« Memory of Mankind », l’archive en actes

Marcus Lindeen et Mariane Ségol interrogent la notion de mémoire, aussi collective qu’individuelle.

Anaïs Heluin  • 4 décembre 2024 abonné·es
« Memory of Mankind », l’archive en actes
L’entrelacement de ces vraies-fausses confidences très différentes mais toutes liées à la notion de mémoire et de fabrication du passé est des plus riches pour la pensée du spectateur, appelée à combler les espaces.
© Navid Fayaz

Memory of Mankind / du 4 au 6 décembre au Quai – Centre dramatique national d’Angers / Dates de tournée ici.

Le réel, pour le duo de créateurs formé par Marcus Lindeen et Mariane Ségol, n’a d’intérêt au théâtre que sous ses formes les plus éloignées des normes. Dans leur Trilogie des identités, avec laquelle ils ont posé les fondements de leur compagnie Wild Minds, l’auteur et metteur en scène suédois et la dramaturge et traductrice franco-suédoise placent au cœur de leur recherche des histoires vraies, bien que souvent incroyables.

Des témoignages plus ou moins réécrits et fictionnalisés d’individus aux parcours complexes sont offerts au spectateur grâce à des dispositifs singuliers. Aussi n’est-on guère surpris d’être invités dans Memory of Mankind, leur nouvelle création, à nous installer dans un cube en bois au centre duquel trônent des caisses remplies, en toute simplicité, de la mémoire de l’humanité.

Ambiguïté

C’est du moins ainsi qu’un homme vient nous décrire les objets rangés dans les boîtes : des tablettes de céramique où ont été gravées diverses informations relatives à notre époque. L’individu se présente à nous comme étant le céramiste engagé depuis une dizaine d’années dans la fabrication de ces traces destinées au futur, pour le cas pas si improbable où tout viendrait à s’effondrer. Est-il bien Martin Kunze, l’Autrichien qui a fait parler de lui dans la vraie vie pour pareille entreprise ?

En se gardant de prononcer son nom, le prétendu gardien du présent instille un doute que renforce le français parfait qu’il emploie. On se demande dès lors s’il y a pleine adéquation entre ce que nous montre le spectacle et la réalité. On suppose que non, et les trois personnes qui partagent avec le douteux archiviste l’étroit espace de jeu donnent chacune un relief supplémentaire à cette ambiguïté.

La seule chose qui advient et circule dans Memory of Mankind est la parole.

Nous avons là un homme qui dit être atteint d’une forme rare d’amnésie et une femme qui se prétend son épouse, écrivaine, ainsi qu’un archéologue queer qui interroge notre rapport à l’histoire. La seule chose qui advient et circule dans Memory of Mankind est la parole, et celle de l’archiviste ne tarde pas à se mêler aux récits des trois autres.

L’entrelacement de ces vraies-fausses confidences très différentes mais toutes liées à la notion de mémoire et de fabrication du passé est des plus riches pour la pensée du spectateur, appelée à combler les espaces. La proposition aurait toutefois gagné à avoir un cadre plus solide, capable de justifier la relation singulière entre acteurs et public induite par la scénographie, autant que la forme rituelle que prend le tour de paroles. Le trouble entre réalité et fiction y aurait gagné en densité.

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Théâtre
Temps de lecture : 2 minutes