Syrie, la tragédie sans fin

La Syrie voit le feu de la révolte reprendre à Idlib. Et il en sera ainsi tant que la question démocratique posée par les révolutionnaires de 2011 ne sera pas résolue. Et qui le restera sans la fin des conflits qui ébranlent tout le Proche-Orient.

Denis Sieffert  • 4 décembre 2024
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Syrie, la tragédie sans fin
Des équipements militaires et des véhicules abandonnés de l'armée syrienne, après que les combattants anti-gouvernementaux aient atteint la ville d'al-Safirah au sud-est de la ville d'Alep en Syrie, le 3 décembre 2024.
© Aref TAMMAWI / AFP

Nous avons eu trop tendance à oublier la Syrie, comme si le martyre de son peuple, les six cent mille morts de la répression, les quatre millions d’exilés, les sept millions de déplacés, et la ruine de ce pays magnifique n’étaient plus qu’un mauvais souvenir. Mais le feu couvait toujours sous la braise. Et il en sera ainsi tant que la question démocratique posée par les révolutionnaires de 2011 ne sera pas résolue. Le foyer s’est brusquement rallumé là où il ne s’était jamais vraiment éteint. Dans cette région d’Idlib, au nord-ouest du pays, où ce qui reste de la rébellion avait trouvé refuge, de gré ou de force, et où les bombes continuaient de pleuvoir périodiquement sur la population civile.

Israël n’aime rien tant que cet « ennemi » inoffensif.

Bien sûr, l’offensive éclair conduite par les troupes du mouvement islamiste Hayat Tahrir al-Sham (dit HTS) et les rebelles de l’Armée nationale syrienne, n’intervient pas à n’importe quel moment. Si les islamistes et leurs alliés ont pu s’emparer en quelques heures d’Alep, la deuxième ville de Syrie, et fondre sur Hama, plus au sud, c’est qu’ils ont pu profiter de l’onde de choc de la guerre israélienne au Liban. À partir de 2016, alors que la dictature de Bachar Al-Assad était sur le point de tomber, c’est le Hezbollah et les gardiens de la révolution iraniens, alliés à l’aviation russe, qui l’avaient sauvée. C’est peu dire aujourd’hui que le Hezbollah est affaibli, alors que les positions iraniennes en Syrie ont été pilonnées jour après jour par Israël. Bref, le régime est nu.

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Les assaillants vont-ils pour autant descendre jusqu’à Damas pour terminer la révolution inachevée de 2011 ? Rien n’est moins sûr. Les protecteurs de la dictature se réveillent. Même Poutine, très occupé en Ukraine, a commencé à réagir en intensifiant ses bombardements. Et les monarchies du Golfe, naguère très hostiles à Bachar Al-Assad, se sont rapprochées de lui, en même temps que de l’Iran. Et Israël n’aime rien tant que cet « ennemi » inoffensif. Il est donc possible que les islamistes et leurs alliés en soient réduits à défendre les quelques positions reconquises dans cette Syrie que l’on appelle « utile », par opposition au désert et au nord-est du pays, tenu par les Kurdes.

Une fois de plus, on observe combien le Proche-Orient est un ensemble, fragile comme un château de cartes. Les bombes sur Gaza, qui ont entraîné l’entrée en action du Hezbollah et la guerre du Liban, ont fini par avoir un effet indirect sur la Syrie. Que dire, au-delà du constat inquiet ? Que peut-on espérer ? Il serait bien imprudent d’investir HTS d’une mission démocratique. Même si ce mouvement islamiste est pondéré par la présence de l’Armée nationale syrienne, héritière de l’Armée syrienne libre. Tout au plus, il faut éviter les amalgames qui ont immédiatement ressurgi du discours médiatique. Non, HTS n’est plus depuis longtemps la branche syrienne d’Al-Qaïda, comme il est répété inlassablement. C’est un mouvement islamiste qui, comme tel, n’appelle pas notre sympathie, mais qui n’appartient pas au jihad global. C’est un mouvement syrien qui n’ira jamais attaquer le Bataclan.

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La confusion, qui a accompagné dans nos médias toute la guerre civile syrienne, n’a pour effet que de nous faire pencher discrètement du côté d’Assad. Ne perdons jamais de vue que la cause première de cette crise épouvantable, c’est la dictature. Et la faute de beaucoup d’Occidentaux, y compris dans la gauche française, a été de croire que Bachar Al-Assad était un rempart contre l’islamisme, alors qu’il en était plutôt la cause, et parfois le pourvoyeur. Par ailleurs, on s’interroge sur l’attitude de la Turquie qui regarde avec sympathie la progression des rebelles. Erdoğan a toujours pour seule obsession de profiter de la moindre occasion pour relancer sa chasse aux Kurdes.

La Russie et l’Iran feront encore le nécessaire pour sauver Assad.

Au point où nous en sommes, il n’y a pas de bonne solution, car, contrairement à 2011, on ne voit pas ici un mouvement de masse. Peut-il renaître ? C’est peu probable dans ce pays meurtri. La Russie et l’Iran feront encore le nécessaire pour sauver Assad. La population civile, qui n’est plus actrice de son histoire, risque de payer un lourd tribut face à des puissances qui ne connaissent aucune limite quand leur pouvoir ou celui de leurs amis est en jeu. On n’imagine pas une solution démocratique en Syrie sans la fin des conflits qui ébranlent tout le Proche-Orient. Et sans un retour d’un grand malade : le droit international que même la France renonce à incarner.

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