer un tel budget, un tel gouvernement, un tel effondrement. »

Des arguments plus ou moins recyclés par Éric Ciotti. Le président du groupe de l’Union des droites républicaines s’emploie à pointer les « dérives » de ce budget « socialiste » qui refuse « de s’attaquer aux dépenses folles liées à l’immigration ».

Cette motion de censure rendra tout plus grave et plus difficile.

M. Barnier

Assis au premier rang, Michel Barnier prend des notes, modifie son discours, rature certains passages. À côté de Nathalie Delattre et Didier Migaud, le Savoyard travaille sa future plaidoirie. À la tribune, Laurent Wauquiez, Marc Fesneau, Laurent Marcangeli et Gabriel Attal défendent la cause de Michel Barnier. Sans grande conviction.

Le président de la Droite républicaine dénonce encore une fois la « coalition des contraires, celle de l’extrême gauche et de l’extrême droite » menant au « chaos » ou au « désordre » fiscal, politique et social. Le chef de file des Démocrates (Modem), Marc Fesneau blâme une « motion de censure destructrice » défendue par ceux qui « ont préféré la facilité du sectarisme plutôt que l’exigence de responsabilité et du compromis ».

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Chef de file des députés Horizons, Laurent Marcangeli lance une dernière tentative de sauver Michel Barnier en essayant de convaincre les députés « sociaux-démocrates » : « D’autres issues sont possibles chers collègues, vous pouvez toujours, sans vous renier, saisir la main tendue pour défendre un pacte politique a minima. » Pas de chance : les députés socialistes ne sont plus dans l’hémicycle. Un bureau national exceptionnel du parti a été convoqué à 18 h pour évoquer la suite du gouvernement Barnier.

Plus calme, Gabriel Attal pointe le « spectacle désolant des extrêmes », signe du « désordre » et de « l’irresponsabilité à tous les étages » des députés lepénistes comme insoumis. Lui aussi s’adresse aux députés du Parti socialiste, son ancienne famille politique : « On peut s’opposer sans censurer. Affranchissez-vous ! » Pas de chance non plus : les députés socialistes, toujours en réunion, ne sont toujours pas revenus dans l’hémicycle.

Moment de vérité

19 h 09. Au tour de la défense. Refusant d’admettre que son budget « pas parfait » marque le retour de l’austérité, Michel Barnier estime que « nous sommes rendus à un moment de vérité, un moment de responsabilité ». Devant la situation budgétaire alarmante du pays, il semble anticiper sa chute en interpellant un futur gouvernement : « La réalité ne disparaîtra pas par l’enchantement des motions de censure. » Il remercie les membres de son gouvernement, les parlementaires du « socle commun » et Laurent Wauquiez. Tout cela ressemble à un discours d’adieu.

Même si sa fin est proche, Barnier cherche quand même à dramatiser le moment. « Cette motion de censure rendra tout plus grave et plus difficile », promet-il. Pour finir, il convoque Antoine de Saint-Exupéry (« Chacun est responsable de tous, chacun est seul responsable, chacun est seul responsable de tous »), en appelle à l’intérêt général qui sommeille dans chaque député, avant de se comparer à Georges Pompidou, premier chef du gouvernement à être victime d’une motion de censure en 1962. « Je ressens comme un honneur d’avoir été et d’être encore le premier ministre des Français. Cela reste un honneur d’avoir servi la France », dit-il.

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Dans la Salle des Quatre Colonnes après le verdict, la gauche exulte. « On ne pouvait pas laisser un gouvernement illégitime avec une politique minoritaire mener les affaires dans ce pays. Aujourd’hui, un espoir s’ouvre », confie Eric Coquerel. Le RN est sur le même ton. « Barnier a préféré s’entêter à mener une politique de continuité avec le macronisme, il doit en assumer les responsabilités », se gargarise le député Thomas Ménagé. Mais la fête est de courte durée. Tout le monde pense déjà à l’après. La gauche en premier.

Emmanuel Macron a un devoir moral : nommer la gauche.

S. Rousseau

« Emmanuel Macron a un devoir moral : nommer la gauche. Est-ce que Macron veut être le protecteur des institutions ou est-ce qu’il veut souffler sur les braises de la crise de notre pays ? », expose l’écologiste Sandrine Rousseau. Du côté du socle commun, Erwan Balanant (Démocrates, Modem) appelle à la réaction de son camp : « Nous devons réagir. Tous les groupes qui ont appelé au front républicain, nous devons nous mettre autour de la table, nous devons arrêter les calculs politiciens, nous devons arrêter de penser à la présidentielle et penser aux Français. » Est-ce que cela suffira à faire passer la gueule de bois ?

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