Syrie : une petite musique française

À peine Bachar Al-Assad tombé s’entend ici déjà un air de vague nostalgie du tyran. Et rares sont les reportages qui ne cherchent pas à sonder les reins et les cœurs des islamistes qui ont contribué à sa chute. Dans l’immédiat, le soupçon ne sert à rien. L’urgence est ailleurs.

Denis Sieffert  • 17 décembre 2024
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Syrie : une petite musique française
À Homs, le 16 décembre 2024.
© AAREF WATAD / AFP

« Vigilance », « méfiance », « lucidité » : ces mots vertueux alimentent les commentaires depuis l’arrivée au pouvoir des rebelles à Damas. On ne saurait reprocher à personne d’être attentif à l’évolution de la situation. Mais point trop n’en faut ! Quand on entend une journaliste du service public demander au ministre des Affaires étrangères (démissionnaire) s’il prendra contact avec les « terroristes » ; lorsque France 2 convoque à son JT de 20 heures, le général Desportes qui « rappelle » que la chute de Saddam Hussein en Irak a eu pour effet Daech, on se demande si on n’est pas plutôt déjà dans une vague nostalgie du tyran. Celui-là était horrible, mais son régime au moins était stable. Avec lui, on n’entendait plus parler de la Syrie.

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Rappelons tout de même au général, que ce ne sont pas des islamistes qui ont fait chuter Saddam Hussein en 2003, mais l’armée américaine, que ce sont les États-Unis qui ont démantelé l’appareil d’État, et l’administrateur Paul Bremer qui a jeté sur les routes des centaines de milliers de sunnites qui sont allés rejoindre Daech à la frontière syrienne. Quand la « vigilance » devient contre-vérité ! Or, précisément, c’est l’erreur que les islamistes de Hayat Tahrir al-Sham (HTS), instruits par l’histoire, semblent vouloir éviter. Ils ont maintenu en place les fonctionnaires du régime, et négocié avec le dernier premier ministre d’Assad. Tout le contraire des Américains en Irak.

L’enjeu, c’est la levée des sanctions et la reconnaissance du nouveau régime, et à terme, des élections.

Les deux exemples cités plus haut sont certes caricaturaux. Ils donnent tout de même le ton d’une petite musique très française. Rares sont les reportages qui ne cherchent pas à sonder les reins et les cœurs des islamistes. Sont-ils sincères ? Faut-il croire leurs promesses de respecter toutes les confessions, de ne pas se mêler de la vie privée, de ne pas imposer le voile aux femmes, de ne pas les priver de leur droit à l’éducation, bref de leurs libertés ? Ne sont-ils pas de nouveaux talibans, experts en fourberies ? Répondons qu’on ne sait pas, mais qu’à être trop insistantes, ces questions deviennent suspectes. Répondons aussi à cela que la situation est très différente d’avec l’Irak, que la rébellion syrienne est composite, que la Turquie y est très influente, et que c’est peut-être de cela dont il faut s’inquiéter.

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Si Daech doit ressurgir, ce ne sera pas des rangs d’HTS, mais des conséquences de l’écrasement des Kurdes par les milices pro-turques, à l’est du pays. Le fief de Daech se situait là, dans cette zone contrôlée par les Kurdes (des « terroristes » aussi ceux-là !). En fait, Abou Mohamed al-Joulani, qui vient d’ailleurs de reprendre son patronyme civil, Ahmed Hussein al-Chara, le leader d’HTS, a compris qu’il n’a pas d’autre choix que de négocier avec les Occidentaux et de leur donner des garanties. Les États-Unis et l’ONU l’ont compris aussi. La France prendra contact, si elle parvient à avoir un ministre. L’enjeu, c’est la levée des sanctions et la reconnaissance du nouveau régime, et à terme, des élections. Dans l’immédiat, le soupçon ne sert à rien. Il faut faire comme font les diplomates : « prendre acte », et avancer.

Une incapacité à regarder les faits pour ce qu’ils sont.

Le vrai problème est celui de la reconstruction, et de l’unité du pays. N’oublions pas que le nouveau pouvoir en place à Damas est loin de contrôler tout le pays. Cela dit, on peut comprendre que la France soit toujours traumatisée par des attentats djihadistes qui ont eu lieu sur son sol. Mais la gabegie intellectuelle entre « islamisme », « djihadisme » et « terrorisme », ne nous préserve de rien. Un autre pays, Israël, met en pratique son soupçon à sa façon, par des bombardements tous azimuts. Il n’y a rien de plus urgent que d’affaiblir ce pays démantelé et meurtri.

Assad, il est vrai, n’avait jamais tiré un coup de feu contre Israël. Et jusqu’à sa chute, Israël avait bombardé « en » Syrie, mais pas « la » Syrie. Les bombes visaient le Hezbollah et les positions iraniennes, pas le régime soutenu par Poutine. Tout a changé aujourd’hui. Quant à la petite musique française, elle a un autre défaut. Elle témoigne d’une incapacité à regarder les faits pour ce qu’ils sont, dans leur singularité, et à croire que l’histoire se répète toujours à l’identique. Ce n’est pas vrai, et c’est encore moins vrai quand l’histoire à laquelle on se réfère est falsifiée.

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