Le pacte secret d’Emmanuel Macron avec le RN

Malgré les ajustements stratégiques du PS, des Écologistes et du PCF, Emmanuel Macron s’entête à ne pas appeler la gauche à gouverner. Signe d’un nouveau deal implicite avec l’extrême droite.

Lucas Sarafian  • 11 décembre 2024 abonné·es
Le pacte secret d’Emmanuel Macron avec le RN
Manifestation le 7 septembre 2024 à Paris.
© Amaury Cornu / Hans Lucas / AFP

Tout changer pour que rien ne change. Voilà peut-être le mantra d’Emmanuel Macron. Car, depuis quelques mois, le chef de l’État semble ignorer la réalité politique du pays. Après les législatives anticipées qui ont marqué le rejet de sa politique menée depuis sept ans, le locataire de l’Élysée nomme Michel Barnier, un homme de droite suscitant la bienveillance du Rassemblement national (RN) et consolidant l’alliance entre le bloc central et les Républicains.

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Après le vote de la censure, il rejette toute forme de responsabilité, dénonçant dans son allocution du 5 décembre l’union de « l’extrême droite et [de] l’extrême gauche » dans un « front antirépublicain ». Pas question de reconnaître que la raison du blocage, c’est lui. Changer de cap ? Jamais.

Il ne veut pas d’un premier ministre qui puisse remettre en question sa politique économique et sociale. 

É. Coquerel

« Selon les informations dont nous disposons, Emmanuel Macron ne nommera pas un premier ministre de gauche, ni même de centre gauche. Il ne le fera pas, car il ne veut pas d’un premier ministre qui puisse remettre en question sa politique économique et sociale », lâche Éric Coquerel, président insoumis de la commission des Finances, dans la nuit du 4 décembre dans la salle des Quatre-Colonnes. Pour Emmanuel Macron, il est inenvisageable de nommer un gouvernement qui remettrait en question sa réforme des retraites et qui programmerait des hausses d’impôts pour les plus aisés.

Sous surveillance

En sacralisant ces totems impopulaires, le président se condamne à rester dans la même situation : sous surveillance du RN. Les troupes de Marine Le Pen le savent bien. Dès le soir de la censure de Michel Barnier, les marinistes martèlent leurs desiderata : la censure a priori de tout gouvernement du Nouveau Front populaire (NFP), une nouvelle loi immigration, la mise en place de la proportionnelle et l’indexation des pensions de retraite, seule chance pour Emmanuel Macron de réussir à faire adopter un budget à l’Assemblée…

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« Nous gardons les mêmes lignes rouges : nous souhaitons un gouvernement qui tient compte de l’ensemble des groupes mais qui rompt avec le macronisme. La question, ce n’est pas le casting, c’est le cap, assure Thomas Ménagé, porte-parole du groupe RN à l’Assemblée. Nous n’avons jamais demandé qu’un premier ministre soit issu du RN, car nous actons le fait que nous n’avons pas la majorité pour mettre en place notre programme. Mais il n’y a pas non plus une majorité pour soutenir Emmanuel Macron : il y a une Assemblée nationale qui doit être entendue et son premier groupe est le Rassemblement national. »

Je peux tout à fait voter à nouveau une motion de censure.

M. Le Pen

Si Marine Le Pen n’a pas été conviée aux consultations entre Emmanuel Macron et les forces politiques, celle qui est menacée d’inéligibilité dans le procès des attachés parlementaires du FN-RN est omniprésente. Dans Le Figaro le 6 décembre, elle menace : « Que personne ne pense que j’aurais dorénavant les mains liées. Je peux tout à fait voter à nouveau une motion de censure. Nos conditions sont celles que nous avons posées au mois de juillet. Michel Barnier ne les a pas respectées, ce qui a entraîné la présentation d’un budget qui a été censuré. Si le prochain premier ministre n’a pas compris comment ça fonctionne, c’est à désespérer. »

La gauche n’ira pas à Matignon sous Macron

Un appel visiblement entendu, car Emmanuel Macron persiste et signe : jamais la gauche ne gouvernera durant son mandat. « Il y a eu un coup de barre à droite avec Barnier, il est temps que la gauche gouverne. Mais il ne faut pas se faire d’illusion. En sept ans, Emmanuel Macron n’a fait que droitiser sa politique », confie Patrick Kanner, chef de file des sénateurs socialistes, quelques heures après son entrevue avec Emmanuel Macron, le 6 décembre.

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La position élyséenne ne changera donc pas. Malgré les ouvertures au dialogue des socialistes, des communistes et des écologistes. Malgré aussi quelques appels lancés au sein de son propre camp. « Un premier ministre de droite reviendrait à la situation dont nous venons de sortir, avec les mêmes risques, donc in fine le même résultat : la censure. Un premier ministre de gauche a davantage de chances de tenir dans la durée, à condition que LFI ne fasse pas partie du package. Il devra par ailleurs trouver avec le centre et la droite des accords pour gouverner, en définissant notamment des lignes rouges à ne pas franchir afin d’éviter la censure », expose le député Ensemble pour la République (EPR) Denis Masséglia.

Assurance vie

Mis sous pression par les ministres démissionnaires issus des Républicains, comme Bruno Retailleau, qui refuse de faire le moindre compromis avec la gauche, le chef de l’État ne voit qu’une seule issue : jouer une nouvelle fois la complaisance à l’égard de l’extrême droite. Parmi les noms pressentis au poste de premier ministre à l’heure où nous bouclons, trois hypothèses circulent : Catherine Vautrin, Sébastien Lecornu et François Bayrou.

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La première avait défilé avec la Manif pour tous en 2013. Le second a dîné plusieurs fois secrètement avec Marine Le Pen, selon Libération. Le troisième a vivement critiqué les réquisitions adressées à Marine Le Pen dans son procès et a donné son parrainage, en 2022, à la candidate d’extrême droite en difficulté pour recueillir les 500 signatures nécessaires pour la présidentielle. Signe que l’indulgence du RN est l’assurance vie du macronisme.

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