« Recherche Susan désespérément », la fraîcheur des débuts
Les éditions BubbelPop sortent un coffret DVD/Blu-ray autour du long-métrage de Susan Seidelman. L’occasion de redécouvrir un film de femmes enthousiasmant et en avance sur son temps.
dans l’hebdo N° 1845 Acheter ce numéro
Recherche Susan désespérément / Susan Seidelman / édition collector DVD + BD, BubbelPop.
Dire qu’une œuvre d’art est en avance sur son temps s’apparente à un cliché. Pourtant, lorsque l’on revoit Recherche Susan désespérément, sorti au cinéma en 1985 et disponible dans un coffret DVD/Blu-ray agrémenté de nombreux bonus, on est frappé par cet état de fait. Écrit par une femme, Leora Barish, impulsé par deux productrices, Sarah Pillsbury et Midge Sanford, le film est le deuxième de Susan Seidelman, cinéaste dont le Smithereens de 1982 avait été le premier film indépendant américain à être sélectionné au festival de Cannes.
Œuvre de femmes, Recherche Susan désespérément raconte l’histoire d’une émancipation féminine sur le mode de la comédie et du dédoublement de personnalité. Roberta, interprétée par Rosanna Arquette, est une bourgeoise, femme au foyer du New Jersey qui, grâce à sa fascination pour une jeune rebelle de Manhattan, Susan/Madonna, va réussir à se libérer des carcans de son quotidien.
Contre-culture
Le film baigne dans une intrigue policière secondaire et passe haut la main le test de Bechdel (sur la présence de femmes, et la modalité de cette présence, dans une fiction) à une époque où rares seraient les œuvres qui pourraient s’en targuer. Le scénario rassemble bien deux femmes, qui engagent une conversation, réelle ou symbolique, dont l’objet n’est pas un homme. Il se concentre sur ses deux protagonistes féminins, qui ne cessent d’être à l’origine de l’action, de l’humour et de l’esthétique du film, incarnée en partie par la garde-robe de Madonna, que s’échangent les personnages et qui marque le réveil de Roberta.
Tourné à New York, le film est aussi un instantané de la société de l’époque et de ses milieux underground, néopunk. À la réception du scénario, Susan Seidelman avait décidé de déplacer l’intrigue de l’Upper West Side – Susan devait initialement être plus âgée et potentiellement interprétée par Diane Keaton – vers les quartiers du sud de Manhattan. Alors que New York traverse la phase la plus rude de son histoire, au bord de la faillite, aux prises avec la violence, elle est aussi au cœur d’une contre-culture dont Susan Seidelman, qui elle-même quitte le cinéma indépendant pour réaliser son premier film de studio, cherche à capter le dernier souffle.
Derniers soubresauts
Pour ce faire, elle ancre sa caméra dans les lieux qui la constituent – de Saint Marks Place au Magic Club de Washington Heights ; de Love Saves the Day, une friperie de la Deuxième Avenue, à Danceteria, le club où ont éclos les carrières des Beastie Boys, de Madonna ou de Sade – lieux emblématiques qui pour certains allaient fermer leurs portes peu de temps après le tournage. Dans ce New York libre que l’on sait maintenant éphémère, bientôt rattrapé par des politiques de développement urbain centrées autour du profit, circulent des jeunes acteurs, des jeunes corps que Seidelman saisit à l’aube de leur carrière.
Parmi cette ribambelle d’acteurs, s’impose Madonna, en pleine transition dans sa carrière.
Dans le film, la fraîcheur d’une Rosanna Arquette encore peu connue – After Hours de Martin Scorsese sortira presque en même temps – éclate, fraîcheur dont elle use pour insuffler du comique au plus profond de son personnage dépressif. John Turturro, Giancarlo Esposito, John Lurie s’ajoutent au casting, observables aussi avant que leurs trajectoires ne fassent d’eux des icônes chez Spike Lee, les frères Coen ou Jim Jarmusch. Enfin, parmi cette ribambelle d’acteurs, s’impose Madonna, en pleine transition dans sa carrière.
Lorsque Susan Seidelman évoque le tournage, elle insiste souvent sur la différence entre les premières semaines, quand Madonna était parfois confondue dans la rue avec Cyndi Lauper, et les derniers jours, quand ses mouvements étaient suivis par des gardes du corps. Pendant le tournage, sa vie a changé, et ce sont aussi les derniers soubresauts de l’avant-starification que le film intercepte. Susan, fauchée, s’amusant de son environnement new-yorkais, mangeant des snacks à l’origine douteuse, est un double de la chanteuse qui l’interprète, chanteuse qui bientôt, comme la ville qu’elle traverse, allait perdre non pas son intrépidité et son évident talent, mais plutôt son insouciance, la candeur de son amateurisme.