Macron : après la censure, l’ombre de la démission

La chute du gouvernement Barnier souligne un blocage structurel et place de nouveau en première ligne le chef de l’État, plus que jamais fragilisé. Au point que la question de son départ anticipé, improbable il y a quelques mois, prend de l’épaisseur.

Hugo Boursier  et  Pierre Jequier-Zalc  et  Lucas Sarafian  • 11 décembre 2024 abonné·es
Macron : après la censure, l’ombre de la démission
Emmanuel Macron, à l'Élysée, en mai 2024.
© Ludovic MARIN / AFP

Un président de la République, en mondovision, seul face à son prompteur. Le ton est condescendant et moraliste. Les annonces, elles, sont inexistantes. Emmanuel Macron n’a, finalement, pas grand-chose à dire. Ni mea culpa ni nouveau gouvernement. Simplement, il veut l’affirmer : non, il ne démissionnera pas. Comme si le dire permettait de balayer l’hypothèse.

Pourtant, c’est bien l’effet inverse que le chef de l’État a obtenu après sa prise de parole jeudi 5 décembre, à la suite de la censure par les parlementaires du gouvernement Barnier. En martelant qu’il s’accrocherait à son pouvoir, il a démontré, plus que jamais, la fragilité de sa situation politique.

« La question de la démission n’est pas encore tout à fait mûre. Emmanuel Macron a encore trente mois de mandat, c’est énorme. Il l’a répété à plusieurs reprises. Pour l’instant, on n’en est pas encore là, mais l’hypothèse est de plus en plus palpable », analyse Rémi Lefebvre, professeur de sciences politiques à l’université de Lille. « Palpable » parce que, depuis quelques jours, elle transcende les différences d’une large partie de la classe politique.

Malgré la composition de l’Assemblée, il y a un blocage. Et ce blocage se trouve à l’Élysée.

P. Vannier

À La France insoumise (LFI), on défend la nécessité de la démission du chef de l’État. Selon les insoumis, convaincus que toute la politique française « part du président », seul le départ du locataire de l’Élysée – provoquant ainsi une présidentielle anticipée à laquelle se prépare Jean-Luc Mélenchon – pourrait sortir la France de la crise politique. «On voit que, malgré la composition de l’Assemblée, il y a un blocage. Et ce blocage se trouve à l’Élysée. À un moment se posera forcément la question de sa démission », estime Paul Vannier, député du Val-d’Oise et chargé des élections au sein de LFI.

Le centre et la droite en parlent aussi

Depuis quelques jours, les insoumis constatent avec saveur que l’idée est reprise par des élus de droite et du centre. Le président de la région Normandie, ministre de la Défense sous Nicolas Sarkozy et actuel chef de file des centristes, Hervé Morin, s’est déclaré favorable à la démission ­d’Emmanuel Macron. Tout comme le maire Les ­Républicains de Meaux, ministre sous Jacques Chirac, Jean-­François Copé.

Une position d’autant plus étonnante qu’il plaidait dès 2022 pour une alliance rapide entre sa formation et la macronie. Charles de Courson, figure du groupe Liot, député centriste depuis plus de trente ans et rapporteur général du budget à l’Assemblée, rejoint également la position insoumise.

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Observant que l’idée chemine, les insoumis ont relancé de plus belle leur campagne de communication autour d’une démission d’Emmanuel Macron et pourraient bien défendre à nouveau une procédure de destitution « au moment opportun », selon la députée LFI Danièle Obono. « La diversité politique des personnalités qui réclament [la démission du président] indique qu’il s’agit aujourd’hui d’un scénario politique très concret de sortie de crise », observe Nicolas Roussellier, historien et auteur de La Force de gouverner. Le pouvoir exécutif en France, XIXe-XXIe siècles (Gallimard, 2015).

Cette situation est d’autant plus nouvelle que dans la Ve République, la démission était plutôt un chiffon rouge brandi par le chef de l’État. «Le général de Gaulle avait un maniement constant de la démission», rappelle le professeur au centre d’histoire de Sciences Po. Mais, aujourd’hui, l’hypothèse vient de l’opposition et change le rapport de force.

Le président n’a pas l’onction démocratique d’un chef de l’État élu pour son programme.

M. Della Suda

Cette idée de démission ne sort pas de nulle part. Elle a même ponctué à de nombreuses reprises les deux mandats du chef de l’État depuis son élection en mai 2017. Et ce, dès le mouvement des gilets jaunes à l’hiver 2018, quand les pancartes grimant Emmanuel Macron en monarque autoritaire coloraient les ronds-points et les avenues parisiennes. « C’est un très profond sentiment de mépris, d’arrogance et d’absence d’écoute qui sont exprimés dans les questionnaires que nous avons fait passer lors de nos enquêtes », décrit Magali Della Sudda, directrice de recherches CNRS au Centre Émile-Durkheim, à Sciences Po-Bordeaux.

« Le chaos est déjà là »

Aujourd’hui, cependant, le contexte est différent. « En 2017, Emmanuel Macron est élu, il est soutenu par une Assemblée nationale où il a la majorité, aucune discussion n’est possible. Là, la majorité sortie des urnes en juillet n’est pas celle qui gouverne, et le président a été élu par la menace de l’extrême droite. Il n’a pas l’onction démocratique d’un chef de l’État élu pour son programme », explique celle qui a étudié finement le mouvement des gilets jaunes.

La démission potentielle n’a donc pas la même portée : proposée par des hommes de droite et du centre, cette idée perd en « radicalité » et apparaît, à l’inverse du chaos promis par ses détracteurs, comme une « solution d’apaisement ».

« Moi ou le chaos » : c’est pourtant bien cet élément de langage que recycle le chef de l’État pour essayer de sauver un mandat aux abois, difficilement audible après une fin d’année où son bilan économique et politique apparaît au grand jour : déficit record, licenciements massifs, extrême droite au plus haut, etc. « Le chaos est déjà là, il est politique, économique et social», tonne, lors de l’examen de la motion de censure, le président de la commission des finances et député insoumis Éric Coquerel.

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Malgré cette situation, la démission reste un saut dans l’inconnu. Ainsi, à gauche, cette issue ne fait pas consensus. Ni les communistes, ni les socialistes, ni les écologistes ne souhaitent faire campagne autour de cette idée. «Il y a une bataille pour l’imputation de la responsabilité du chaos», analyse Rémi Lefebvre. «En ne militant pas pour la démission et en proposant de faire des compromis pour gouverner, le PS veut donner des gages de responsabilité», poursuit-il.

Pour le politologue, cette stratégie permet de renvoyer « la responsabilité du bordel et du chaos » à Emmanuel Macron. En effet, ce dernier ne semble pas prêt à faire des concessions en remettant en cause sa politique menée depuis sept ans. L’intransigeance du président de la République conduirait les socialistes à ne pas « trahir » le programme du Nouveau Front populaire.

Le besoin de stabilité pour les syndicats

Du côté des organisations syndicales, on ne pousse pas non plus à la démission du chef de l’État. «Le sujet des travailleurs et des travailleuses n’est certainement pas celui-ci. On a besoin d’un gouvernement pour répondre aux exigences sociales maintenant ! » souligne Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, qui rappelle le nombre de plans de licenciements massifs annoncés par des entreprises. «On ne peut pas se permettre d’attendre une présidentielle anticipée, c’est maintenant que l’État doit intervenir dans ces dossiers. »

Les forces de gauche ne réussiraient pas à s’organiser dans l’urgence.

R. Lefebvre

Surtout, dans un contexte d’instabilité, rien ne garantit qu’une présidentielle anticipée aurait un débouché progressiste. Certains craignent même que ce soit un boulevard pour Marine Le Pen, pressée de repasser devant les électeurs alors qu’une mesure d’inéligibilité plane sur son avenir politique. « Les forces de gauche ne réussiraient pas à s’organiser dans l’urgence, prédit Rémi Lefebvre. Jean-Luc Mélenchon veut être le candidat le plus tôt possible pour éviter que les autres partis du NFP ne s’organisent. C’est aussi pour éviter cela que le PS temporise. »

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Aussi, si le locataire de l’Élysée changeait, l’Assemblée nationale garderait son état de division extrême. « C’est le cœur du problème, note Nicolas Roussellier. Les politiques qui proposent la démission comme solution de sortie de crise pensent que ce fait électoral pourra faire redémarrer la Ve République, avec des législatives qui confirment le pouvoir du président de la République nouvellement élu. Or cette suite logique n’existe plus depuis 2022. »

Renouveau démocratique ou choc plus profond

La capacité d’une nouvelle élection présidentielle à changer réellement le quotidien des Français pourrait donc être largement réduite. Sauf à considérer qu’elle serait en mesure d’introduire des changements institutionnels et démocratiques plus profonds, comme l’instauration d’une VIe République. C’est l’argument qu’avancent déjà des insoumis.

Penser la démission du président, c’est recréer l’envie d’en avoir un autre qui apporterait une solution miracle.

N. Rousselier

Un renouveau démocratique dégagé du présidentialisme permis – et c’est là le paradoxe – par l’élection d’un nouveau président. Le tout dans un contexte où le Parlement bénéficie – enfin – d’un pouvoir renouvelé. « Penser la démission du président, c’est recréer l’envie d’en avoir un autre qui apporterait une solution miracle. Et faire en quelque sorte du présidentialisme à l’envers », note, non sans ironie, Nicolas Roussellier, rejoignant ainsi l’avis du patron du Parti socialiste, Olivier Faure, donné dans une interview au Monde.

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Et l’historien d’imaginer une situation délicate si, à l’issue de la présidentielle, les promesses de campagne du vainqueur ne pouvaient pas être appliquées, faute de majorité parlementaire. « Ses électeurs pourraient se sentir bafoués. » Une forme de déni de démocratie pouvant occasionner un choc encore plus profond : « Une crise de régime, estime l’historien, c’est-à-dire un blocage par le haut, et des pressions par le bas, dans la rue. »

Les clés du chaos

« Aujourd’hui, on est dans une crise ministérielle, pas encore de régime. Mais, si elle s’approfondit dans les prochaines semaines et les prochains mois, Emmanuel Macron aura un énorme problème de légitimité », souffle Rémi Lefebvre. Comme il est le seul détenteur du pouvoir de nommer le futur premier ministre, le président de la République conserve encore les clés du chaos entre ses mains.

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Ayant désormais acté l’échec d’un gouvernement défendant uniquement son bilan, Emmanuel Macron a le choix : s’entêter en poursuivant sa politique économique ou tenter de laisser la gauche gouverner en trouvant des compromis, texte par texte. La seconde option paraît très peu probable.

À l’heure où nous écrivons ces lignes, les noms de François Bayrou, de Sébastien Lecornu et de Catherine Vautrin reviennent avec le plus d’insistance pour succéder à Michel Barnier à Matignon. Des fidèles du chef de l’État qui ne remettront pas en question son bilan et sa politique. Comment, alors, imaginer un tel gouvernement réussir à faire voter un budget ? Avec un tel choix et une probable nouvelle censure, Emmanuel Macron serait d’autant plus fragilisé. Et le sujet de sa démission, toujours plus d’actualité.

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