La gauche encore à la peine face au RN
Malgré des succès sur le budget, les partis de gauche n’ont pas ébranlé le Rassemblement national. Autopsie des difficultés rencontrées.
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Face aux manœuvres élyséennes, l’unité du Nouveau Front populaire sur un fil Le pacte secret d’Emmanuel Macron avec le RN Macron : après la censure, l’ombre de la démissionOfficiellement, la gauche a pris l’avantage sur le Rassemblement national (RN) dans les débats sur le budget et la censure du gouvernement Barnier. « Nos amendements sur le budget ont démontré que faire payer les riches a un sens concret », se félicite Jean-Luc Mélenchon lors d’un meeting à Redon, le 9 décembre. « Nos propositions n’étaient pas un délire fiscal comme l’affirmaient les macronistes et la droite, mais de la justice fiscale dans un budget qui en manquait singulièrement », renchérit Olivier Faure dans la foulée sur BFM.
Reste que la gauche n’a pas réussi à ébranler son principal ennemi, le Rassemblement national, ni dans les sondages d’opinion ni à l’Assemblée nationale. « Encore une réussite des experts à 2 balles qui prophétisaient que le vote de la censure disqualifierait le RN », a réagi jeudi dernier sur X (ex-Twitter) l’élu RN de la Somme Jean-Philippe Tanguy, en partageant un récent sondage Harris Interactive plaçant le RN en tête des préférences pour former une majorité au Parlement. De quoi nuancer l’autosatisfecit que le Nouveau Front populaire s’est accordé.
Le RN s’en tire souvent car il change constamment son discours en fonction des circonstances.
S. Rousseau
« Le RN s’en tire souvent car il change constamment son discours en fonction des circonstances », constate auprès de Politis la députée écologiste Sandrine Rousseau, qui a ferraillé sur la retraite des agriculteurs lors de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) sans que ses propositions parviennent à percer le mur du son. « Souvent, on ne savait pas ce que le groupe de Marine Le Pen allait voter, même à la dernière minute », observe l’élue. Ce louvoiement a été flagrant lors des débats sur la taxation sur les revenus du capital (flat tax).
Le médias pointés du doigt
En commission, le RN s’était abstenu pour permettre à la gauche de relever le taux de la taxe de 3 % avant de voter contre dans l’Hémicycle avec la droite et les macronistes du « socle commun ». « On voit bien que l’extrême droite navigue à vue », renchérit le sénateur PCF Ian Brossat. Leurs positions économiques s’alignent en partie sur le macronisme. » Cela suffit-il à expliquer les difficultés de la gauche à s’imposer face au RN dans le débat public, malgré ses contradictions ?
Sans surprise, le rôle des médias dans la normalisation du RN est pointé du doigt. « Vous portez une responsabilité très lourde dans la victoire idéologique de l’extrême droite », enrage en off une écologiste de premier plan, accusant une partie des journalistes d’être « matrixés » par les idées de l’extrême droite. Les reproches fusent : course à l’audience, « glamourisation du RN », recours aux éditorialistes au détriment de l’enquête. Sans compter une partie de la profession « bollorisée » et perméable aux idées du parti de Marine Le Pen.
Une partie de la presse dominante avait déjà accepté la victoire du RN et l’entrée de Bardella au gouvernement.
I. Brossat
« Il m’est déjà arrivé de me mettre en colère lors d’un entretien, de reprocher aux journalistes de recracher des éléments de langage sans aucun recul, c’est grave mais ça continue », soutient l’élue écolo, en vain. Un constat partagé par le sénateur communiste Ian Brossat : « Une partie de la presse dominante avait déjà accepté la victoire du RN et l’entrée de Bardella au gouvernement après la dissolution, finalement il n’en a rien été, grâce à la mobilisation d’une partie de la gauche. »
Des reproches fondés, si l’on s’en tient aux médias mainstream, qui ont caressé le RN dans le sens du poil. Au point de susciter un début de révolte chez les journalistes, dont certains ont lancé une « alerte pour informer sans complaisance » après les européennes dans un communiqué en juin.
La gauche a besoin d’unité sur le fond
Mais les lacunes journalistiques, si elles sont réelles, n’exonèrent pas la gauche de ses responsabilités dans la montée en puissance du RN dans le débat public. « Marine Le Pen et Jordan Bardella se nourrissent l’un et l’autre de la déception qu’a suscitée la gauche au pouvoir, Hollande lui-même a reconnu qu’il ne pourrait pas se représenter après son premier quinquennat », déplore le député NFP Alexis Corbière. Ensuite, Benoît Hamon a fait 6 % et Anne Hidalgo est tombée à 1,7 %. L’unité, c’est important mais il faut aussi tomber d’accord sur un contenu de rupture avec le système économique et politique », poursuit l’élu.
Une partie de la gauche a aussi abandonné le travail de fond contre l’extrême droite. « L’évolution du RN, notamment sur les questions sociales, exigent un travail de fond, sur les idées et le programme ; pour ‘déconstruire’ le discours du parti d’extrême droite, c’est une gageure », reconnaît Sandrine Rousseau. La communication des partis du Nouveau Front populaire n’a rien arrangé. « C’est une catastrophe. Oui, il y a les journalistes et les chaînes Bolloré mais la gauche a été inaudible sur le budget, la motion de censure annoncée a écrasé le reste des débats », décrypte le conseiller politique Jean-Bernard Gaillot-Renucci.
La macronie a « pilonné » le NFP
L’expert pointe également le rôle trouble du « socle commun », en particulier de Gabriel Attal et Laurent Wauquiez, alliés de circonstance contre la gauche. « Ce sont les pompiers incendiaires, ils ont pris en tenaille, souvent en soutenant le RN, contre les propositions de gauche sur le budget. La macronie a pilonné médiatiquement le NFP sur le mode ‘avec la gauche, c’est le retour des taxes’. En face, elle a trouvé peu de répondant. »
Le macronisme est sur la fin, mais il faut aussi trouver la solution face au RN.
A. Corbière
Emmanuel Macron en prend aussi pour son grade : « Le président de la République est le principal responsable de cette situation, il a sabordé son premier ministre qui n’a fait qu’hériter d’un budget élaboré par son prédécesseur [Gabriel Attal, N.D.L.R.] », conclut M. Gaillot-Renucci. Sans compter une partie des troupes macronistes, à la dérive et entretenant un jeu de séduction délétère avec le RN. À l’image de Karl Olive et de Guillaume Kasbarian, qui se disent prêt à « travailler » avec l’extrême droite sous prétexte de la combattre.
Tous les élus de gauche approchés par Politis tombent d’accord sur un point, il y a des motifs d’espérer après les débats sur le budget. « On a été capable d’être force de proposition et de rassembler », assure Ian Brossat tandis que Sandrine Rousseau assure que le NFP « a été ultra-uni, à part quelques défections ».
Côté LFI, on est moins catégorique. « Une partie du PS travaille en sous-main pour affaiblir l’alliance du NFP », s’agace un proche de Jean-Luc Mélenchon, visant les éléphants socialistes sur le retour, tels François Hollande. Les insoumis font l’objet d’une méfiance équivalente des socialistes, qui reprochent à Jean-Luc Mélenchon d’imposer un face-à-face entre lui et Marine Le Pen en 2027. « Il faut dépasser le cartel électoral et s’enraciner, au-delà du logo commun, avance Alexis Corbière. Le macronisme est sur la fin, mais il faut aussi trouver la solution face au RN, qui se présente comme une contestation du système tout en conservant les acquis de la bourgeoisie. » Vaste programme.