En Ardèche, la Confédération paysanne espère (enfin) renverser la FNSEA
Alors qu’en 2019, elle a échoué à 224 voix pour remporter la chambre d’agriculture ardéchoise, la Confédération paysanne pense, cette fois, bénéficier de son ancrage local de plus en plus fort pour battre la FNSEA et son « double discours ».
À l’entrée de Vernoux-en-Vivarais (Ardèche), commune perchée au-dessus de Valence, à l’entrée du parc naturel régional des Monts d’Ardèche, il faut vraiment croire son GPS. Parce que celui-ci indique Vernoux-en-Vivarais alors que le panneau d’entrée de la commune, lui, donne une toute autre indication : Le Cheylard. Une commune qui se trouve, pourtant, à plusieurs dizaines de kilomètres.
En effet, après avoir retourné, dans de très nombreuses campagnes françaises, les panneaux de commune, certains syndicats agricoles – les Jeunes agriculteurs (JA), alliés à la FNSEA, en tête – se sont cette fois amusés à intervertir ces panneaux. Radars tagués, inscriptions « On crève » sur des panneaux routiers, les méfaits sont signés des sigles des syndicats protestataires les plus visibles – JA, FNSEA et la CR (Coordination rurale).
En Ardèche, comme dans de très nombreux territoires, la partie la plus visible de la colère agricole est l’apanage de ces trois syndicats d’exploitants. Pourtant, dans ce département, dont le nord a durement été touché par des inondations en novembre dernier, c’est bien la Confédération paysanne qui espère tirer son épingle du jeu, au cours des élections professionnelles qui se déroulent jusqu’au 31 janvier. Il y a six ans, en 2019, celle-ci avait échoué à 224 voix de la FDSEA, qui règne sur la chambre d’agriculture depuis des décennies.
« Aucune place pour l’opposition »
Pourtant, ces 200 voix et quelques ont une incidence majeure du fait de l’organisation de ces élections (voir par ailleurs). Avec 3 élus seulement – contre 14 pour la FDSEA, la Confédération paysanne et ses idées se sont retrouvées marginalisées au sein de la chambre d’agriculture.
« On a clairement constaté qu’il n’y avait aucune place pour l’opposition, ils nous ont totalement invisibilisés », raconte Aurélien Mourier, élu sortant au sein de la Chambre d’agriculture de l’Ardèche, paysan en élevage de chèvres, de vaches allaitantes et de porcs, et tête de liste pour la Confédération paysanne, « la FDSEA agit comme si elle avait 90% de l’électorat alors que c’est seulement un agriculteur ardéchois sur quatre qui a voté pour eux ».
Au niveau national, la Confédération paysanne a épinglé ce département comme potentiellement gagnable, comme l’Ariège ou la Loire-Atlantique par exemple. Les raisons sont, avant tout, structurelles. Avec une taille moyenne des exploitations (33 hectares) largement plus basse que la moyenne nationale (69 hectares), 75 % de petites et micro-exploitations, et plus de 30 % des exploitations certifiées « Agriculture biologique » (contre 10 % au niveau national), l’agriculture du département correspond assez bien au modèle défendu par le syndicat d’exploitants classés à gauche.
« Au vu de ces caractéristiques, comment un paysan Ardéchois pourrait se sentir représenter par Arnaud Rousseau [président de la FNSEA, N.D.L.R.] qui défend les intérêts des méga-exploitations et la vision d’une agriculture intensive ? », interroge Aurélien Mourier.
« J’espère que les paysans vont ouvrir les yeux sur cette imposture. Surtout dans notre département, composé de petites fermes, qui ne correspond en rien au modèle agricole que la FNSEA défend », abonde Lucile Forot-Rostoll, en deuxième position sur la liste de la Confédération paysanne, qui cultive des petits fruits et des châtaignes à Désaignes. C’est la première fois que cette femme, qui a repris la ferme de son père en 2013, se présente aux élections professionnelles.
La Conf’ m’a fait confiance et la liste est parfaitement paritaire, donc ça m’a motivée.
L. Forot-Rostoll
« Je me suis toujours tenue informée de ce qu’il se passait à la chambre d’agriculture mais je n’osais pas. Du fait d’être une femme, j’avais comme un problème de légitimité », souffle-t-elle. Cette année, elle a décidé, fort de ses plus de 10 années d’expérience et de développement de ses activités, de se lancer. « La Conf’ m’a fait confiance et la liste est parfaitement paritaire [10 hommes et 10 femmes, N.DL.R.], donc ça m’a motivée », explique-t-elle.
Tissage d’un réseau important
En plus de ces caractéristiques propres au département, la Confédération paysanne espère bien s’appuyer sur son ancrage local de plus en plus fort. « En 20 ans, on a triplé notre nombre d’adhérents, alors que le nombre de paysans en Ardèche a été divisé par deux sur la période », souligne Aurélien Mourier. Avec près de 400 adhérents, la Confédération paysanne locale a réussi à tisser, ces dernières années, un réseau important.
Constitution de sept groupes locaux dans le département, une permanence au bureau départemental pour accompagner et répondre aux questions des paysans, syndiqués comme non-syndiqués, développement de l’aide à l’installation et aux maintiens des paysans avec l’association ADDEAR 07 : ces dernières années, les initiatives se sont multipliées et ont pris de l’ampleur.
Alors, quand la crise agricole a éclaté début 2024, la Confédération paysanne ardéchoise a préféré poursuivre dans cette voie : « On s’est posé la question : comment répondre à une colère légitime sans tomber dans les travers de la FDSEA et de la Coordination rurale ?, raconte Lucile Forot-Rostoll, On a décidé de miser sur le fait qu’on est présent au quotidien, et donc de poursuivre ce travail de fond mené en Ardèche ».
« Chaque élu aura sa place »
Début janvier, l’organisation syndicale a organisé la troisième édition du Festival du film paysan. Étalé sur plusieurs jours, partout sur le département, cette édition a été un succès, avec plus de 2 000 entrées. « Et les gens restaient au débat qui suivait la projection du film. Et ce n’était pas que des convaincus, donc les échanges étaient vraiment intéressants », se félicite Aurélien Mourier.
Aujourd’hui, la chambre d’agriculture est une chambre d’enregistrement des décisions de la FNSEA.
A. Mourier
Le « débat », un élément que la tête de liste du syndicat progressiste souhaite perpétuer si sa liste l’emporte début février. « Si nous sommes majoritaires, chaque élu – même d’opposition – aura sa place. Nous souhaitons avoir une chambre d’agriculture rapprochée de ses territoires, pour répondre, au mieux, aux problématiques qui sont très variées chez nous. Aujourd’hui, la chambre d’agriculture est une chambre d’enregistrement des décisions de la FNSEA. Nous voulons une chambre de débat. »
Deux sujets importent particulièrement les deux têtes de liste : la question du revenu, alors qu’un paysan ardéchois sur deux gagne moins que le Smic, et la gestion de l’eau, dans un département où ce sujet, à certains endroits, devient de plus en plus brûlants. Ce qui est certain, c’est qu’avec un règne sans partage du syndicat majoritaire depuis des années, remporter ce département serait, pour la Conf’ une véritable victoire. Réponse au dépouillement, le 6 février.