Le couple hétéro, aspirateur à temps libre
Les études sont unanimes : les femmes vivant avec un homme ont moins de moments pour elles que leur partenaire. Corollaire faussement paradoxal, les mères solos en ont davantage, alors même qu’elles doivent assumer seules la charge du foyer. Comment font-elles ? Explications.
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Le café au milieu du village « La paresse, c’est précisément le non-travail » Les mères solos jouent collectifDans les scénarios hollywoodiens, dans les contes de fées comme dans les serments de mariage, amour et partage ne font qu’un. En couple, on partage tout : un lit, les bons moments, nos pires secrets, l’éducation des enfants et les tâches domestiques… Et c’est là que ça coince. Le fait d’être en couple hétéro facilite-t-il vraiment la vie des parents ?
C’est la question que se sont posée des sociologues du Maryland, du Texas et de Californie. Leur étude, parue dans la revue scientifique Demography (1), et menée auprès de 23 000 femmes, démontre que les mères solos dorment un peu plus que les mères en couple, qu’elles passent moins de temps à effectuer des tâches ménagères… et qu’elles ont en moyenne trois heures et demie de temps libre en plus par semaine.
« Marital Status and Mothers’ Time Use: Childcare, Housework, Leisure, and Sleep », Démography, 2018.
Comment expliquer un tel écart, alors qu’elles n’ont pas de conjoint avec qui partager la gestion quotidienne du foyer ? Simplement en constatant que cette charge est toujours très inégalitaire. En France aussi, les indicateurs sont au rouge : depuis vingt ans, la répartition des tâches domestiques au sein des foyers ne progresse plus.
Selon un rapport de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), une mère consacre 75 % de son temps libre en dehors du travail à s’occuper de son enfant, contre 59 % pour un père. Quand les femmes se séparent de leur conjoint, elles ne récupèrent donc qu’une charge minime de travail domestique en plus. En revanche, elles ont une personne à charge en moins à la maison, elles sont plus autonomes et donc plus efficaces dans l’organisation de la vie quotidienne.
Imagination
Si les mères solos ont du temps libre, c’est aussi parce qu’elles redoublent d’imagination pour s’organiser. Sur des forums ou des groupes Facebook, par exemple, nombreuses sont celles qui proposent d’échanger des temps de garde d’enfants pour s’offrir du repos à tour de rôle. Certaines vont même jusqu’à se lancer dans des colocations entre mères : une vie en communauté qui permet de partager le coût de la vie, mais aussi de confier plus facilement son enfant à un autre adulte.
Depuis 2021, la loi française autorise l’accès à la PMA aux femmes seules. Contrairement aux mères séparées, les femmes qui passent par ce dispositif savent qu’elles ne partageront jamais la charge parentale avec un conjoint. Elles peuvent donc s’organiser, dès le début de leur grossesse, pour se libérer du temps. Dans son essai Maternités rebelles, la journaliste Judith Duportail partage son astuce : interroger ses ami·es sur la place qu’ils ou elles souhaitent prendre au sein de son futur foyer, puis créer un groupe WhatsApp avec les volontaires pour pouvoir demander de l’aide ou quelques heures de baby-sitting de temps en temps.
Alors que le nombre de familles monoparentales a plus que doublé en vingt ans, les dispositifs publics permettant aux mères célibataires de se dégager du temps libre font encore figure d’exception. La ville de Montpellier a par exemple reçu des financements de l’État pour proposer des « week-ends de répit » à la mer durant lesquels les enfants sont pris en charge à la journée par des animateurs. Un dispositif qui n’existe que depuis l’été dernier.
En Allemagne, l’État a décidé d’investir dans le bien-être des mères depuis 2002.
Pas besoin d’aller très loin pour trouver des politiques familiales plus ambitieuses : en Allemagne, l’État a décidé d’investir dans le bien-être des mères depuis 2002. En couple ou non, les parents qui en ont besoin peuvent bénéficier d’une cure de repos financée par l’État. Près de 90 % des Allemand·es qui entrent dans ce dispositif sont des femmes.
En France, les parlementaires commencent à peine à se saisir de la question. Cette année, le député socialiste de l’Eure, Philippe Brun, a annoncé travailler sur une proposition de loi qui réserverait un accès prioritaire à différents modes de garde pour les parents solos. Un moyen, selon lui, d’octroyer du « temps de répit aux familles monoparentales ». Et de faire un peu de place à des configurations qui sortent de l’hétéronormativité, à l’heure où un quart des foyers français sont des familles monoparentales.