Proportionnelle ou pas ? Une épineuse question

Changer de mode de scrutin en passant à la proportionnelle agite de nouveau, depuis la récente dissolution, le débat politique français. Mais qu’est-ce que cela changerait vraiment ? Petite revue de détail des enjeux.

Olivier Doubre  • 18 décembre 2024 abonné·es
Proportionnelle ou pas ? Une épineuse question
© Arnaud Jaegers / Unsplash

Sur cette question, particulièrement complexe, du choix du (« meilleur ») mode de scrutin, on serait bien tenté de répondre par le vieil adage populaire : « Le diable se cache dans les détails » ! Pire, au-delà des grands principes ou des convictions héritées de nombreuses expériences historiques propres à la gauche ou à la droite, au centre ou ailleurs, privilégier un mode de scrutin, l’un dit majoritaire, l’autre proportionnel (avec son grand nombre de variantes), peut sembler in fine un simple exercice de mathématiques.

Sachant que la plupart des analystes politiques ou spécialistes de droit constitutionnel prennent en général position sur cette question, pourtant cruciale en démocratie, en fonction de l’efficacité dudit mode de scrutin (et de ses modalités de calcul), c’est-à-dire celle de sa capacité (ou non) à permettre de dégager des majorités en mesure de gouverner avec une certaine stabilité institutionnelle.

Les anciens étudiants de droit constitutionnel (comme le signataire de ces lignes) se souviennent certainement des exercices de calculs électoraux dans une circonscription (souvent imaginaire) selon les modalités de décompte des voix de ses électeurs. Scrutins majoritaires, uninominal à un tour (comme au Royaume-Uni, avec son terrible effet couperet, d’une simplicité enfantine, l’élu étant celui qui a recueilli le plus de voix) ou à deux tours (comme souvent en France), ou de liste.

Spéculations

Scrutins proportionnels, « intégral », « au plus fort reste », « à la plus forte moyenne », « par liste » selon le « système » d’Hondt, avec (ou sans) prime(s) majoritaire(s), par circonscriptions ou dans une circonscription nationale unique, avec panachage ou non, possibilité ou non de rayer des candidats sur les listes, avec ou non des apparentements (comme en France avec la loi de 1951, qualifiée de « scélérate » par les communistes et les gaullistes visés directement par celle-ci, car réduisant mathématiquement leur nombre d’élus), etc. Non exhaustive ici, la liste est extrêmement longue.

Or, le choix entre tous ces modes de calcul de résultats électoraux intervient, dans chaque pays (démocratique), en fonction de sa propre culture, historique, politique et institutionnelle, lentement formée. Il va sans dire que les différents choix de chaque nation, à chaque époque, sont toujours la conséquence d’analyses – et de spéculations – stratégiques et circonstancielles par les majorités d’élus alors en exercice.

Dans un récent, bref et incisif, essai au titre explicite, Contre la proportionnelle (1), Julien Jeanneney, professeur de droit constitutionnel à l’université de Strasbourg, s’insurge en effet contre cette illusion ancienne, qui voudrait qu’une réforme électorale, serait toujours exempte d’objectifs « non stratégiques ». Foin, selon lui, d’une telle naïveté, surtout en politique, quelle que fût l’époque !

1

Gallimard, coll. « Tracts », n°61, nov. 2024, 64 pages, 3,90 euros

On ne va pas cacher ici qu’à Politis, comme pour une grande part de la gauche, depuis au moins deux siècles, nous avons défendu le principe du scrutin proportionnel – en dépit des risques et des circonstances, susceptibles d’offrir électoralement des victoires à nos pires adversaires, l’extrême droite en premier lieu. Au nom d’un (peut-être futile, ou dangereux) objectif d’une représentativité davantage fidèle à la volonté du peuple appelé aux urnes.

Mais doit-on défendre cette position de principe, sans a priori ni arrière-pensées de circonstance, ou bien se décider à choisir un mode scrutin en fonction des équilibres politiques du moment (quand bien même fussent-ils précaires) ? Beaucoup soulignent qu’une réforme vers la représentation proportionnelle aujourd’hui permettrait à l’extrême droite (RN en premier lieu) de remporter encore plus de sièges à l’Assemblée nationale. Quand d’autres insistent sur le fait que l’adoption de la proportionnelle (ou d’une dose de celle-ci) augmenterait la représentativité des élus selon les souhaits du corps électoral.

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Reconnaissons à Julien Jeanneney, l’auteur de ce récent et brillant essai « contre la proportionnelle », qu’il observe d’abord, lorsqu’il examine les résultats des dernières législatives de juillet 2024 (tenues au scrutin uninominal à deux tours), que les équilibres politiques à l’Assemblée auraient été seulement modifiés « à la marge ». Dans le sens où la division actuelle de la Chambre basse en trois « blocs », aux poids plus ou moins égaux, eût été peu ou prou la même à l’issue du scrutin. Une telle modification du mode de scrutin aurait-elle été réellement une voie pour atténuer les divisions politiques du pays ?

Pour faire émerger une majorité plus « nette », plus stable, puisque la capacité à gouverner d’un nouvel exécutif en dépend – et demeure l’enjeu principal, afin que le respect des choix des électeurs eût permis la désignation d’un gouvernement en capacité de voter le budget, de conduire une politique en adéquation (autant que possible) avec les aspirations d’une majorité d’électrices et d’électeurs. Donc ? Pour ou contre « la » proportionnelle ? Selon quelles formes, vu le nombre de variances existantes (sinon envisageables) ?

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Un autre des arguments en sa faveur est celui d’augurer qu’en ce sens, le pouvoir du Parlement, de par une représentativité supposée ainsi renforcée, affaiblirait le pouvoir du président de la (Ve) République élu au suffrage universel. Mais est-ce si certain ? Rien n’est moins sûr.

L’un des travers de la représentation proportionnelle est assurément de laisser libre cours aux combinaisons élaborées, après les élections, entre élu·es, sans que les électeurs n’y aient alors plus leur mot à dire. Ce qui, en régime semi-présidentiel tel que celui de la Ve République, avec un chef de l’État élu au suffrage universel, ne saurait, à tout le moins, affaiblir son autorité. Ainsi, plus que de n’être pour ou contre une réforme du mode de scrutin, plus ou moins proportionnel, il semble donc que, pour la gauche, il s’agisse tout simplement de parvenir à dégager in fine une véritable majorité.

Au-delà de s’échiner à tergiverser sur un hypothétique mode de scrutin censé lui être favorable (fusse-t-il plus « représentatif démocratiquement »). Le pragmatisme prime souvent en politique. Et le Nouveau Front populaire a encore fort à faire aujourd’hui pour être en mesure de gouverner. Surtout dans la durée. Ce qui n’est peut-être pas très encourageant ces jours-ci, avec François Bayrou désormais à Matignon, lui-même partisan de très longue date de la proportionnelle… Joyeux Noël à toutes et tous, tout de même.

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Politique
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