Broyer la culture, le sport, l’ESS… La politique « comptable » de la présidente des Pays de la Loire

Depuis plusieurs semaines, la présidente de la région des Pays de la Loire, Christelle Morançais, fait beaucoup parler d’elle pour des coupes budgétaires drastiques dans plusieurs budgets. À l’écouter, elle ne ferait pas de politique, seulement des choix « pragmatiques ».

Albin Wagener  • 12 décembre 2024
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Broyer la culture, le sport, l’ESS… La politique « comptable » de la présidente des Pays de la Loire
Rassemblement devant le conseil régional des Pays de la Loire, à Nantes, le 25 novembre 2024.
© Sebastien Salom-Gomis / AFP

Mais que se passe-t-il donc dans les Pays de la Loire, cette région d’ordinaire si paisible, entre images d’Épinal des châteaux et installations de Parisiens venus y couler des jours heureux, entre télétravail et gentrification accélérée ?

Depuis plusieurs semaines, la présidente de la Région, Christelle Morançais, fait beaucoup parler d’elle pour une raison notable : des coupes budgétaires drastiques et totalement zélées dans plusieurs budgets. Si c’est d’abord la culture qui a fait parler d’elle, d’autres secteurs régionaux sont touchés, notamment l’économie sociale et solidaire, l’emploi, l’égalité hommes-femmes et le sport. En d’autres termes, si vous êtes une femme et que vous travaillez dans la culture, votre retour à l’emploi et votre situation en tant que femme deviendra plus compliquée que de coutume.

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Depuis que cette annonce ubuesque a dépassé le cadre régional, puisqu’on parle tout de même de 100 millions d’euros, la présidente se pose en victime – une posture désormais classique lorsque l’on attaque tout un secteur, et que ce secteur proteste. Du point de vue politique, il est important de préciser que Christelle Morançais est désormais membre du parti Horizons, après avoir été la protégée locale de Bruno Retailleau, que l’on connaît notamment pour avoir réussi à nous faire regretter Gérald Darmanin au Ministère de l’intérieur.

Ses mots à l’égard de la culture sont d’une violence sans équivoque.

Sur les différents réseaux sociaux, Madame la présidente se plaint d’être d’abord victime d’une cabale de La France Insoumise (sic) et de l’intégralité des intermittents. Ses mots à l’égard de la culture sont d’une violence sans équivoque : dans Ouest-France, elle explique que les subventions ne servent pas à payer des emplois (re-sic). Et se plaint de n’y être pour rien : c’est la faute à la crise politique ou à LFI si elle a annoncé un budget sans aucune concertation, et qu’elle le fait d’abord pour « nos enfants ». On aimerait la voir autant engagé pour la cause climatique, qui impactera probablement tout autant « nos enfants » que le budget des Pays de la Loire.

Un choix budgétaire est politique

Bien évidemment, dans ce genre de contexte, il convient de le rappeler : un choix budgétaire n’est jamais autre chose qu’un choix politique – surtout si une femme ou un homme politique vous explique que ce n’est pas le cas. Les mots utilisés pour soutenir les choix budgétaires sont souvent les mêmes. On parle de raison, d’objectivité, de bon sens, bref ; il n’y aurait qu’une manière de gérer un budget, et la gestion des finances serait apolitique. Même lorsqu’on est une femme politique – mais nous ne sommes plus à un paradoxe ou une contre-vérité près.

Les protestations ne viennent pas que du milieu de la culture d’ailleurs ; dans le secteur de l’économie sociale et solidaire, la douche froide est identique. Et dans une lettre ouverte publiée sur le site de la CRESS Pays de la Loire, on retrouve parmi les signataires la Caisse d’Épargne, le Crédit Mutuel, la Banque Populaire, la Maif, la Macif et d’autres acteurs privés. Sont-ils eux aussi manipulés par LFI ? Sont-ils eux aussi totalement stupides au point d’ignorer la crise politique ? Ou bien pire : ces banques et ces compagnies d’assurance auraient-elles perdu tout sens de la raison en perdant toute notion de l’équilibre budgétaire ?

Il s’agit d’une politique de classe, cruellement aveugle et inconsciente de ses propres privilèges.

Christelle Morançais ne fait que dérouler un agenda conservateur sur les mœurs et néolibéral sur l’économie, comme a coutume de le faire son camp politique – tout en se drapant toujours dans ce bon sens de père de famille qui permet d’éluder tout débat et de justifier toute décision, aussi brutale soit-elle. Et dans son équipe, l’une de ses adjointes à la région, Constance Nebbula, explique dans une lettre ouverte qu’elle soutient sa présidente et qu’elle n’a rien contre la culture, puisqu’elle vient elle-même d’une famille de musiciens classiques et a fait le conservatoire.

Après le « Je ne suis pas raciste, puisque j’ai un ami noir et je mange du couscous », nous avons donc le « J’aime la culture, puisque j’ai fait le conservatoire ». Évidemment, nul besoin ici de faire de grande analyse pour comprendre qu’il s’agit d’une politique de classe, cruellement aveugle et inconsciente de ses propres privilèges.

Victimes

Au-delà de ces perverses manipulations discursives, qui feraient presque passer les plénipotentiaires régionaux pour des victimes angéliques et les véritables victimes – à savoir les intermittents paupérisés –, pour des méchants agresseurs suçant le sang des pouvoirs publics à grands coups de subventions et de coups de menton LFIstes, on doit surtout penser à toutes les victimes de ces secteurs, qui travaillent quotidiennement pour permettre le tissage de liens sociaux fragiles, souvent délaissés par les pouvoirs publics, et utiles à tous points de vue.

On pense à ces intermittents qui participent à l’animation de villages ou de quartiers prioritaires.

On pense à ces intermittents qui participent à l’animation de villages ou de quartiers prioritaires, ou même de grandes villes réputées pour leur vivacité culturelle – comme Nantes, l’ex-bretonne capitale ligérienne, qui a fait de sa vie culturelle un véritable marqueur d’identité. Serait-ce une manière d’atteindre la maire PS de la ville, Johanna Rolland ? On n’ose y croire, puisque Christelle Morançais ne fait pas de politique, uniquement du bon sens.

Mais je pense aussi au milieu du sport, qui permet de faire du lien dans des quartiers difficiles, auprès de populations qui n’ont pas toujours beaucoup de choix pour pouvoir s’aérer l’esprit et le corps. Je pense à l’économie sociale et solidaire, qui permet à des territoires entiers d’être maillés par des initiatives créatives et utiles, qui lient insertion, environnement et cohésion sociale.

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Je pense enfin à l’emploi, dont les aides sont également visées par la région, ce qui aboutit à une situation particulièrement cocasse : lorsque les acteurs de la culture, du sport ou de l’ESS se retrouveront au chômage (ce que je ne leur souhaite pour rien au monde), ils ne pourront même plus bénéficier d’aide pour retrouver un emploi. Et si ces personnes sont des femmes, les dispositifs d’égalité hommes-femmes leur seront désormais interdits.

Étranglement social

C’est ce qu’on appelle un étranglement social totalement politique, dans les grandes largeurs. En effet, en ciblant uniquement certains secteurs et non d’autres, Christelle Morançais fait un choix politique (même si ses adjoints ont des amis comédiens, sportifs ou… des amies femmes). Gérer un budget, c’est en effet faire des choix de recettes et de charges, et ces choix ne sont jamais purement comptables ou anodins. Sinon, on confierait la gestion des régions à de bons technocrates, et non à des personnalités politiques qui choisissent comment utiliser leurs deniers.

Des festivals culturels qui s’arrêtent, ce sont des restaurateurs ou des cafetiers qui travailleront moins.

En outre, on oublie autre chose : les secteurs socio-économiques ne sont pas hermétiques les uns aux autres. Des festivals culturels qui s’arrêtent, ce sont des restaurateurs ou des cafetiers qui travailleront moins, des entreprises de sécurité qui devront se séparer de leurs personnels, des hôtels ou des gîtes qui feront grise mine, et des territoires qui vont dépérir. Mais j’imagine que ça aussi, c’est la faute de LFI, de la crise politique et de tous ces amis du conservatoire qui n’y comprennent rien : Christelle Morançais ne fait pas de politique, elle ne fait que des choix comptables.

Dans ce cas, puisqu’il ne s’agit que de bon sens comptable, je propose de remplacer la présidente de région par ChatGPT, qui pourra probablement proposer des solutions tout aussi brutales, en coûtant nettement moins cher qu’un salaire de présidente de région. Un salaire qui pourrait être réinvesti ailleurs – comme dans la culture, par exemple.

À moins que ces audacieux choix budgétaires constituent une manière, pour Christelle Morançais, de se tailler une image politique nationale dans le paysage de la droite dure, et de tenir la dragée haute à Laurent Wauquiez, ou d’autres ténors intransigeants qui aiment maltraiter leurs régions ? Ce serait tout de même étonnant, pour quelqu’un qui ne fait pas de politique, mais dont les décisions auront des décisions concrètes pour la vie de milliers de personnes – alors qu’elle-même continuera de dormir paisiblement sur le réconfortant oreiller de sa juste logique comptable.

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