Face aux manœuvres élyséennes, l’unité du Nouveau Front populaire sur un fil

Les malentendus et les divergences stratégiques au sein de l’alliance de gauche fragilisent toujours sa capacité à se rendre audible. En toile de fond, une lutte entre socialistes et insoumis.

Lucas Sarafian  • 12 décembre 2024 abonné·es
Face aux manœuvres élyséennes, l’unité du Nouveau Front populaire sur un fil
Boris Vallaud, Olivier Faure, Patrick Kanner (PS) et Marine Tondelier (Les Écologistes) après la réunion à l'Élysée, le 10 décembre 2024.
© Thomas SAMSON / AFP

Et si c’était le début de la fin ? Au sein du Nouveau Front populaire (NFP), l’ambiance n’est pas au beau fixe. Pourtant, toutes les composantes de l’alliance partagent officiellement la même revendication : la nomination d’un premier ministre issu du Nouveau Front populaire (NFP). Socialistes, insoumis, écologistes et communistes seraient donc alignés. Encore faut-il lire les conditions générales d’utilisation de l’union. Car ce sont dans les non-dits et les petits malentendus que se cachent, peut-être, les fractures à venir.

Retour au 6 décembre. Sur Franceinfo quelques heures avant son rendez-vous avec Emmanuel Macron, le premier secrétaire socialiste, Olivier Faure, se dit prêt à faire des « concessions réciproques » avec le camp présidentiel et conditionne l’abrogation de la réforme des retraites à son financement, ignorant ainsi le programme économique du NFP et se rapprochant de la proposition du député Jérôme Guedj, qui plaide pour un gel de la réforme jusqu’en 2027. Une nouvelle prise de distance avec la ligne historique du NFP.

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La veille, Olivier Faure, Boris Vallaud, chef de file des députés du Parti socialiste (PS), et Patrick Kanner, président des sénateurs roses, ont envoyé une lettre à Emmanuel Macron, lui demandant une discussion avec toutes les forces qui ont fait appel au barrage républicain entre les deux tours des législatives de juin dernier et reconnaissant que la situation politique exigeait de « revenir à quelques idées simples ».

Une déclaration se rapprochant de la proposition de Cyrielle Chatelain, présidente du groupe Écologiste et social à l’Assemblée, qui plaide pour l’application d’un programme d’action autour de onze priorités comme l’abrogation de la réforme des retraites, l’interdiction des licenciements boursiers ou la revalorisation du Smic. Un pas de côté par rapport au slogan « Tout le programme, rien que le programme » des insoumis.

Discuter ou pas ?

Au sein des troupes de Jean-Luc Mélenchon, on voit dans les déclarations d’Olivier Faure une volonté de remettre en question le programme commun, voire de vouloir extraire le PS de l’alliance des gauches. Certains insoumis le soupçonnent même d’espérer pouvoir marchander avec Emmanuel Macron pour obtenir des postes ministériels dans le gouvernement « d’intérêt général » dont rêve le chef de l’État.

Nos alliés ont peur. Nous, c’est l’inverse, nous n’avons pas peur d’être dans un moment historique.

J-L. Mélenchon

Pour les mélenchonistes, pas question de se rendre à l’Élysée pour négocier quelques mesurettes de gauche. « Nos alliés ont peur. Nous, c’est l’inverse, nous n’avons pas peur d’être dans un moment historique. Se rendent-ils compte de la contre-performance de ce qu’ils font ? Emmanuel Macron les instrumentalise et gagne des points à chaque heure qui passe », considère le triple candidat à la présidentielle ce 10 décembre, au lendemain d’une réunion publique à Redon (Ille-et-Vilaine).

Pourquoi répondre favorablement aux invitations lancées par Emmanuel Macron ? « Monsieur Macron est un problème. Il faut assumer le rapport de force pour exiger la nomination d’un premier ministre de gauche qui composera un gouvernement de gauche et appliquera et débattra d’un programme de gauche, lâche Hadrien Clouet, député LFI de Haute-Garonne. Pourquoi les socialistes s’entêtent-ils à faire du recyclage de macronistes ? Le bloc de gauche peut gouverner ce pays. Et ils sont en train de remettre en selle je-ne-sais-quel macroniste en fin de course. Il n’y a aucun compromis possible avec les macronistes. Tout cela renvoie un message incompréhensible. »

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Les insoumis ont en tête une présidentielle anticipée et ne voient pas l’intérêt d’accepter les discussions avec l’Élysée. Une logique dans laquelle refusent d’entrer les écologistes, les communistes et les socialistes qui ont accepté d’échanger « en responsabilité » avec le président.

Si Emmanuel Macron nomme Bayrou, nous n’irons pas. Mais ça ne veut pas dire qu’on censurera automatiquement.

P. Kanner

A la sortie de l’entrevue avec le Président le 6 décembre, Olivier Faure clarifie sa position : il demande la nomination d’un premier ministre de gauche et assure que le PS ne participera pas à un gouvernement dirigé par un locataire de Matignon de droite. Bref, le premier secrétaire du parti n’est pas là pour discuter de la distribution de maroquins ministériels. « Nous ne sommes pas prêts à assumer la continuité du macronisme, nous sommes venus dire que nous voulions mener une politique de gauche avec un premier ministre de gauche », explique Olivier Faure. Traduction : il a les mêmes desiderata que les verts et les communistes.

Accord de non-censure et « pantalonnade »

« Il y a eu un coup de barre à droite avec Michel Barnier. Il est temps désormais pour la gauche de gouverner. C’est arithmétique : la gauche est arrivée en tête aux législatives et c’est le bloc le plus important à l’Assemblée, développe Patrick Kanner entre les rendez-vous. Les Français veulent de l’ordre, de la stabilité, de la justice avec un premier ministre de gauche capable de chercher les bons compromis sans utiliser le 49.3. Si ce n’était pas un premier ministre de gauche, nous ne participerons pas. En clair, si Emmanuel Macron nomme Bayrou, nous n’irons pas. Mais ça ne veut pas dire qu’on censurera automatiquement. »

Si il y un gouvernement d’alliance entre le RN et les macronistes, on censure, c’est tout.

H. Clouet

Voici donc un nouveau problème : dans quel cas de figure le PS censure-t-il ? Au sein du parti, la ligne est difficile à suivre. Faut-il tenter de dealer un accord de non-censure avec un gouvernement, même de droite, pour espérer des victoires à l’Assemblée ? Faut-il défendre un accord de non-censure uniquement si la gauche est appelée à gouverner par Emmanuel Macron ? Ou faut-il menacer de censurer automatiquement un Premier ministre du centre ou de droite ?

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Devant cette ambiguïté stratégique, les insoumis s’agacent. « Qu’est-ce que cela veut dire ? C’est une pantalonnade. Si il y a un gouvernement d’alliance entre le RN et les macronistes, on censure, c’est tout. Cela n’aurait aucun sens de ne pas censurer un gouvernement ‘d’intérêt général’ dans lequel il y aurait des représentants LR dont Bruno Retailleau. Je ne le tolèrerai pas non plus, grince le député LFI Hadrien Clouet. On sort d’une séquence où on censure le gouvernement, où on met les macronistes en difficulté et certains se saisissent de l’occasion pour magouiller avec Emmanuel Macron. C’est illisible. »

Trois jours plus tard, le 9 décembre, les roses envoient un nouveau courrier à Emmanuel Macron. Une missive dans laquelle ils rappellent la nécessité de nommer un Premier ministre de gauche. Et évoquent « en second lieu » l’hypothèse d’un accord de non-censure en cas d’engagement du prochain chef de gouvernement de ne pas utiliser le 49.3 et de changer la politique menée par Emmanuel Macron sur les retraites, le pouvoir d’achat, la justice fiscale, la défense des services publics, le logement, l’éducation ou la santé.

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Une manière de se poser comme un groupe pivot à l’Assemblée, de s’affranchir du leadership insoumis, d’espérer des victoires politiques concrètes. Une manière aussi de ne pas rester cantonné à la seule demande de la gauche : le NFP à Matignon.

ll faut discuter avec tout le front républicain puisqu’il n’y a pas de majorité absolue.

B. Bellay

Selon Béatrice Bellay, députée socialiste et porte-parole du groupe à l’Assemblée, « il convient d’avoir aujourd’hui des exigences, des demandes très fermes, des demandes de responsabilité du président », mais « il ne s’agit pas là de prétendre participer à un gouvernement de coalition, néanmoins, nous disons aussi qu’il faut discuter avec tout le front républicain puisqu’il n’y a pas de majorité absolue ». Lors de la réunion du 10 décembre réunissant tous les partis politiques sauf LFI et le RN, l’idée d’un accord de non-censure en l’échange du renoncement au 49.3 aurait été bien accueilli par François Bayrou (Modem) et Laurent Marcangeli (Horizons).

Clarification

Le lendemain sur RMC, Olivier Faure met fin à toute ambiguïté : le renoncement au 49.3 en échange d’un abandon par les oppositions d’une motion de censure ne vaut que si un premier ministre de gauche est nommé. « Je souhaite un premier ministre de gauche qui soit ouvert au compromis (…). On doit avoir le pouvoir d’initiative, nous la gauche, mais nous devons accepter l’idée, comme nous n’avons pas la majorité absolue, d’accepter les compromis, les concessions réciproques », éclaire-t-il.

Par cette déclaration, Faure s’aligne une nouvelle fois avec la position écolo et communiste. Au sein du Parti communiste (PCF), on défend l’engagement de ne pas recourir au 49.3 dans le cas de la formation d’un gouvernement de gauche, selon un communiqué publié après le rendez-vous du 10 décembre. Même son de cloche du côté de Marine Tondelier, la secrétaire nationale des Écologistes. Hors de question de discuter de la feuille de route à venir si une personnalité issue du NFP n’est pas appelée à constituer un gouvernement.

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« Tondelier a d’ailleurs fait une petite blague lors de la réunion du 10 décembre en désignant Gabriel Attal : quelqu’un qui a pu être de gauche dans le passé n’est pas quelqu’un issu du Nouveau Front populaire, il ne peut pas être nommé à Matignon », raconte un écologiste. Pour François Thiollet, membre de l’exécutif du parti écolo, « ce que nous demandons est simple : la nomination d’une personne du Nouveau Front populaire, le bloc le plus important à l’Assemblée ». « Ils reviennent finalement à la raison », observe un insoumis.

Pour battre l’extrême droite et la droite, la gauche peut gagner seulement si elle est rassemblée.

F. Thiollet

Souhaitant se départir des rendez-vous avec Emmanuel Macron, les verts plaident également pour l’organisation d’échanges à l’Assemblée nationale entre groupes ayant participé au front républicain. Cyrielle Chatelain, présidente du groupe, a envoyé une lettre en ce sens à la présidente de l’Hémicycle, Yaël Braun-Pivet, ce 11 décembre au soir. Une voie de sortie permettant d’écarter le président du jeu et de ramener, peut-être, les insoumis à la table des discussions.

« Il y a des différences d’analyse entre LFI et le PS, c’est vrai. Mais il faut rester coordonnés. Tout le monde sait que, pour battre l’extrême droite et la droite, la gauche peut gagner seulement si elle est rassemblée. Et Emmanuel Macron pourra tout à fait dissoudre dans 6 mois, alerte François Thiollet. Il faut que le NFP continue à se parler, à exister. » Le message sera-t-il entendu ?

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