François Turpeau, un « jaune » qui cultive l’écoute

À la tête de la Coordination rurale de la Vienne, le céréalier, viticulteur et cultivateur d’échalions défend la ligne nationale du syndicat. Mais, au niveau local, celui qui est aussi vice-président de la chambre d’agriculture maintient un dialogue franc avec les écologistes et les autres syndicalistes.

Mathilde Doiezie  • 4 décembre 2024 abonné·es
François Turpeau, un « jaune » qui cultive l’écoute
Depuis deux ans, François Turpeau n’a pas touché de revenus issus de son activité agricole.
© Mathilde Doiezie

Si vous dégustez une sauce à l’échalote dans un restaurant, il y a de fortes chances qu’elle ait été réalisée à partir d’un échalion, la spécialité de François Turpeau. L’exploitant agricole cultive cette variété d’oignon croisé avec l’échalote à une vingtaine de kilomètres au nord de Poitiers, dans un paysage de grandes plaines interrompues par quelques villages ou hameaux bâtis en pierres calcaires.

L’échalion s’écoule principalement dans la restauration, parce qu’il est facile à découper et que son goût sucré est apprécié. « Ça a donné lieu à des clashs avec les Bretons, qui font l’échalote traditionnelle », résume François Turpeau, qui défend la culture de ce bulbe surnommé la « cuisse de poulet du Poitou ». À côté des 5 hectares de parcelles qu’il y consacre, il compte aussi 25 hectares de vignes en agriculture biologique et 110 hectares de céréales (blé, orge, colza, tournesol et maïs) en « conventionnel ».

Sur le même sujet : La Coordination rurale contre l’État et les écolos

Âgé de 39 ans, l’agriculteur aux yeux bleu clair a une autre casquette qui jette une ombre sur le reste de ses activités. Celle-ci est jaune, aux couleurs du syndicat agricole de la Coordination rurale (CR). Depuis 2019, François Turpeau occupe le poste de vice-président de la chambre d’agriculture de la Vienne. Les élections syndicales ont porté son syndicat à la tête de l’organisme, après une gestion sans interruption de soixante-treize ans par la FNSEA, le syndicat agricole majoritaire. Puis, en 2021, le spécialiste de l’échalion est aussi devenu président de la branche départementale de son syndicat, la CR86.

Un double rôle que François Turpeau endosse avec fierté, lui qui a toujours évolué dans le sillage de ce syndicat agricole, initialement minoritaire sur l’ensemble du territoire national comme dans la Vienne. Son père, Jean-Pierre, a fait partie des premiers adhérents de l’organisation, qu’il a rejointe un an après sa création en 1991, à la suite de la contestation contre la réforme de la Politique agricole commune (PAC) de l’Union européenne.

On troque des Rafale contre des denrées alimentaires.

Aujourd’hui, François Turpeau considère encore que cette réforme a signé le point de départ de la crise actuelle : « À partir de ce moment-là, l’agriculture a été soumise aux cours mondiaux » et « l’hémorragie des petites exploitations s’est accélérée ». Comme d’autres syndicalistes, il est remonté contre les accords de libre-échange qui en ont découlé : « On troque des Rafale contre des denrées alimentaires. » Même si la vente de ses céréales dépend en partie d’exportations, et qu’une portion de ses échalions part vers les États-Unis.

Vivre de son métier

Dès son enfance, le presque quadragénaire assiste aux difficultés de son père sur l’exploitation, reprise l’année de sa naissance. De grosses gelées font chuter la production de la vigne. Il a des démêlés avec une coopérative locale qui lui réclame beaucoup d’argent. « Heureusement qu’il y avait le salaire d’infirmière de ma mère à côté », se remémore-t-il. Malgré ces bas, François a été piqué par le travail de son paternel, enchanté par les moments passés avec lui dans la cabine du tracteur.

Hélas, l’exploitation est encore « dans la tourmente », dit-il depuis son bâtiment agricole, où il vient de déposer drapeaux et sonorisation sur son tracteur, avant une manifestation prévue le soir même à Poitiers. L’épidémie de covid-19 a tari les débouchés pour l’échalion. Puis, en 2023, « le prix de vente des céréales a baissé, alors que nos intrants pour cultiver sont devenus très chers. J’ai plus dépensé pour produire que je n’ai gagné d’argent ».

Sur le même sujet : « Nous ne pouvons plus vivre de notre travail »

À cela s’est ajoutée une crise viticole, avec un marché du vin tendu et une consommation en baisse. Depuis deux ans, François Turpeau n’a pas touché de revenus issus de son activité agricole. Là encore, « heureusement » qu’il y a sa femme, directrice d’une école primaire.

Le céréalier et viticulteur sait que son cas n’est pas isolé. C’est d’ailleurs ce qui l’anime à militer au sein de la Coordination rurale, tout simplement « pour vivre de [son] métier ». À côté de la question des revenus, qui l’occupe le plus à la Chambre d’agriculture, François Turpeau est aussi chargé du sujet de l’irrigation. Affable, il énonce ses revendications sans agressivité, mais sans détours non plus : « Moi, je suis pour le stockage de l’eau. » Il déclare donner la priorité aux retenues collinaires, qui coûtent moins cher. Mais, dans le plat pays de la Vienne, ce n’est pas vraiment possible de faire fonctionner ce système recueillant les eaux de ruissellement.

« Réserves bâchées »

Pour lui, les « réserves bâchées », nom qu’il donne aux mégabassines, restent cohérentes, puisqu’elles sont censées recueillir le surplus d’eau des nappes phréatiques en hiver, pour le redistribuer en été. Tant pis si, parfois, les niveaux sont trop bas, même en hiver… Tant pis si, ce qui est dénoncé, c’est d’arroser des cultures destinées à l’export. Ce qui l’agace, c’est plutôt que leur accès soit réservé à certains agriculteurs et qu’il soit conditionné à des engagements écologiques. En juillet, François Turpeau était à la tête d’un groupe d’agriculteurs venus faire une contre-manifestation à Melle, dans les Deux-Sèvres, face à une mobilisation antibassines.

Sur le même sujet : « Les mégabassines provoquent une sécheresse anthropique des cours d’eau »

François Turpeau a beau cultiver sa vigne en bio, il le fait plus pour répondre à la demande d’un négociant que par conviction écologique. Replanter des haies, il ne voit pas l’intérêt. Il n’y en avait quasiment pas sur ces plaines avant le remembrement. Pour lui, « il faut laisser aux agriculteurs la liberté d’agir, plutôt que leur imposer de nouvelles pratiques ».

Ainsi, il est contre l’interdiction du glyphosate, ce puissant herbicide classé « cancérogène probable » par le Centre international de recherche sur le cancer. Il attend que ses voisins soient partis de chez eux pour appliquer ce désherbant. Il affirme que « les agriculteurs ont fait évoluer leurs pratiques et utilisent beaucoup moins de produits », oubliant que ce n’était pas forcément une démarche volontaire, mais en raison d’interdictions.

Sur le même sujet : Eau, chasse, biodiversité… Comment les tabous sont tombés

Globalement, François Turpeau est fâché contre le « principe de précaution », trop utilisé selon lui. Il en veut aussi à des règles environnementales qu’il estime ubuesques. Comme le classement d’un de ses fossés pour protéger la ressource en eau, alors que celui-ci a été créé par l’humain et qu’il ne recueille de l’eau « que tous les six ou sept ans ». Pour ajuster les règles au plus près du terrain, ne faudrait-il pas plus d’interventions des agents de l’État sur les exploitations ? La question le déstabilise. Toute solution nécessitant plus d’intervention ne lui paraît pas opportune.

« Mon parti, c’est l’agriculture »

Mais François Turpeau est à l’écoute. Et l’écouter éclaire réciproquement sur les réflexions de nombre d’agriculteurs. Au quotidien, le cultivateur à la coupe rase et blonde semble veiller à ne pas glisser dans une certaine caricature. Au niveau local, il discute avec la maire écologiste de Poitiers, Léonore Moncond’huy. En 2023, elle a passé tout un après-midi avec lui pour comprendre comment fonctionnaient les vendanges mécanisées. Un rendez-vous initié par une convention signée entre la mairie et la chambre d’agriculture, pour que les élus connaissent mieux les réalités du monde agricole, et inversement.

« On se concentre sur ce qu’on a en commun, comme le soutien aux circuits courts et à une agriculture à taille humaine ou intermédiaire », commente la maire. Elle estime que, dans la Vienne, les représentants de la CR sont plus « constructifs » et moins « extrêmes » qu’au niveau national ou dans le Lot-et-Garonne, fief du syndicat.

Sur le même sujet : La Confédération paysanne, au four et au moulin

Même son de cloche du côté de la Confédération paysanne, classée à gauche. Porte-parole au niveau départemental, Pierre-Jean Clerc salue des « relations courtoises, même si on n’est pas d’accord sur tous les sujets, évidemment ». « Ce qui est intéressant dans le syndicalisme et la politique, c’est de pouvoir s’écouter. Alors que, dans la Haute-Vienne, où la Coordination rurale est aussi majoritaire, les relations avec notre syndicat sont, hélas, désastreuses. »

Ce qui ne bougera pas, c’est l’idée que l’agriculteur ait sa liberté d’entreprendre et qu’il puisse vivre de son métier.

F. Turpeau

Ainsi, François Turpeau se targue d’échanger aussi bien avec des députés de LFI, du RN ou de Renaissance, même si les relations sont tendues avec Sacha Houlié, ancien représentant local du parti présidentiel, aujourd’hui non inscrit, contre lequel la CR de la Vienne vient de porter plainte. Il ne dira pas pour qui il vote, réaffirmant l’engagement « apolitique » de la Coordination.

« Mon parti, c’est l’agriculture. » Lui qui veut faire sortir des élus de « leurs dogmes » ne dira pas s’il a lui-même changé d’avis au contact d’autres positions que les siennes. « Mon avis se nourrit des échanges, élude-t-il. Ce qui ne bougera pas, c’est l’idée que l’agriculteur ait sa liberté d’entreprendre et qu’il puisse vivre de son métier. »

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous

Pour aller plus loin…