Quel avenir pour la Syrie après une étrange révolution ?

Qui pouvait croire que le régime épouvantable de Bachar Al-Assad allait s’effondrer en un claquement de doigt ? S’il y a quelques raisons d’espérer pour ce pays démantelé et meurtri, la plus grande crainte que l’on peut avoir réside dans la situation économique et humaine du pays. Tout est à reconstruire.

Denis Sieffert  • 9 décembre 2024
Partager :
Quel avenir pour la Syrie après une étrange révolution ?
Un portrait défiguré du président syrien évincé Bachar al-Assad, dans un centre de sécurité gouvernemental saccagé, à Damas, le 8 décembre 2024.
© Rami al SAYED / AFP

On est toujours heureux d’assister aux scènes de liesse qui accompagnent la chute d’un dictateur. La joie qui s’est emparée de Damas, dimanche, était à proportion de ce que Bachar Al-Assad a infligé à son peuple, de crimes, de tortures, d’emprisonnements arbitraires. Très symboliquement, c’est l’ouverture des portes de la terrible prison de Saidnaya qui a rendu concrète la victoire des insurgés. Le mot « libération » prenait soudain tout son sens. On vit ensuite les portraits géants du tyran jetés à terre et déchirés. Les statues abattues et brisées. La vengeance ne frappait que les symboles. Elle épargnait les sympathisants du régime, comme l’avait souhaité Abou Mohammed al-Joulani, chef du mouvement islamiste Hayat Tahrir al-Sham (HTS).

Nous avons vu, dans le monde arabe, tant (…) de révolutions qui se sont crues victorieuses que l’on se garde de trop d’illusions.

La joie était aussi à la mesure de la surprise. Qui pouvait croire que ce régime épouvantable qui avait résisté à la révolution de 2011, au prix du pire des massacres (on parle de 600 000 morts entre 2011 et 2018), allait s’effondrer en un claquement de doigt, et que le dictateur et son clan allaient s’évaporer nuitamment, sans crier gare, pour trouver refuge chez son ami Poutine qui l’avait lâché ? On a sous-estimé la corruption qui gangrénait le pouvoir et la démoralisation d’une armée qui n’était plus disposée à mourir pour les Assad. Mais la fulgurance de la défaite nous en dit long aussi sur la faiblesse de Poutine tout à sa guerre d’Ukraine. Sans parler du Hezbollah libanais écrasé par Israël, et de l’Iran. Assad ne tenait que par eux.

Sur le même sujet : Syrie, la tragédie sans fin

Nous voilà aujourd’hui devant un avenir incertain. Nous avons vu, dans le monde arabe, tant de statues déboulonnées et de révolutions qui se sont crues victorieuses que l’on se garde de trop d’illusions. Il y a tout de même quelques raisons d’espérer. Il faut pour cela croire à la mutation du mouvement islamiste dont le chef a multiplié les appels à la raison. Issu en 2016 d’al-Nosra, une branche d’al-Qaïda, HTS a fait cette fois patte de velours. Son chef s’est empressé de donner des gages aux Syriens de toutes confessions. Il a renié le djihad. Il a négocié avec les autorités locales son entrée dans les grandes villes de cette « Syrie utile » de l’ouest du pays. Une victoire finalement plus politique que militaire.

Tout est à reconstruire. Des institutions sont à réinventer.

Un autre élément porte à un relatif optimisme : HTS n’est pas la seule composante de la rébellion. L’Armée nationale syrienne, héritière de l’Armée syrienne libre, est en grande partie sous influence turque. On ne sait d’ailleurs pas jusqu’à quel point Ankara a aidé. Au minimum, Erdogan a vu avec sympathie les événements de ces derniers jours. On ignore pour l’heure le poids qui sera le sien dans un proche avenir. Il se réjouit évidemment de pouvoir pousser les quelque 3,5 millions de réfugiés syriens à retourner chez eux, même dans un pays en partie détruit. En revanche, il ne verra pas d’un bon œil que les rebelles victorieux pactisent avec les forces kurdes qui tiennent le nord-est, à l’autre bout du pays. La haine anti-kurde est un ressort constant de sa politique.

Sur le même sujet : En Turquie, les Syriens face à un futur incertain

On en vient ici aux craintes pour la suite. La Syrie est un pays meurtri, démantelé. Les Kurdes, protégés pour l’heure par une présence américaine qui dissuade la Turquie de mener une offensive de grande envergure à l’est, dans la région de l’Euphrate, ont tout à craindre de Donald Trump qui s’est empressé de dire tout le mépris qu’il avait pour la Syrie. En 2018 déjà, il avait annoncé son intention de lever le camp. Ce que Biden n’a pas fait. Ce serait doublement catastrophique, pour les Kurdes eux-mêmes, et parce que ceux-ci sont aujourd’hui encore les geôliers vigilants de combattants de Daech vaincus en 2015 dans la région de Raqqa.

Sur le même sujet : À Raqqa, le cœur de la jeunesse syrienne bat encore

Mais la plus grande crainte que l’on peut avoir réside dans la situation économique et humaine du pays. Tout est à reconstruire. Des institutions sont à réinventer, après treize ans de chaos et cinquante-quatre ans de dictature des Assad, père et fils. L’exemple égyptien est là pour nous rappeler qu’une démocratie ne surgit pas du néant dans un pays qui n’a pas de traditions. On n’imagine mal HTS, malgré les déclarations rassurantes, se coltiner cette tâche historique. Or, on connaît la loi de l’histoire dans ce monde proche-oriental : si la question sociale n’est pas attaquée de front, si la population ne voit pas les bénéfices de cette étrange révolution, les vieux démons ressurgissent avec leurs deux visages : la dictature et l’islamisme radical, souvent complices. On rêverait que les Occidentaux prennent leur part dans la reconstruction. Mais ils ont tant à faire ailleurs, et ils le font si mal.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

Temps de lecture : 4 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don