À Calais, une marche contre les « politiques meurtrières » à la frontière

L’année 2024 détient un triste record : celui du nombre des morts lors de tentatives de traversées de la Manche. Pour dénoncer les politiques sécuritaires de la France et de l’Union européenne, plus de 70 organisations ont appelé à une marche, samedi 11 janvier à Calais.

Giovanni Simone  • 12 janvier 2025 abonné·es
À Calais, une marche contre les « politiques meurtrières » à la frontière
La marche contre les politiques meurtrières ciblant les migrants, que la maire LR de Calais a tenté d’interdire, a réuni 600 personnes samedi 11 janvier, malgré les températures glaciales et l’alerte à la neige.
© Giovanni Simone

Le ciel gris pèse lourd sur la digue Gaston Berthe et le port de Calais, samedi 11 janvier. Malgré les températures glaciales et l’alerte à la neige, environ 600 personnes s’y retrouvent, en début d’après-midi, pour la première manifestation de 2025. L’année qui vient de s’écouler a été la plus mortifère, et de loin, à cette frontière : au moins 89 personnes sont mortes en tentant la traversée, dont 77 en mer. Plus de 70 organisations ont appelé à cette marche pour exiger un changement dans les politiques migratoires européennes et françaises, orientées au tout sécuritaire. La maire de Calais Natacha Bouchart (LR) a voulu empêcher la marche avec un arrêté d’interdiction, annulé peu avant le début du rassemblement.

Les personnes arrivent en grappes, les pancartes commencent à se lever avec les slogans : « police raciste, frontière meurtrière », « la solidarité n’est pas du mobilier », « la manche est un cimetière », ou encore « personne n’est illégal ». Avec elles, les drapeaux des différents partis de la gauche et de plusieurs organisations et collectifs ponctuent le cortège, composé surtout de militants associatifs. Un cercueil en carton, noir est porté par un groupe d’exilés et d’associatifs. Quelques fleurs sont déposées dessus. Avant le début de la marche tombe une triste nouvelle : un jeune exilé syrien est décédé dans la nuit de vendredi à samedi en tentant la traversée, et cinq de ses compagnons sont hospitalisés dans des graves conditions.

Sur le même sujet : « La politique européenne conduit les exilés à la mort »

La gestion sécuritaire de la frontière mise en cause

Même à Saint-Omer, dans l’arrière-pays, des personnes se sont noyées dans le canal avant d’atteindre le littoral.

Thierry Coulombel

Si l’année 2024 a été aussi sanglante, où se trouvent les responsabilités ? Pour les organisateurs, pas de doutes : la militarisation de la frontière et le harcèlement policier des exilés, qui rendent les traversées de plus en plus difficiles. « Le but, c’est uniquement que les gens souffrent tellement qu’on entende leurs cris au-delà de la méditerranée », lance Majdouline Sbaï, eurodéputée EELV présente à la marche. Une politique par ailleurs inefficace, car presque 37 000 personnes ont réussi en 2024 à rejoindre le Royaume-Uni, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur britannique. Cette année, la stratégie de percer les bateaux mise en place par la police sur le littoral s’est systématisée. Ce développement pousse les personnes à tenter les départs à partir d’endroits de plus en plus éloignés de Calais, voire de la mer. « Même à Saint-Omer, dans l’arrière-pays, des personnes se sont noyées dans le canal avant d’atteindre le littoral », témoigne Thierry Coulombel, premier secrétaire du PS dans le Pas-de-Calais.

La permanence même à Calais est rendue presque impossible par la présence policière, selon les témoignages des associations. « Actuellement, le plan grand froid a été ouvert, signale Flore Joudet de l’Auberge des migrants. Mais le nombre de conditions qui doivent être réunie pour que cela arrive est dantesque. » Environ 300 personnes dorment dehors à Grande-Synthe, et 500 à Calais selon les associations. Et les conditions de survie sont de plus en plus difficiles dans les campements, expulsés toutes les 48 heures. « Désormais la mairie de Calais a systématisé la pose de pierres après les expulsions, explique Ilona, de l’association Human Rights Observers qui rédige des rapports sur les pratiques policières à la frontière. Les grandes expulsions, où les personnes sont éloignées avec des bus, sont aussi de plus en plus fréquentes. »

Plus ça va, pire c’est. Mais il faut garder l’espoir. Rien que le fait d’être là montre que beaucoup de gens sont solidaires.

Une manifestante

Les associations subissent aussi la criminalisation des autorités. Début décembre 2024, Le Monde révélait trois procédures lancées contre Utopia 56. « C’est ubuesque, tranche Angèle Vettorello, d’Utopia 56 à Calais. Comment on explique que les forces de l’ordre elles-mêmes nous appellent parce qu’elles sont démunies face à des groupes de personnes trempées après des naufrages ? » En 2024, plus de 16 000 personnes ont été retrouvées après des naufrages dans le littoral. « Sans les associations pour les prendre en charge, personne ne le ferait », constate Elsa Faucillon, députée PCF, jointe par téléphone en amont de la manifestation. Elle a récemment proposé une résolution pour la mise en place d’une flotte européenne de sauvetage en mer.

Sur le même sujet : À Calais, « la mort se voit un peu partout »

Faire front commun malgré tout

Face à cette situation, les organisateurs espèrent peser pour renverser la vapeur. « Il est urgent de revoir, voire de dénoncer les accords du Touquet », estime Thierry Coulombel. Ce traité, souscrit en 2003 entre la France et la Grande-Bretagne, encadre les relations bilatérales concernant la frontière. Le traité déplace de facto la frontière britannique sur le territoire français, et délègue à la France sa surveillance. Pour espérer un changement, toutes les forces sont importantes selon Majdoulaine Sbaï. « Il ne faut pas sous-estimer le pouvoir de pression des élus locaux », lance celle qui avait fait voter la délibération régionale « Nord-Pas-de-Calais terre d’accueil », en 2013.

Mais dans les rangs de la manifestation, ce n’est pas l’espoir qui règne. « Plus ça va, pire c’est, se désole Virginie Biencourt, venue de Lens pour marcher. Mais il faut garder l’espoir. Rien que le fait d’être là montre que beaucoup de gens sont solidaires. » En tête de cortège, Jegr défile avec sa famille. Ses filles lancent des slogans en anglais, suivies par les associatifs : « C’est une mer, pas une frontière ! » L’homme, la quarantaine, est venu du Kurdistan pour rejoindre le Royaume-Uni. Il résume en une phrase : « On est nés pour vivre, pas pour mourir. On veut être traités comme des humains. »

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