François Bayrou, le macronisme au bout du rouleau
Emmanuel Macron choisit son allié historique à Matignon, président du Modem et figure de cet « ancien monde » que détestait le chef de l’État. Une décision qui acte sa volonté de ne pas remettre en cause sa politique.
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François Bayrou, haut commissaire aux bons plans Bayrou, l’homme dont personne ne voulait (pas même Macron) sauf le RNEmmanuel Macron promettait une « nouvelle méthode » lors de ses discussions avec les différents partis politiques. Il a finalement choisi l’un des derniers représentants de l’ancien monde, cette classe politique que le candidat Macron rejetait tant lors de la présidentielle de 2017. Le nouveau locataire de Matignon s’appelle François Bayrou.
Dans un communiqué plus que succinct diffusé peu avant 13 heures ce vendredi 13 décembre, le président charge le chef de file du Modem, fidèle allié macroniste, l’homme qui avait théorisé le dépassement des clivages sans pouvoir l’appliquer, de former un nouveau gouvernement. Un choix qui acte aussi la volonté du chef de l’État de ne pas vouloir remettre en cause la moindre miette de sept années de politique.
Au sein de la coalition présidentielle, on croit avoir enfin trouvé le profil idéal pour éviter une censure express. Les troupes macronistes ne cessent de vanter ce triple candidat à la présidentielle, homme de dialogue, habité par l’intérêt du pays et capable de réunir autour de la table des personnalités de gauche comme de droite.
« On a besoin d’avoir un premier ministre capable de travailler avec les groupes de gauche comme de droite, en dehors des deux extrêmes, c’est-à-dire La France insoumise et le Rassemblement national. François Bayrou a montré qu’il était dans une logique de compromis, de recherche de consensus. Le symbole de sa méthode, c’est la proportionnelle qu’il défend depuis longtemps », développe le député Ensemble pour la République (EPR, ex-Renaissance) Denis Masséglia. « François Bayrou, qui incarne ce dépassement et cette préoccupation pour nos comptes publics depuis des années, est l’homme de la situation », croit le député EPR Benoît Mournet.
C’est la nomination de l’un des derniers soldats fanatiques du macronisme.
A. Le Coq
L’éloge ne convainc pas du tout la gauche. « La nomination de François Bayrou est une provocation. C’est la nomination de l’un des derniers soldats fanatiques du macronisme par un président de la République retranché seul à l’Élysée », lance le député insoumis Aurélien Le Coq. « S’il est nommé, ce sera la même situation, le même problème que sous Michel Barnier. Il y aura donc une censure », prévenait déjà la députée écologiste Sandrine Rousseau quelques heures avant la nomination officielle.
« En nommant à Matignon l’un de ses proches, une personnalité issue du bloc central, Emmanuel Macron prend le risque d’aggraver la crise politique et institutionnelle. Il semble faire le choix de la continuation de sa politique et de la défense de son bilan », grince Boris Vallaud, président du groupe socialiste à l’Assemblée.
Le camp d’Emmanuel Macron ignore ces menaces et avance l’expérience du nouveau chef du gouvernement. Un homme au CV long comme le bras : président du Modem, maire de Pau (Pyrénées-Atlantiques) depuis 10 ans, ex-eurodéputé, député des Pyrénées-Atlantiques pendant près de 20 ans, ministre de l’Éducation nationale dans les années 1990 sous François Mitterrand puis Jacques Chirac. Loin, très loin de la promesse de renouvellement de la classe politique sur laquelle avait été élu le président il y a sept ans. Un renoncement de plus.
Fidèle parmi les fidèles
Ressuscité de la vie politique après son soutien décisif en 2017 à Emmanuel Macron, qui mord sur son espace central et le contraint à abandonner ses ambitions personnelles, François Bayrou devient le premier allié du futur président. Récompensé de son sacrifice, le chef de l’État lui permet de devenir garde des Sceaux dans le premier gouvernement d’Édouard Philippe. Vite rattrapé par l’affaire des emplois fictifs des assistants parlementaires du Modem, il quitte l’exécutif. Il restera 35 jours à la chancellerie. Mais il ne s’éloigne pas vraiment de la galaxie macroniste.
Malgré sa mise en examen en décembre 2019, il est nommé à la tête du Haut-commissariat au Plan, une administration essentiellement chargée de produire des notes sur différents sujets et de proposer des stratégies. Un poste qui lui laisse beaucoup de temps libre, lui permettant de rester très influent auprès du chef de l’État, tout en lui attirant de vives critiques de la part des oppositions de gauche. Car en 51 mois au Haut-commissariat, l’administration n’a rendu que 17 rapports, c’est-à-dire une note tous les trois mois.
Ce n’est pas le Playmobil de la bande.
B. Millienne
Emmanuel Macron choisit de nommer ce fidèle parmi les fidèles. Cette assertion est néanmoins contredite par ses proches : « La gauche qualifie systématiquement François Bayrou de macroniste. C’est faux. Le seul allié d’Emmanuel Macron qui ose dire les choses au président quand ça ne va pas, c’est François Bayrou. Ce n’est pas le Playmobil de la bande », considère Bruno Millienne, ex-député Modem des Yvelines et désormais porte-parole du parti bayrouiste.
Certains macronistes se souviennent de la brouille entre le parti présidentiel et lui après la composition du gouvernement de Gabriel Attal en début d’année : ne comprenant pas la droitisation de cet exécutif, Bayrou avait menacé de présenter sa propre liste aux européennes. Menace non exécutée.
Durant les débats autour de la loi immigration défendue par Gérald Darmanin, il regrette le déplacement vers la droite du centre de gravité de la coalition présidentielle et se désole de ce texte qui manquait « d’équilibre », selon ses mots dans Le Parisien. Timides critiques. « Bayrou est un homme avec près de 40 ans d’existence politique. C’est un partenaire fort, pas un affidé, juge Xavier Iacovelli, sénateur macroniste. Honnêtement, il a déjà fait preuve d’autonomie et de loyauté en même temps. Donc ça peut le faire. »
S’installer à Matignon, il en rêvait. Michel Houellebecq l’avait dépeint à ce poste dans Soumission en 2015, à la tête d’un gouvernement réunissant des figures de droite, de gauche et du centre. Dans le microcosme politique, son nom circule à chaque remaniement depuis 2017. En septembre dernier, Emmanuel Macron le consulte. Le nom du président du Modem circule pour Matignon. Mais le président, après de longues semaines de réflexion et de consultations, n’envisage pas de le nommer. François Bayrou en est conscient. Ça ne l’empêche pas de partager sa vision des choses dans la presse.
Il est désormais en capacité d’extraire la quintessence de ce qui se fait de bien à gauche et à droite sur chaque sujet.
« La seule voie possible – et qui s’imposera – ce n’est pas un gouvernement d’un côté, s’opposant à l’autre côté, mais une équipe de rassemblement pour affronter les problèmes si graves de notre pays, du monde et de la planète », philosophait-il dans Le Figaro le 18 août. Auprès d’Emmanuel Macron, il défend alors la candidature de Bernard Cazeneuve. Raté. Emmanuel Macron choisira finalement Michel Barnier. Propulsé au sommet de l’État, le centriste de 73 ans – le même âge que son prédécesseur Michel Barnier – tient désormais sa revanche.
Sous la surveillance du RN
Relaxé dans le procès du Modem, avant que le parquet ne fasse appel, François Bayrou y croyait fermement depuis quelques semaines. « Il est prêt. Il a beaucoup travaillé depuis cet été quand son nom circulait déjà. Il est désormais en capacité d’extraire la quintessence de ce qui se fait de bien à gauche et à droite sur chaque sujet, sur chaque texte », assure un proche. Il atterrit à Matignon le jour de l’anniversaire de Henri IV, né le 13 décembre 1553. L’agrégé de lettres a écrit quatre livres sur ce roi de France. Les étoiles étaient alignées.
La position du Rassemblement national (RN) a aussi pesé dans la décision. Car François Bayrou a jugé sévèrement les réquisitions du parquet dans le procès des assistants parlementaires du FN-RN. Pour « sauver la démocratie », l’édile a également parrainé en 2022 Marine Le Pen qui avait du mal à recueillir les 500 signatures requises pour se présenter à l’élection présidentielle. Le centriste est aussi un fervent défenseur de la proportionnelle, l’une des demandes de réformes urgentes pour Marine Le Pen.
Résultat ? Le RN maintient ses lignes rouges, comme la réforme de l’Aide médicale d’État (AME), le déremboursement des médicaments ou l’indexation des pensions de retraite, mais ne défend pas de motion de censure « a priori ». « Emmanuel Macron est un Président bunkerisé qui a fait le choix d’un Premier ministre qui doit prendre en considération la nouvelle donne politique et il doit entendre qu’il n’a pas de légitimité démocratique ni de majorité à l’Assemblée nationale », menace le président du parti mariniste, Jordan Bardella. Encore une fois, le locataire de Matignon est mis sous surveillance par le RN.
Mais cette nomination a bien failli ne pas se faire. Ce vendredi 13 décembre vers 5 heures du matin, Emmanuel Macron passe un coup de fil à François Bayrou pour lui dire qu’il préfère nommer Roland Lescure, vice-président de l’Assemblée nationale et figure de l’aile gauche du macronisme. Colère froide du centriste. Aux alentours de 8 h 30, le patron du Modem se rend à l’Élysée. Emmanuel Macron cède un peu de terrain et lui propose ce deal : Roland Lescure sera à Matignon et François Bayrou deviendra le numéro deux du gouvernement.
Le centriste quitte l’Élysée par une porte dérobée après 1 h 45 d’échanges tendus. À ce moment-là, le chef de l’État ne change toujours pas d’avis. Néanmoins, les négociations continuent en fin de matinée. François Bayrou menace même de quitter la coalition présidentielle s’il n’est pas nommé à Matignon. Il finit par tordre le bras à Emmanuel Macron et Alexis Kohler – le secrétaire général de l’Élysée et hémisphère droit du président avait une préférence pour Roland Lescure.
Bail précaire à Matignon
Sera-t-il capable d’éviter une motion de censure ? « Il a la certitude qu’il est l’homme de la situation dans ce moment particulier. Dans quelques semaines, il faudra refaire un budget pour la France. Il croit avoir la capacité, et il a raison, de pouvoir faire travailler des gens qui ne pensent pas la même chose », explique le député Modem Richard Ramos.
Il peut être séduisant pour attirer des personnalités de gauche et de droite.
C. Marion
« Comme Michel Barnier, il a de l’expérience, il connaît les rouages de l’État. Il faut maintenant qu’il construise un gouvernement qui rassemble, analyse le député EPR Christophe Marion. Il est le chef d’un groupe qui a donné des gages à la gauche, sur les superprofits par exemple. Il peut donc être séduisant pour attirer des personnalités de gauche et de droite. »
Parmi ses soutiens, on l’estime capable de constituer une équipe resserrée allant des sociaux-démocrates à la droite républicaine, un gouvernement qui pourrait rassembler Bernard Cazeneuve et Xavier Bertrand. Lors du conclave du 10 décembre à l’Élysée, il défend un « gouvernement de personnalités ». Mission impossible ?
À gauche, La France insoumise (LFI) a déjà annoncé vouloir déposer une motion de censure. Du côté du Parti socialiste (PS), on n’exprime pas une franche hostilité à son égard. Ces derniers jours, les députés du Modem multipliaient les mains tendues aux troupes socialistes, notamment sur les retraites : les centristes sont plutôt favorables à une « révision » de cette réforme.
Les dirigeants du parti au poing et à la rose ont envoyé une lettre au nouveau premier ministre pour lui demander de renoncer à l’usage du 49.3 et d’inviter « les chefs des partis et présidents des groupes parlementaires ayant conduit le front républicain et en particulier ceux du Nouveau Front populaire ». « Nous ne rentrerons pas au gouvernement et nous demeurons dans l’opposition », assure Boris Vallaud, chef de file des socialistes à l’Assemblée.
Nouveau premier ministre pour une situation similaire ? En sortant du Haut-commissariat au plan avant de monter dans son taxi, François Bayrou lâche à quelques journalistes : « Le soir où François Mitterrand a été élu président de la République le 10 mai 1981, ses premiers mots quand on lui a apporté les résultats ont été : ‘Enfin, les ennuis commencent.’ » Signe qu’il a conscience que son bail à Matignon ne sera pas de tout repos. Et pourrait se révéler tout aussi précaire que celui de son prédécesseur.