François Bayrou, haut commissaire aux bons plans 

Le maire de Pau s’est imposé à Matignon contre l’avis d’Emmanuel Macron. Récit.

Nils Wilcke  • 13 décembre 2024 abonné·es
François Bayrou, haut commissaire aux bons plans 
François Bayrou à l'église Saint-Jean de Montmartre, à Paris, le 13 décembre 2024.
© Dimitar DILKOFF / AFP

Il est 12 h 40 ce vendredi 13 décembre quand une alerte retentit sur la boucle « riposte » des macronistes. Finalement, Emmanuel Macron a nommé François Bayrou à Matignon après une longue semaine d’indécision virant au tragicomique. « On n’y croyait plus », confie un soutien du maire de Pau – et haut-commissaire au Plan –, échaudé par les rumeurs et les contre-feux, et qui n’avait pas reçu d’invitation pour la passation de pouvoir de Michel Barnier le même jour.

Bayrou a menacé de retirer les députés Modem du socle commun à l’Assemblée et de faire exploser l’ancienne majorité, c’était très violent.

C’est que le choix de François Bayrou pour succéder à Michel Barnier n’allait pas de soi pour le président de la République. Jusqu’au bout, le locataire de l’Élysée a joué avec les nerfs de son allié centriste, allant jusqu’à faire fuiter des noms par le biais de son entourage : Sébastien Lecornu, Bernard Cazeneuve, Bruno Retailleau, Pierre Moscovici et même Marisol Touraine…, sans rien dévoiler de ses véritables intentions.

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Ce matin, François Bayrou a rencontré le chef de l’État au cours d’une discussion « tendue » selon plusieurs articles de presse. Alors qu’il s’attend à se voir proposer le poste de premier ministre, Emmanuel Macron tente de lui faire accepter une place de numéro 2, sous l’égide de Roland Lescure. L’ancien ministre, polytechnicien franco-canadien, a rejoint En Marche dans le sillage du président en 2017 et incarne sans états d’âme la ligne pro business macroniste.

État de faiblesse

C’est alors lui le candidat du président et surtout, d’Alexis Kohler, le puissant bras droit du chef de l’État. Roland Lescure est reçu à l’Élysée mardi soir pour évoquer une esquisse de gouvernement, révèle Le Figaro. Mais ce matin, François Bayrou se rebiffe à l’idée de jouer les éternels seconds. « Il a menacé de retirer les députés Modem du socle commun à l’Assemblée et de faire exploser l’ancienne majorité, c’était très violent », souffle une source au sein de l’exécutif à Politis.

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Avec 36 membres à la chambre basse du Parlement, les centristes ont perdu des plumes après la dissolution ratée d’Emmanuel Macron mais sont devenus d’autant plus indispensables aux macronistes, eux aussi très diminués. Mais la nomination du maire de Pau révèle aussi en filigrane l’état de faiblesse d’Emmanuel Macron.

« Une fois de plus, Macron n’a pas choisi son premier ministre, observe Jean-Bernard Gaillot-Renucci, ancien responsable de La droite avec Macron au QG de campagne de 2017 et conseiller politique de plusieurs députés jusqu’en 2021. François Bayrou n’est pas nommé pour sa compétence mais pour son pouvoir de nuisance. »

Traîtrise et duplicité

Outre son caractère difficile, certains dénoncent la duplicité du nouveau premier ministre. Pour preuve, « tout en se déclarant pour Alain Juppé lors de la primaire de la droite en 2016, François Bayrou commence à se reprocher de Macron par l’entremise de Gérard Collomb », se souvient Jean-Bernard Gaillot-Renucci.

François Bayrou a toujours trahi ceux qu’il a choisis.

N. Sarkozy

Le nouveau premier ministre s’est aussi attiré l’inimitié de Nicolas Sarkozy en soutenant contre lui Ségolène Royal lors de la campagne de 2007. L’ex-président l’avait par la suite qualifié de « traître » dans son livre, Le Temps des tempêtes (Éditions de l’Observatoire), paru en juillet 2020. « François Bayrou a toujours trahi ceux qu’il a choisis, écrivait-il. Emmanuel Macron en fera, à son tour, avant la fin de son quinquennat, l’amère expérience. Je n’en doute pas un instant. »

Autre point de vigilance pour l’Élysée, peu relevé par les médias jusqu’à présent, le premier ministre accède à Matignon alors qu’il est sous la menace d’un nouveau procès après que le parquet a fait appel de sa relaxe dans l’affaire des détournements de fonds publics de son parti. « Ce n’est pas une ligne rouge mais c’est emmerdant car la date du procès sera dévoilée au début de l’année », reconnaît ce vendredi un lieutenant d’Emmanuel Macron. Il faut dire que le bras droit du président, Alexis Kohler, est lui-même mis en examen pour prise illégale d’intérêts, accusé d’avoir participé comme haut fonctionnaire à des décisions relatives à l’armateur MSC, dirigé par les cousins de sa mère.

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Une prise de risque calculée ? Le maire de Pau s’est attiré une certaine bienveillance du Rassemblement national, compatissant avoir Marine Le Pen, elle-même menacée d’inéligibilité dans son procès pour emplois fictifs au Parlement européen. Le RN a d’ores et déjà fait savoir qu’il ne censurerait pas « a priori » ce nouveau gouvernement.

« Macron a cédé car il n’a plus personne de fiable autour de lui, il n’avait pas tant de choix que cela », poursuit notre source. Un constat accablant pour le chef de l’État, chantre de la « stabilité » et qui a déjà usé pas moins de quatre premiers ministres en un an, pulvérisant tous les records de la Ve République.

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