AESH : « Organiser une réelle école inclusive »
Sandy Guyomard, AESH, raconte son quotidien et celui de l’association qu’elle a cofondée.
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Une large intersyndicale a appelé les accompagnant·es d’élèves en situation de handicap à faire grève jeudi 16 janvier. Mais pour Sandy Guyomard, AESH elle-même et présidente de l’association AESH en lumière, ce n’était pas possible. Elle était en voiture, entre deux établissements scolaires où elle accompagne des enfants en difficulté. Trop difficile pour elle de ne pas travailler ce jour-là. Elle raconte son quotidien et celui de l’association qu’elle a cofondée avec Caroline Lagadeuc.
Je suis AESH (accompagnante d’élèves en situation de handicap) dans les Côtes-d’Armor depuis quatorze ans. J’ai toujours été attirée par l’éducation et les enfants. Avant, j’étais assistante de direction. J’ai dû arrêter cette profession après un parcours de vie qui a bifurqué. J’ai connu une période de chômage. Et puis j’ai postulé à une annonce de Pôle emploi. C’était au temps où les contrats aidés existaient encore. J’ai commencé comme ça, après une formation obligatoire de soixante heures. En réalité, c’est plutôt de l’information que de la formation. On ne nous dit rien de la manière dont il faut réagir à une crise d’un enfant autiste, par exemple.
Avec de nombreuses collègues, qui ont de l’ancienneté comme moi, on constate que depuis la loi handicap et l’école inclusive, en 2005, nos conditions de travail n’ont fait que se dégrader. Il y a de moins en moins de moyens et de moins en moins d’AESH. Alors que le nombre d’élèves qui ont des notifications d’accompagnement explose. Rien qu’entre 2023 et 2024, ce nombre a grimpé de 13 %.
On ne manque pas tant de matériel que de réponses à nos demandes concernant les formations, le statut de fonctionnaire de catégorie B et, bien entendu, le salaire. Notre temps partiel est imposé, et les heures de travail que l’on fait chez nous pour trouver la meilleure adaptation pour chaque élève ne sont pas comptabilisées.
L’Éducation nationale nous voit comme le deuxième corps de métier du secteur mais, sur le terrain, on ne le ressent pas du tout. Il y a un énorme manque de reconnaissance. Qui se traduit par le salaire et les coupes budgétaires qui nous attaquent de plein fouet. Les recrutements sont gelés alors qu’un vivier énorme d’AESH est en attente d’affectation. On rabote de partout. Des élèves qui avaient droit à douze heures d’accompagnement par semaine se retrouvent avec six heures hebdomadaires, voire une seule heure. Alors que ce nombre d’heures est calculé en fonction des difficultés de l’élève.
Quand on discute avec des éducateurs spécialisés ou des professeurs, certains nous disent : ‘Mais vous faites notre boulot, en fait !’
On nous dit que les parents ne doivent pas avoir de lien avec les AESH, qu’ils ne doivent échanger qu’avec l’enseignant. C’est dommage ! Parce que ça pourrait nous aider, nous AESH, et les parents, pour bien savoir comment accompagner l’enfant. Mais, en plus, il faut rappeler que les enseignants non plus ne sont pas formés ! Comment font-ils sans AESH ? Comment peuvent-ils protéger les autres élèves ?
Quand on discute avec des éducateurs spécialisés ou des professeurs, certains nous disent : « Mais vous faites notre boulot, en fait ! » Ce n’est pas faux, puisqu’on doit comprendre le cours de l’enseignant – qu’il s’agisse de maternelle, de collège, ou de terminale en bac général ou professionnel –, utiliser sa méthode, identifier ses attentes et reformuler les leçons pour que notre élève comprenne bien la consigne. Et pour tout cela, on n’a aucune reconnaissance.
C’est ce qu’on essaie de faire comprendre via l’association que l’on a cofondée avec Caroline Lagadeuc, AESH en lumière. On a décidé de créer cette structure pour l’ouvrir à toutes et tous. Notre but, c’est de rendre visibles nos élèves à travers nos métiers. On veut interpeller le grand public et les autorités sur les dérives actuelles de l’école inclusive, en tout cas telle que les pouvoirs publics la déconsidèrent aujourd’hui. Parce qu’on peut faire une école inclusive pour toutes et tous si on y met de vrais moyens. Et dans ce cas-là on pourrait ne pas avoir recours aux instituts médico-éducatifs ou aux établissements spécialisés – qui n’ont pas de moyens non plus.
Oui, nous AESH, on a vu les annonces du gouvernement. Le recrutement de 2 000 AESH, l’annulation de la suppression des 4 000 emplois dans l’Éducation nationale. Mais, très franchement, on n’y croit pas. Si c’était vraiment leur volonté, ça aurait été fait il y a déjà bien longtemps. Il existe un vivier énorme d’AESH ! Beaucoup de personnes ont passé leur entretien de recrutement, ont reçu un avis favorable et sont en attente d’affectation. Mais rien n’arrive.
Parmi les 140 000 AESH qui travaillent en France, combien sont en arrêt de travail ? En burn-out ? En dépression ?
Et pendant ce temps-là, parmi les 140 000 AESH qui travaillent en France, combien sont en arrêt de travail ? En burn-out ? En dépression ? La charge mentale est insupportable. Le tout, pour 900 euros par mois. En Bretagne, 4 000 enfants sont scolarisés chez eux parce qu’ils n’ont pas d’AESH. Pour tous ces jeunes, c’est au moins un parent qui est obligé d’arrêter de travailler ou de limiter son activité professionnelle pour s’occuper de son enfant. C’est une maltraitance sans nom.
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