David Lynch, l’amour de l’idée
Le cinéaste américain est mort le 16 janvier. Retour sur une œuvre sans pareil faite d’associations et d’une ligne droite.
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David Lynch est mort le 16 janvier, à l’âge de 78 ans. Réalisateur, scénariste, acteur, peintre et musicien, il est l’auteur de dix long-métrages, de plusieurs courts, d’une série et d’une riche œuvre picturale. De son premier film, Eraserhead en 1977 à Inland Empire en 2006, de la première à la troisième saison de sa série Twin Peaks, Lynch est peut-être, parmi l’ensemble des cinéastes, le premier à avoir été l’objet de livres, de vidéos dans lesquels parfois des critiques, mais souvent des fans, essaient de résoudre les secrets, les mystères de son œuvre.
Pour ceux-ci, le cinéma de Lynch serait une énigme à décrypter, un labyrinthe dans lequel il faudrait trouver des indices. Pour certains « lynchiens », son cinéma serait celui du cauchemar. Pour d’autres, il serait celui des mondes parallèles dans lesquels se perdent personnages et spectateurs. Pourtant, à l’écoute de David Lynch, on était souvent frappé par la simplicité de ses propos. Pour lui, tout reposait sur ce qu’il appelait « une idée », sorte de pensée, de sensation, qui saisit l’artiste et avec laquelle il « tombe amoureux ».
Foisonnement
Le processus créatif repose sur le fait « d’attraper cette idée ». « Vous la sentez, vous l’entendez, vous l’écrivez d’une manière suffisamment évocatrice pour qu’elle vous revienne et vous guide. » Ainsi, il semblerait que la carrière de Lynch puisse s’appréhender comme cette série de sons, de visions, de mouvements que le réalisateur chérit et qu’il additionne et associe entre eux. Cela suppose du spectateur un certain lâcher-prise, d’accepter lui aussi de se laisser mener par le foisonnement des idées et de reconstruire, malgré lui, la carte mentale du film.
Pour moi, comme pour beaucoup de quadragénaires, les idées lynchiennes resteront liées à mon parcours de cinéphile.
Pour moi, comme pour beaucoup de quadragénaires, les idées lynchiennes resteront liées à mon parcours de cinéphile. Lorsqu’en 1990 Sailor et Lula obtient la palme d’or au Festival de Cannes, j’ai 12 ans, c’est-à-dire juste l’âge nécessaire pour découvrir le film en salle. Largement commentées, avant leur sortie, les aventures de ces deux amoureux, dans une Amérique regardée avec autant de violence que de tendresse seront mon premier choc cinématographique. Le feu d’une cigarette qu’on allume, la veste en serpent de Nicolas Cage, la lingerie de Laura Dern, le dentier de Willem Dafoe et dans un ciel bleu l’apparition de Glinda, la bonne fée du Magicien d’Oz, Sailor et Lula est le premier film que j’irais voir au cinéma plusieurs fois.
« I saw it »
Après cette découverte, il fut question de remonter le temps, de regarder Blue Velvet, d’abord, sur une VHS de vidéo club, qui finit de me convaincre que Lynch pouvait manier avec aisance humour et suspense. Vinrent ensuite Elephant Man, vu à la télévision, et Eraserhead, que je découvris avec sa ressortie au cinéma, ticket agrémenté d’un badge, sur lequel figurait l’affiche auréolée de la mention I saw it (« Je l’ai vu »).
La découverte suivante fut celle du terrifiant Twin Peaks : Fire Walk with Me et plus tardivement de la série dont celui-ci était un prequel (1). Le corps de Laura Palmer dans sa bâche en plastique, les déhanchés d’Audrey, et Dale Cooper, troisième incarnation chez Lynch de l’acteur Kyle MacLachlan, dont je découvrais également la performance dans Dune, son désert, ses yeux bleus et ses corps tuméfiés.
Une œuvre dont l’histoire précède celle d’une œuvre antérieurement créée.
Le second choc, peut-être le plus grand pour moi, fut alors le visionnage de Lost Highway, sorti en 1997. Un homme trompé fume une cigarette, son interphone sonne et le film glisse. Renee/Alice, la brune et la blonde, sublime Patricia Arquette, Robert Blake et son maquillage outrancier, la musique de David Bowie plaquée sur les bandes jaunes d’une autoroute et, pour Lynch, le premier volet d’une trilogie sur Los Angeles – Mulholland Drive et Inland Empire suivront en 2001 et 2006 – une ville qu’il adorait et qui, à l’heure où il disparaît, se recouvre des flammes qui hantaient tant ses films.
Dans la carrière de Lynch se trouve alors un film qu’on a parfois considéré comme son plus classique, Une histoire vraie (1999), que lui décrivait toutefois comme son plus expérimental. « Il s’agissait d’y suivre une ligne directrice, dont on ne pouvait s’éloigner. » Linéarité dans un cinéma fait d’associations, le film racontait le périple en tondeuse d’un vieil homme parti retrouver son frère. Sur un scénario qu’il n’a pas écrit, Lynch parvenait ici à faire éclore toute la poésie qui planait sur son cinéma. Une poésie le long des routes, au fil de la vie, écho d’une douceur que l’on décelait dans sa voix et ses paroles.