Artsakh, une ode à la liberté et à l’esprit de résistance

Hovhannès Guevorkian, représentant de l’Artsakh (Haut-Karabakh) en France, se félicite de l’inauguration le 14 décembre à Valence de rues qui porteront les noms de Stepanakert, capitale de l’Artsakh arménien et du sculpteur franco-arménien Toros Rast Klan, « dans un contexte tragique où l’Azerbaïdjan détruit le patrimoine arménien en Artsakh ».

• 13 décembre 2024
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Artsakh, une ode à la liberté et à l’esprit de résistance
Rassemblement de soutien à l'Artsakh, ou Haut-Karabakh à Erevan, le 4 octobre 2020.
© AFP

Je ne suis pas né en Artsakh. Je n’ai pas de racines familiales dans cette région. Et pourtant, je suis Artsakhiote. J’ai eu l’honneur et le privilège de représenter la République d’Artsakh, ses autorités et son peuple en France depuis 2003. Être Artsakhiote, ce n’est pas seulement une appartenance géographique : c’est une identité forgée dans la résistance, un attachement profond à la liberté et la dignité humaine. Je suis arménien par ma citoyenneté, par mon histoire et par ma culture, comme chaque Artsakhiote l’est.

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L’Artsakh, sa résistance, la proclamation de la République d’Artsakh en 1991 et ses victoires sur le champ de bataille de 1992 à 1994, ont été, pendant plus de 30 ans, des facteurs de mobilisation et de solidarité inégalés. Ils ont rassemblé des millions de personnes à travers le monde qui, par solidarité, ont fait de la cause artsakhiote un combat pour la liberté et pour la dignité humaine.

Qu’est-ce que l’Artsakh ?

L’Artsakh n’est pas simplement un territoire : c’est un symbole de justice, de liberté et de résistance. Un symbole pour des générations entières, une flamme que nous avons tous portée, peu importe nos pays de naissance ou nos liens directs avec ce coin de terre arménienne.

L’Artsakh, c’est avant tout une population. Une population discriminée pour ce qu’elle est : arménienne.

L’Artsakh, c’est avant tout une population. Une population discriminée pour ce qu’elle est : arménienne. De 1921 à 1991, les Artsakhiotes ont été les victimes silencieuses d’une injustice imposée par l’histoire. Rattaché à l’Azerbaïdjan en 1921 par une décision arbitraire des bolcheviques, ce territoire, peuplé majoritairement d’Arméniens, a été le théâtre de discriminations, de pressions et de privations. Cette décision politique, prise contre la volonté des Artsakhiotes, a été acceptée par faiblesse par les autorités arméniennes soviétiques. Ce qui aurait dû être une erreur historique à corriger est devenu un dogme, sanctifié sous le nom d’ »intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan ».

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Mais les Artsakhiotes n’ont jamais accepté cette annexion. À travers des pétitions, des lettres, et des demandes adressées régulièrement aux autorités soviétiques, ils ont manifesté leur désir de rejoindre l’Arménie, un rêve souvent payé par de l’emprisonnement dans l’URSS. Puis, en 1988, le printemps artsakhiote a soulevé tout un peuple, en Artsakh et en Arménie, pour réclamer le droit de vivre librement et de préserver son identité arménienne. Cette revendication, ancrée sur la volonté de vivre librement et de préserver une identité arménienne, a suscité un vaste soutien populaire en Arménie, marqué par des manifestations massives et amorçant une confrontation avec les autorités soviétiques.

Un État comme rempart

Face aux discriminations, les Artsakhiotes ont bâti un État. Cet État, proclamé en 1991, n’était pas seulement une entité politique : il était le garant de leur survie, un rempart contre les oppressions. Dans cet État, les Artsakhiotes pouvaient enfin apprendre leur langue arménienne, l’histoire d’Arménie, et servir leur patrie sans crainte, alors que cela leur était interdit sous administration azerbaïdjanaise. Pour ce faire, ils ont payé un prix incommensurable. Chaque famille artsakhiote, sans exception, a été marquée par la guerre. De génération en génération, ils ont connu le sacrifice et le don de soi.

Un exil pour préserver la dignité humaine

Pourtant, en 2023, après trente ans de résistance, et à la suite de 10 mois de famine imposée par l’Azerbaïdjan durant un blocus total, en refusant de céder à la peur, à la faim et à la déshumanisation, les Arméniens d’Artsakh ont fini par être exilés, déracinés. En l’espace d’une petite semaine, tous les Artsakhiotes, tous, comme un seul homme, ont pris le chemin de l’exode à la suite d’une offensive militaire par l’armée azerbaïdjanaise, survenue le 19 septembre 2023.

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L’exil a été déchirant, mais ce n’est ni la peur de la mort, ni la peur des tortures, de la famine, ou de l’emprisonnement par le régime de Bakou qui les ont poussés à partir. Isolés, tout espoir perdu d’un soutien de la communauté internationale, les Arméniens d’Artsakh ont quitté leurs foyers pour ne pas devenir les témoins forcés de la trahison de leurs proches, pour ne pas être contraints de se dénoncer pour sauver leurs enfants, pour éviter la dégradation morale que la survie imposée aurait pu provoquer. Plutôt que de se perdre eux-mêmes, ils ont préféré préserver leur intégrité. Ils ont quitté leur terre ancestrale, dépossédés de leurs droits, mais refusant de perdre l’inaliénable : le droit d’être et de rester humain.

La perspective doit demeurer

Le 14 décembre prochain aura lieu à Valence l’inauguration des rues qui porteront les noms de Stepanakert, capitale de l’Artsakh arménien et du sculpteur franco-arménien Toros Rast Klan. Il s’agit d’un évènement qui porte un message fort : la mémoire de l’Artsakh reste vivante, ici même en France, et nous continuerons collectivement à porter cette flamme, au-delà des frontières et des vicissitudes du moment. Cette démarche de la mairie de Valence s’inscrit pleinement dans la défense de notre patrimoine et dans la reconnaissance de la lutte des Artsakhiotes.

L’inauguration de la rue « Stepanakert » à Valence sera l’occasion de rappeler la solidarité des collectivités françaises avec l’Arménie, dans un contexte tragique où l’Azerbaïdjan détruit le patrimoine arménien en Artsakh, change les noms des localités et gomme toutes traces de présence d’un peuple qui a façonné cette terre depuis trois mille ans.

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Je souhaite exprimer ma vive gratitude au Maire de Valence et à toute son équipe municipale, de donner à la ville de Valence des noms de rues en hommage à l’Artsakh et à la résistance arménienne. Leur soutien à cette cause est une preuve de solidarité indéfectible envers l’Artsakh et ses habitants déplacés de force. C’est par des actes comme celui-ci, que la France reste et restera le berceau des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

La chute de l’Artsakh ne doit pas signifier que nous avons tort d’aimer notre identité, notre langue, notre histoire.

Si je retiens une leçon des Artsakhiotes, c’est que nous devons rester fidèles à nos valeurs. La chute de l’Artsakh ne doit pas signifier que nous avons tort d’aimer notre identité, notre langue, notre histoire, de vouloir transmettre à nos enfants nos chants et nos danses. Cela ne doit pas non plus signifier que la préservation de l’Arménie doive passer par le renoncement de la défense des droits bafoués des Artsakhiotes, par l’oubli et la remise en question de notre histoire, du génocide des Arméniens perpétré par la Turquie en 1915, ou par le renoncement même de notre héritage, sous prétexte que cela déplaît à ceux qui veulent notre effacement.

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La chute de l’Artsakh signifie au contraire que la sauvegarde de l’Arménie réside dans le renforcement de son identité, de sa défense, de notre unité, de notre solidarité, de notre capacité d’écouter et de comprendre d’autres points de vue, aussi différents soient-ils des nôtres. Enfin, la sauvegarde de l’Arménie réside dans le respect de notre dignité humaine, de notre liberté et de notre héritage arménien.

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